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Les Etats-Unis, nouveaux patrons de l’anti-dopage mondial

La loi Rodchenkov a été adoptée par le Sénat américain, et devrait être prochainement signé par le président en partance, Donald Trump. Elle dote les Etats-Unis d’un arsenal juridique qui leur permettra d’agir à travers le monde entier pour des faits de dopage organisé. Elle a reçu un accueil mitigé, entre les Américains qui s’enorgueillissent, et les détracteurs qui s’insurgent de cette main-mise de la part d’un pays où nombre de sports ne respectent aucune règle anti-dopage…

C’est la loi de toutes les dissensions, qui partage les acteurs de l’anti-dopage à travers le monde entier. Le journaliste Alain Mercier, du site « Francs Jeux », a trouvé une phrase qui la résume parfaitement : « une loi pour diriger le monde ».

A l’analyse, on ne peut que confirmer cette vision. Le Rodchenkov Act, adopté par le Sénat Américain, après la Chambre des Députés, donne bel et bien tous les pouvoirs à la justice américaine pour « engager des poursuites pénales contre toute personne reconnue coupable de faits de dopage lors de manifestations internationales impliquant des athlètes, des sponsors ou des diffuseurs américains. »

Le champ d’action apparaît plus que large ! Est-ce à dire que la Justice américaine pourrait se saisir, par exemple, d’une affaire de dopage française, comme le cas Calvin, ou kenyane, comme celui d’Asbel Kiprop ??? Pas tout à fait. Les sanctions des athlètes pour dopage ne sont nullement concernées par cette loi. Elle vise surtout à « sanctionner les responsables de complots internationaux de dopage ». Avec à la clef, des condamnations pénales qui pourraient atteindre 10 ans de prison, et 1 million de dollars d’amendes.

La lutte contre les gros réseaux de dopage

Mais alors quel est son objectif ? S’attaquer aux gros réseaux de dopage, qu’ils se déroulent dans n’importe quel pays du monde. Avec comme motif de base, qu’ils aient nui à des athlètes, des sponsors ou des diffuseurs américains. Et comme NBC Universal est le diffuseur partenaire des Jeux Olympiques, les occasions de saisir la justice US ne manqueront pas…

Pour la plus grande satisfaction des acteurs américains de l’anti-dopage, Travis Tygart, le patron de l’USADA en tête, qui n’a pas hésité à parler « d’une journée monumentale dans la lutte pour un sport propre dans le monde ».

Une grande liberté d’action qui ne réjouit pas l’Agence Mondiale Anti-Dopage, qui s’est opposée, dès le lancement de ce projet, à l’été 2018. Avec des arguments forts, et surtout celui que cette loi risque de créer des distorsions entre les sanctions prises selon que la justice américaine s’en sera mêlée ou pas.

Tous les sports américains ne respectent pas les règles antidopage

L’autre élément qui irrite l’AMA est cette mainmise des Etats-Unis alors même que le pays est loin d’être une référence en matière anti-dopage. Surtout car plusieurs sports professionnels n’ont jamais adhéré aux règles anti-dopage mondiales, comme le basket, le foot américain, le baseball. Sans oublier aussi que même le sport universitaire réglementé par la NCAA échappe à ce cadre.

Au-delà de l’irritation « officielle », les réactions hostiles sont aussi venues de la dénomination de cette loi, qui porte le nom de Gregory Rodchenkov, l’ancien patron du laboratoire de Moscou, activiste du dopage pour la Russie, et passé du côté de l’anti-dopage après sa fuite de la Russie pour les Etats-Unis.

Gregory Rodchenkov, Dr Death, et maintenant référence anti-dopage

Le personnage ne fait pas l’unanimité, jusque dans les rangs des plus farouches pourfendeurs du dopage. Son basculement du côté de la lutte anti-dopage après des années passées à doper des athlètes russes, à leur éviter des contrôles positifs, n’a pas convaincu tout le monde. Le point de vue russe est évidemment à manier avec précaution, mais le journaliste irlandais Alan Moore qui vit à Moscou n’hésite jamais à utiliser son surnom « Dr Death », avec l’accusation d’avoir provoqué la mort de sportifs russes par ses cocktails dopants. Des experts d’autres pays pointent aussi du doigt son implication dans le dopage de sportifs hors de la Russie, et son habileté à transformer son histoire pour ne conserver que son rôle de victime du système et de lanceur d’alerte.

Voir ainsi Rodchenkov, ex-dopeur en chef de la Russie, donner son nom à cette loi de suprématie américaine n’est qu’un paradoxe de plus dans un domaine qui n’échappe pas aux coups bas et magouilles politiciennes…

  • Texte : Odile Baudrier
  • Photo : D.R.