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les coulisses juridiques des cas de dopage

Pourquoi Amaury Golitin est-il accusé de falsification ? Pourquoi Jimy Soudril a-t-il demandé à être suspendu provisoirement ? Pourquoi des tribunaux peuvent condamner à de la prison des personnes pour des faits de dopage et qui ne sont pas suspendues par l’Agence française antidopage ? L’actualité de l’antidopage comporte moult d’informations surprenantes. Toutes justifiées par des aspects juridiques parfois méconnus ou complexes à comprendre. Antoine Marcelaud, juriste de l’Agence Française Anti Dopage, a accepté de lever le voile, pour spe15, sur les aspects juridiques des violations des règles antidopage, de la composition administrative au passeport biologique en passant par les falsifications et les relations compliquées avec les parquets. Autant d’informations essentielles pour mieux comprendre les cas d’Amaury Golitin, Jimy Soudril, Abdellatif Meftah, Susan Jeptooo…

La révolution de la composition administrative

C’est début 2019 que la procédure de la composition administrative est présentée pour la première fois par Antoine Marcelaud, aux différents acteurs de l’antidopage, avocats compris, lors d’un Colloque organisé à Dijon par Cécile Chaussard et Thierry Chiron, enseignants à l’Université de Bourgogne, membres du Laboratoire du Droit du Sport.

L’accueil est plutôt mitigé. Les avocats s’interrogent sur cette méthode qui vise à l’accélération de la procédure, et sont alors hésitants de savoir s’il conviendra de conseiller ou non à leurs clients de l’accepter. Antoine Marcelaud précise : « Au départ, les réactions n’ont pas été forcément enthousiastes. Dans notre tradition juridique, il ne va pas de soi d’accepter une sanction et de renoncer à l’audience. De plus, certains ont pu avoir l’impression que l’Agence allait négocier des sanctions. Il a fallu expliquer que ce mécanisme ne repose pas sur une transaction purement discrétionnaire entre l’Agence et l’athlète : il n’est possible de conclure un accord avec le sportif que pour lui appliquer les niveaux de sanction prévus par les textes, sauf à s’exposer à des recours. »

Très vite, les sportifs et leurs avocats vont adhérer à ce système, comme en témoignent les chiffres : 29% la première année, 31% la deuxième, 50%, puis un pic à 60%, et actuellement 50% des dossiers.

Pour les juristes de l’AFLD, cette procédure implique un travail d’instruction plus précoce : « Cela nous conduit à être plus pro-actifs avec le sportif pour lui demander des informations puisque le Secrétaire Général devra ensuite lui proposer une sanction. Les poursuites ne sont engagées que lorsque le Collège est suffisamment éclairé et que le Secrétaire général peut proposer, au vu des éléments du dossier, une solution acceptable. Si le sportif a gardé le silence sur une prise d’anabolisants par exemple, il lui sera proposé d’accepter 4 ans de suspension, et il n’y a pas vraiment d’alternative dans ce cas ! Mais dans une hypothèse médicale, concernant une personne qui s’est mal soignée, le cheminement peut être plus complexe : il faut apprécier le degré de faute du sportif et éventuellement conduire des expertises scientifiques ou médicales. »

Cette nouvelle procédure est maintenant mieux comprise : « Elle n’est en définitive qu’une possibilité pour l’athlète de renoncer à une procédure fastidieuse, possiblement coûteuse et longue. Dans de rares hypothèses, par exemple lorsqu’un sportif qui encourt quatre ans de suspension avoue rapidement les faits, elle permet une réduction de la durée de suspension. Dans tous les cas, elle présente l’avantage pour lui de mieux appréhender le calendrier de la procédure, y compris la divulgation publique, ce qui peut lui permettre de prendre les devants vis-à-vis de son entourage, de son club, des médias. »

Un seul manquement aux obligations de localisation = falsification ou soustraction ?

Pris isolément, un manquement aux obligations de localisation peut constituer une violation des règles antidopage, même si le sportif n’a pas cumulé trois manquements dans une période continue de douze mois. Il peut s’agir d’un défaut de transmission des informations de localisation  qui, selon les circonstances,  pourrait revêtir la qualification de soustraction au contrôle ou de falsification. Antoine Marcelaud précise : « La charge de la preuve repose dans ce cas sur l’Agence. Elle doit réunir un faisceau de preuves suffisamment fort pour démontrer que ce comportement était intentionnel, et qu’il avait vocation à faire échec aux tentatives de contrôle de l’agence. »

La notion de falsification est extrêmement large dans le Code du Sport, et Antoine Marcelaud énumère : «C’est le fait de mettre en échec, ou de gêner intentionnellement le processus du contrôle du dopage, qui va de la planification des contrôles, jusqu’aux décisions finales. Cela inclut le fait de falsifier un formulaire de contrôle, de briser le flacon d’un échantillon, d’offrir un pot de vin au préleveur, de falsifier des documents soumis à l’Agence ou plus largement d’induire celle-ci en erreur intentionnellement, y compris concernant sa localisation. »

Cette possibilité pourrait désormais être utilisée par l’AFLD, si les services déterminent des circonstances qui permettent de retenir le manquement intentionnel. L’avertissement est donc lancé aux sportifs !

Le passeport biologique, une nouvelle arme pour l’AFLD

En France, peu de procédures ont été lancées pour des irrégularités du passeport biologique. En athlétisme, Riad Guerfi et Anouar Assila, et tout récemment, il est apparu qu’Abdelatif Meftah, a reçu une notification d’irrégularités (sans que l’AFLD ne le confirme officiellement). Pourquoi l’utilisation de cette possibilité ? Antoine Marcelaud explicite : « Les données juridiques n’ont en réalité pas évolué, et l’AFLD est autorisée à traiter les cas de passeport biologiques depuis 2014. Mais le propre du passeport biologique est de s’inscrire dans la durée, pour détecter de manière indirecte le recours à une substance ou à une méthode interdite. De plus, en matière de lutte contre le dopage, la durée de la prescription est de 10 ans, ce qui permet d’identifier rétrospectivement des violations ».

Cette utilisation de la durée de 10 ans de prescription est-elle une nouvelle approche pour l’AFLD ? : « Il s’agit de la durée légale de prescription. Depuis 2021, l’Agence a de nouveaux pouvoirs d’investigation qui permettent d’obtenir des informations intéressantes. En analysant certains cas, il apparaît qu’avec les nouvelles méthodes et pouvoirs, ils peuvent être revus. De plus, certaines fenêtres de détection se sont ouvertes. Cela peut permettre de faire tomber des tricheurs du passé. » Et Jérémy Roubin, le secrétaire général de l’AFLD martèle : « L’ouverture d’une enquête peut se faire pendant la période de 10 ans. A date, on peut rouvrir une enquête sur un athlète ou un entraîneur pour des faits sportifs qui remontent à 2013. On s’autorise à revenir en arrière.»

Toutefois, il est notable que les sanctions « a posteriori » suscitent des réactions contrastées dans le grand public, partagé sur cette idée de sanctionner tardivement des violations. Mais à l’AFLD, la réponse est sans ambiguïté : « C’est important de détecter les tricheurs dans l’immédiat, et aussi par le passé. C’est très efficace en termes de dissuasion. Certes, cela arrive tard, mais cela nuit à la réputation du sportif. En termes d’image, c’est très fort de pouvoir rétablir la vérité, même quelques années plus tard. Pourquoi ne rien faire parce que c’est du passé ? »

Les relations compliquées entre l’AFLD et les parquets

Le Code du Sport prévoit des échanges d’informations avec les Parquets. Toutefois, de l’extérieur, il semble que ces relations ne fonctionnent pas vraiment. Ainsi des affaires Calvin et Boxberger (encore non finalisées par la justice), où les éléments collectés pour l’enquête judiciaire n’ont pas été portés à la connaissance de l’AFLD avant que les cas des deux athlètes ne soient statués par la Commission des Sanctions. Autre exemple très étonnant, le cas de Laila Traby, où des sanctions pénales ont été prises en octobre sur trois personnes, dont deux sont encore actives dans le milieu du sport, et où pourtant, aucune sanction sportive n’a été prise contre elles. Récemment, un cycliste a été condamné à de la prison, sans que l’AFLD n’ait été associée à cette affaire.

Autant d’éléments qui interpellent, et Antoine Marcelaud n’élude pas cette interrogation : « Les parquets décident ou non de lever le secret de l’enquête et de l’instruction. Ils ne veulent pas compromettre leurs enquêtes et peuvent préférer ne pas le faire. D’une manière générale, on reçoit peu d’informations par ce canal-là. Pourtant le texte a évolué, un nouvel article du Code du Sport introduit en 2021 permet ce type d’échanges. Un Procureur de la République pourrait lever le secret de l’enquête et de l’instruction, transmettre à l’agence des éléments de preuves dont il dispose même si l’affaire n’est pas encore jugée et autoriser l’agence à les exploiter. Pour l’instant, cela n’a pas été mis en œuvre. Mais c’est un potentiel nouveau qui, je l’espère, permettra d’avancer. »

Le sujet est brûlant à l’AFLD, comme le souligne Jérémy Roubin : « Maintenant, l’Agence peut demander communication de la décision judiciaire complète. Nous ne nous en privons pas. Il y a un cas récent où la Commission des Sanctions s’est appuyée sur une décision de justice pour prendre une sanction : le sportif continuait son activité dans une salle, la Commission a utilisé la décision pénale qui n’avait pas été contestée pour décider la sanction sportive. Notre démarche est de donner au pénal son pendant sportif. »

Et Jérémy Roubin explicite aussi : « Les sanctions pénales ont des avantages et des défauts. Elles font peur, s’agissant de prison et d’amendes. Mais elles ont deux inconvénients : les peines sont assez faibles, de la prison avec sursis, des amendes faibles car les sportifs ont rarement des revenus importants. Le deuxième défaut d’une sanction pénale est qu’elle est, par nature, applicable en France alors que la sanction anti-dopage s’applique de plein droit dans tous les pays. C’est un avantage énorme. Surtout pour un entraîneur, qui avec une simple sanction pénale, peut franchir la frontière en toute légalité pour poursuivre l’entraînement. »

Sans oublier aussi que l’AFLD ne manque pas d’arguments à avancer au moment de parler d’échanges réciproques à effectuer: « Il y a une complémentarité possible, entre l’autorité judiciaire et le département des enquêtes, et également à travers toutes les informations que détient l’agence sur les sportifs grâce à l’ensemble des contrôles et à la localisation. Des magistrats peuvent faire des réquisitions pour obtenir ces informations, et aussi saisir l’agence pour que les agents en tant que « sachant » donnent leurs informations ou une expertise.»

La durée des sanctions, une donnée à géométrie variable

Plusieurs affaires récentes ont débouché sur des durées de sanctions différentes, et il apparaît plus difficile de bien comprendre les décisions. Par exemple, pour la marathonienne Susan Jeptooo, qui a reçu 18 mois pour une utilisation d’heptaminol, un produit parfois sanctionné par une suspension plus longue. Alors, comment l’AFLD bâtit-elle ses décisions ? Leçon de droit par Antoine Marcelaud : «Le traitement est différent selon qu’il s’agit de substances spécifiées ou non spécifiées. Pour les substances spécifiées, par exemple les corticoïdes, la durée de principe est de 2 ans. Car la violation est supposée ne pas être intentionnelle : les substances spécifiées sont disponibles dans la société et ont plus de probabilité d’avoir été utilisées à d’autres fins que l’amélioration des performances. Le sportif est réputé en avoir fait usage de manière non intentionnelle. Si l’Agence voulait décider d’une durée de quatre ans, ce serait à elle de démontrer qu’il aurait eu l’intention. Pour les substances non spécifiées, la durée de principe est de 4 ans car la violation est présumée intentionnelle : une personne ne prend pas par hasard des anabolisants ou de l’EPO. »

Cette dissociation clarifiée, entrent en jeu plusieurs éléments permettant une réduction de la peine : « Pour les cas où les sportifs ont eu recours à des médicaments pour se soigner en dehors d’une autorisation d’usage à des fins thérapeutiques, l’hypothèse est généralement celle de l’absence de faute ou de négligence significative. Le sportif reste fautif car avant de prendre un médicament, il doit vérifier la notice, vérifier sur internet s’il est sur la liste des substances interdites, arrêter d’en prendre à l’approche d’une compétition,… L’ensemble des circonstances présentées par un sportif sont examinées par le service juridique, le collège et le secrétaire général pour déterminer quelle est la durée de suspension à appliquer. Concrètement, pour ces hypothèses-là, on est soit dans une faute jugée légère, entre 0 et 1 an, avec une médiane qui serait à 6 mois. Soit on est dans les niveaux normaux de fautes, entre 1 an et 2 ans, et la médiane est à 18 mois.»

Ces règles à la fois simples et compliquées à appliquer provoquent-elles parfois des approches différentes devant la Commission des Sanctions, en raison de désaccords ? Antoine Marcelaud l’admet clairement : « Oui, mais c’est le jeu des institutions. C’est au représentant du collège de convaincre la commission qu’il faut appliquer tel niveau de sanction. C’est le jeu pour le sportif de démontrer qu’il faudrait lui donner moins. Comme dans tout système de justice, il y a rarement une parfaite identité de vue entre la partie en charge de la poursuite et celle qui est en charge de la sanction. Ils doivent comme nous appliquer les textes, et on devrait arriver globalement aux mêmes conclusions. Mais c’est notre rôle de les convaincre. »

Et Jérémy Roubin insiste également : « Quand il y a un contexte médical, sans AUT, certes, cela mérite une sanction mais qui peut être modulée. Il y a tellement d’éléments factuels et de circonstances qui rentrent en ligne de compte que ça devient un travail d’orfèvre de comprendre pourquoi là, on est à 18 mois, à 14 mois ou à 12 mois de suspension. Ainsi pour un même sport et un même produit, la sanction a été de 16 mois de suspension pour l’un et de 12 mois pour l’autre du fait des circonstances. »

Et l’énumération des circonstances qui peuvent être prises en compte pour statuer sur la durée est longue, indique Antoine Marcelaud : « Les conditions de la prise de médicaments : une urgence médicale ou plutôt une utilisation de confort, une automédication ou une prescription par un médecin ou pharmacien. Des circonstances de lieux, à l’étranger, une absence programmée ou non. L’éducation : l’agence attend plus de vigilance d’un sportif qui a été éduqué. S’il s’agit d’un sportif dont c’est le 1er contrôle, c’est une circonstance qui peut être prise en compte. A l’inverse, nous serons plus sévères envers une personne qui a déjà eu 12 contrôles, qui a suivi une session de formation, qui pratique un sport très vulnérable, qui peut facilement savoir via les médias que telle ou telle substance présente un risque. La modulation peut aussi s’effectuer par le haut. Tout récemment, sur une substance spécifiée, un sportif encourait 2 ans de suspension, mais nous avons considéré qu’il avait eu l’intention de commettre la violation, et le Collège a demandé 4 ans. »

Sans oublier également le contexte juridique strict qui encadre les décisions, comme le souligne Jérémy Roubin : « Il faut rappeler que l’Agence s’attache à fixer des sanctions acceptables par la Commission des sanctions, mais également susceptibles de résister aux recours devant le Conseil d’Etat, ainsi qu’à ceux des Fédérations Internationales. »

Jimy Soudril demande une suspension provisoire, un aveu de culpabilité ?

La décision prise à l’égard de Jimy Soudril comporte un élément assez inédit : c’est le jeune sprinter lui-même qui a demandé dès avril 2022 à l’AFLD de lui infliger une suspension provisoire suite à son contrôle positif au clomiphène survenu au France indoor en février 2022. La sanction définitive lui impose donc une suspension de 2 ans, qui s’achèvera dès avril 2024. Faut-il considérer que cette demande spontanée de Jimy Soudril correspond à un aveu de culpabilité ? Pas du tout, explique Antoine Marcelaud : «Non, la décision d’un sportif de demander la suspension provisoire ne constitue pas un aveu. C’est un droit d’être suspendu, nouvellement introduit dans le code du sport. Nous ne pouvons pas en tirer argument contre le sportif. »

Pour le juriste, cette méthode présente certains avantages pour le sportif : «Il peut préférer prendre les devants, pour gagner du temps par exemple en vue de ses échéances sportives. Cela lui permet de commencer à purger sa sanction, d’organiser sa défense, et de reprendre plus rapidement, tout en purgeant effectivement l’intégralité de sa suspension. »

Sans oublier bien entendu, que de tels cas demeurent rares, puisque cette méthode ne peut s’appliquer que lorsque la suspension provisoire n’est pas obligatoire. Celle-ci est de toute façon imposée par la Présidente de l’Agence, pour une substance non spécifiée, pour un passeport biologique, pour du trafic…

Nous ne sommes pas des robots

Mais un autre élément entre en compte dans ces demandes spontanées de suspension provisoire, et Antoine Marcelaud, en contact permanent avec les sportifs incriminés pour faits de dopage, le dévoile : « Il ne faut pas sous-estimer l’impact psychologique de l’annonce à un sportif d’une procédure. Certains peuvent trouver insupportable de retourner sur les terrains avec une procédure en cours. Face à une procédure, nous assistons à des réactions très différents selon les personnes : le déni total, l’agressivité, les gens hébétés, les personnes qui ont tout compris de la procédure. »

Et il admet du bout des lèvres : « Oui, il peut y avoir de l’empathie avec les sportifs mis en cause dans les procédures. Mais les règles sont conçues pour garantir l’harmonisation des sanctions. C’est l’une des clefs du Code Mondial Anti-dopage, et l’une des clefs de notre métier. Pour autant, nous ne sommes pas des robots, car il y a des marges d’appréciation dans l’appréhension des modalités existantes juridiquement, qui prennent en compte les circonstances pertinentes pour fixer la sanction. Bien sûr, il ne peut pas y avoir trop de libertés. Sinon, selon le panel disciplinaire de tel ou tel pays, on prendrait 3 mois ou bien 2 ans. Le Code Mondial antidopage a le mérite de proposer par substance et par catégorie de comportement des mécanismes qui prennent en considération ces circonstances pour harmoniser les sanctions. C’est notre rôle de juristes de mobiliser les modalités proposées par les textes, selon les spécificités de chaque cas, pour aboutir à une sanction à la fois conforme au droit et à notre appréhension du dossier ».

Entretien réalisé à l’AFLD par ODILE BAUDRIER

LA PROCEDURE ET LES VIOLATIONS EN DETAILS  

Les différentes étapes d’un dossier

Un résultat d’analyse anormal, ou toute autre violation des règles antidopage portée à la connaissance de l’Agence conduit à l’ouverture d’un dossier qui incombe d’entrée au service juridique. La première phase est celle de l’instruction : « Le département juridique procède à un examen initial qui consiste à vérifier que tout est en ordre, avant d’écrire à l’athlète pour l’informer de son résultat, de lui proposer le cas échéant l’analyse de l’échantillon B et de l’inviter à présenter ses explications qui sont ensuite confrontées avec les éléments de preuves disponibles »

Ces preuves correspondent par exemple au résultat du laboratoire, elles peuvent aussi être obtenues par la collaboration avec le département des enquêtes, et les différentes expertises qui peuvent être recueillies au sein de l’agence ou à l’extérieur.

Une fois cette première phase d’instruction achevée, il est proposé au Collège de l’AFLD d’engager ou non les poursuites disciplinaires.

La deuxième phase, celle des poursuites : « Si le collège décide d’engager des poursuites, les griefs sont notifiés au sportif et il reçoit la proposition du Secrétaire Général d’accepter la sanction jugée appropriée au regard de cette première phase d’instruction. Si le sportif accepte, la sanction est validée et la Commission des Sanctions ne recevra que la décision finale pour son information, la procédure s’arrête à ce stade. En revanche, si le sportif n’accepte pas cette proposition, l’affaire est confiée à la Commission des Sanctions qui convoque les parties pour une audience, au cours de laquelle la personne poursuivie a le droit d’être entendue, de présenter des témoins, ou encore d’user de la parole en dernier. »

Les 11 violations des règles antidopage

Le Code Mondial prévoit maintenant 11 violations différentes des règles antidopage : les résultats d’analyse anormaux, les défauts de localisation, les soustractions, le trafic…

Les Résultats d’Analyses Anormaux permettent d’établir efficacement la violation de présence d’une substance interdite dans l’échantillon « En vertu du principe de la responsabilité objective, cette violation est établie par la présence, dans un échantillon fourni par le sportif, d’une substance interdite, de ses métabolites ou de ses marqueurs, sans qu’il y ait lieu de rechercher si l’usage de cette substance a revêtu un caractère intentionnel. C’est au sportif qu’il appartient alors de démontrer qu’il n’a pas commis la violation, en établissant que le résultat a été causé par un écart dans la procédure de contrôle ou d’analyse, ou en se prévalant d’une autorisation d’usage à des fins thérapeutiques. Ce sont les dossiers les plus simples de prime abord. Surtout si le sportif reconnaît qu’il a utilisé la substance. Une fois la violation établie, il reste encore à déterminer quelles conséquences doivent être appliquées au sportif  et notamment la durée de suspension.  »

A l’inverse, pour les violations non analytiques, comme les manquements aux obligations de localisation, le trafic, les soustractions, c’est à l’Agence d’apporter la preuve que le sportif a commis une violation. Dans les cas de soustractions, la procédure s’appuie en général sur un rapport complémentaire établi par un préleveur assermenté : « Devant un juge, sa parole est plus probante que celle du sportif qui, s’il veut renverser cet élément, devra apporter des éléments de preuve très efficaces, comme des témoignages concordants. »

Pour les défauts de localisation, qui ne se limitent pas aux contrôles manqués (communément appelés no shows) mais englobent aussi le fait de ne pas transmettre du tout, ou pas correctement, ses informations de localisation, ils sont minutieusement examinés et donnent chacun lieu à une procédure contradictoire. L’Agence ne peut engager des poursuites que lorsque trois de ces manquements ont été commis dans une période continue de douze mois.

Les coulisses juridiques des contrôles antidopage

Il ne suffit pas de contrôler positif un sportif pour lui imposer une sanction. Les dossiers doivent être verrouillés sur le plan juridique, pour éviter toute contestation et levée de suspension. Antoine Marcelaud, juriste de l’Agence Française Anti Dopage, a accepté de lever le voile, pour spe15, sur les aspects juridiques des violations des règles antidopage, de la composition administrative au passeport biologique en passant par les falsifications et les relations compliquées avec les parquets. Autant d’informations essentielles pour mieux comprendre les cas d’Amaury Golitin, Jimy Soudril, Abdellatif Meftah…

La révolution de la composition administrative

C’est début 2019 que la procédure de la composition administrative est présentée pour la première fois par Antoine Marcelaud, aux différents acteurs de l’antidopage, avocats compris, lors d’un Colloque organisé à Dijon par Cécile Chaussard et Thierry Chiron, enseignants à l’Université de Bourgogne, membres du Laboratoire du Droit du Sport.

L’accueil est plutôt mitigé. Les avocats s’interrogent sur cette méthode qui vise à l’accélération de la procédure, et sont alors hésitants de savoir s’il conviendra de conseiller ou non à leurs clients de l’accepter. Antoine Marcelaud précise : « Au départ, les réactions n’ont pas été forcément enthousiastes. Dans notre tradition juridique, il ne va pas de soi d’accepter une sanction et de renoncer à l’audience. De plus, certains ont pu avoir l’impression que l’Agence allait négocier des sanctions. Il a fallu expliquer que ce mécanisme ne repose pas sur une transaction purement discrétionnaire entre l’Agence et l’athlète : il n’est possible de conclure un accord avec le sportif que pour lui appliquer les niveaux de sanction prévus par les textes, sauf à s’exposer à des recours. »

Très vite, les sportifs et leurs avocats vont adhérer à ce système, comme en témoignent les chiffres : 29% la première année, 31% la deuxième, 50%, puis un pic à 60%, et actuellement 50% des dossiers.

Pour les juristes de l’AFLD, cette procédure implique un travail d’instruction plus précoce : « Cela nous conduit à être plus pro-actifs avec le sportif pour lui demander des informations puisque le Secrétaire Général devra ensuite lui proposer une sanction. Les poursuites ne sont engagées que lorsque le Collège est suffisamment éclairé et que le Secrétaire général peut proposer, au vu des éléments du dossier, une solution acceptable. Si le sportif a gardé le silence sur une prise d’anabolisants par exemple, il lui sera proposé d’accepter 4 ans de suspension, et il n’y a pas vraiment d’alternative dans ce cas ! Mais dans une hypothèse médicale, concernant une personne qui s’est mal soignée, le cheminement peut être plus complexe : il faut apprécier le degré de faute du sportif et éventuellement conduire des expertises scientifiques ou médicales. »

Cette nouvelle procédure est maintenant mieux comprise : « Elle n’est en définitive qu’une possibilité pour l’athlète de renoncer à une procédure fastidieuse, possiblement coûteuse et longue. Dans de rares hypothèses, par exemple lorsqu’un sportif qui encourt quatre ans de suspension avoue rapidement les faits, elle permet une réduction de la durée de suspension. Dans tous les cas, elle présente l’avantage pour lui de mieux appréhender le calendrier de la procédure, y compris la divulgation publique, ce qui peut lui permettre de prendre les devants vis-à-vis de son entourage, de son club, des médias. »

Un seul manquement aux obligations de localisation = falsification ou soustraction ?

Pris isolément, un manquement aux obligations de localisation peut constituer une violation des règles antidopage, même si le sportif n’a pas cumulé trois manquements dans une période continue de douze mois. Il peut s’agir d’un défaut de transmission des informations de localisation  qui, selon les circonstances,  pourrait revêtir la qualification de soustraction au contrôle ou de falsification. Antoine Marcelaud précise : « La charge de la preuve repose dans ce cas sur l’Agence. Elle doit réunir un faisceau de preuves suffisamment fort pour démontrer que ce comportement était intentionnel, et qu’il avait vocation à faire échec aux tentatives de contrôle de l’agence. »

La notion de falsification est extrêmement large dans le Code du Sport, et Antoine Marcelaud énumère : «C’est le fait de mettre en échec, ou de gêner intentionnellement le processus du contrôle du dopage, qui va de la planification des contrôles, jusqu’aux décisions finales. Cela inclut le fait de falsifier un formulaire de contrôle, de briser le flacon d’un échantillon, d’offrir un pot de vin au préleveur, de falsifier des documents soumis à l’Agence ou plus largement d’induire celle-ci en erreur intentionnellement, y compris concernant sa localisation. »

Cette possibilité pourrait désormais être utilisée par l’AFLD, si les services déterminent des circonstances qui permettent de retenir le manquement intentionnel. L’avertissement est donc lancé aux sportifs !

Le passeport biologique, une nouvelle arme pour l’AFLD

En France, peu de procédures ont été lancées pour des irrégularités du passeport biologique. En athlétisme, Riad Guerfi et Anouar Assila, et tout récemment, il est apparu qu’Abdelatif Meftah, a reçu une notification d’irrégularités (sans que l’AFLD ne le confirme officiellement). Pourquoi l’utilisation de cette possibilité ? Antoine Marcelaud explicite : « Les données juridiques n’ont en réalité pas évolué, et l’AFLD est autorisée à traiter les cas de passeport biologiques depuis 2014. Mais le propre du passeport biologique est de s’inscrire dans la durée, pour détecter de manière indirecte le recours à une substance ou à une méthode interdite. De plus, en matière de lutte contre le dopage, la durée de la prescription est de 10 ans, ce qui permet d’identifier rétrospectivement des violations ».

Cette utilisation de la durée de 10 ans de prescription est-elle une nouvelle approche pour l’AFLD ? : « Il s’agit de la durée légale de prescription. Depuis 2021, l’Agence a de nouveaux pouvoirs d’investigation qui permettent d’obtenir des informations intéressantes. En analysant certains cas, il apparaît qu’avec les nouvelles méthodes et pouvoirs, ils peuvent être revus. De plus, certaines fenêtres de détection se sont ouvertes. Cela peut permettre de faire tomber des tricheurs du passé. » Et Jérémy Roubin, le secrétaire général de l’AFLD martèle : « L’ouverture d’une enquête peut se faire pendant la période de 10 ans. A date, on peut rouvrir une enquête sur un athlète ou un entraîneur pour des faits sportifs qui remontent à 2013. On s’autorise à revenir en arrière.»

Toutefois, il est notable que les sanctions « a posteriori » suscitent des réactions contrastées dans le grand public, partagé sur cette idée de sanctionner tardivement des violations. Mais à l’AFLD, la réponse est sans ambiguïté : « C’est important de détecter les tricheurs dans l’immédiat, et aussi par le passé. C’est très efficace en termes de dissuasion. Certes, cela arrive tard, mais cela nuit à la réputation du sportif. En termes d’image, c’est très fort de pouvoir rétablir la vérité, même quelques années plus tard. Pourquoi ne rien faire parce que c’est du passé ? »

Les relations compliquées entre l’AFLD et les parquets

Le Code du Sport prévoit des échanges d’informations avec les Parquets. Toutefois, de l’extérieur, il semble que ces relations ne fonctionnent pas vraiment. Ainsi des affaires Calvin et Boxberger (encore non finalisées par la justice), où les éléments collectés pour l’enquête judiciaire n’ont pas été portés à la connaissance de l’AFLD avant que les cas des deux athlètes ne soient statués par la Commission des Sanctions. Autre exemple très étonnant, le cas de Laila Traby, où des sanctions pénales ont été prises en octobre sur trois personnes, dont deux sont encore actives dans le milieu du sport, et où pourtant, aucune sanction sportive n’a été prise contre elles. Récemment, un cycliste a été condamné à de la prison, sans que l’AFLD n’ait été associée à cette affaire.

Autant d’éléments qui interpellent, et Antoine Marcelaud n’élude pas cette interrogation : « Les parquets décident ou non de lever le secret de l’enquête et de l’instruction. Ils ne veulent pas compromettre leurs enquêtes et peuvent préférer ne pas le faire. D’une manière générale, on reçoit peu d’informations par ce canal-là. Pourtant le texte a évolué, un nouvel article du Code du Sport introduit en 2021 permet ce type d’échanges. Un Procureur de la République pourrait lever le secret de l’enquête et de l’instruction, transmettre à l’agence des éléments de preuves dont il dispose même si l’affaire n’est pas encore jugée et autoriser l’agence à les exploiter. Pour l’instant, cela n’a pas été mis en œuvre. Mais c’est un potentiel nouveau qui, je l’espère, permettra d’avancer. »

Le sujet est brûlant à l’AFLD, comme le souligne Jérémy Roubin : « Maintenant, l’Agence peut demander communication de la décision judiciaire complète. Nous ne nous en privons pas. Il y a un cas récent où la Commission des Sanctions s’est appuyée sur une décision de justice pour prendre une sanction : le sportif continuait son activité dans une salle, la Commission a utilisé la décision pénale qui n’avait pas été contestée pour décider la sanction sportive. Notre démarche est de donner au pénal son pendant sportif. »

Et Jérémy Roubin explicite aussi : « Les sanctions pénales ont des avantages et des défauts. Elles font peur, s’agissant de prison et d’amendes. Mais elles ont deux inconvénients : les peines sont assez faibles, de la prison avec sursis, des amendes faibles car les sportifs ont rarement des revenus importants. Le deuxième défaut d’une sanction pénale est qu’elle est, par nature, applicable en France alors que la sanction anti-dopage s’applique de plein droit dans tous les pays. C’est un avantage énorme. Surtout pour un entraîneur, qui avec une simple sanction pénale, peut franchir la frontière en toute légalité pour poursuivre l’entraînement. »

Sans oublier aussi que l’AFLD ne manque pas d’arguments à avancer au moment de parler d’échanges réciproques à effectuer: « Il y a une complémentarité possible, entre l’autorité judiciaire et le département des enquêtes, et également à travers toutes les informations que détient l’agence sur les sportifs grâce à l’ensemble des contrôles et à la localisation. Des magistrats peuvent faire des réquisitions pour obtenir ces informations, et aussi saisir l’agence pour que les agents en tant que « sachant » donnent leurs informations ou une expertise.»

La durée des sanctions, une donnée à géométrie variable

Plusieurs affaires récentes ont débouché sur des durées de sanctions différentes, et il apparaît plus difficile de bien comprendre les décisions. Par exemple, pour la marathonienne Susan Jeptooo, qui a reçu 18 mois pour une utilisation d’heptaminol, un produit parfois sanctionné par une suspension plus longue. Alors, comment l’AFLD bâtit-elle ses décisions ? Leçon de droit par Antoine Marcelaud : «Le traitement est différent selon qu’il s’agit de substances spécifiées ou non spécifiées. Pour les substances spécifiées, par exemple les corticoïdes, la durée de principe est de 2 ans. Car la violation est supposée ne pas être intentionnelle : les substances spécifiées sont disponibles dans la société et ont plus de probabilité d’avoir été utilisées à d’autres fins que l’amélioration des performances. Le sportif est réputé en avoir fait usage de manière non intentionnelle. Si l’Agence voulait décider d’une durée de quatre ans, ce serait à elle de démontrer qu’il aurait eu l’intention. Pour les substances non spécifiées, la durée de principe est de 4 ans car la violation est présumée intentionnelle : une personne ne prend pas par hasard des anabolisants ou de l’EPO. »

Cette dissociation clarifiée, entrent en jeu plusieurs éléments permettant une réduction de la peine : « Pour les cas où les sportifs ont eu recours à des médicaments pour se soigner en dehors d’une autorisation d’usage à des fins thérapeutiques, l’hypothèse est généralement celle de l’absence de faute ou de négligence significative. Le sportif reste fautif car avant de prendre un médicament, il doit vérifier la notice, vérifier sur internet s’il est sur la liste des substances interdites, arrêter d’en prendre à l’approche d’une compétition,… L’ensemble des circonstances présentées par un sportif sont examinées par le service juridique, le collège et le secrétaire général pour déterminer quelle est la durée de suspension à appliquer. Concrètement, pour ces hypothèses-là, on est soit dans une faute jugée légère, entre 0 et 1 an, avec une médiane qui serait à 6 mois. Soit on est dans les niveaux normaux de fautes, entre 1 an et 2 ans, et la médiane est à 18 mois.»

Ces règles à la fois simples et compliquées à appliquer provoquent-elles parfois des approches différentes devant la Commission des Sanctions, en raison de désaccords ? Antoine Marcelaud l’admet clairement : « Oui, mais c’est le jeu des institutions. C’est au représentant du collège de convaincre la commission qu’il faut appliquer tel niveau de sanction. C’est le jeu pour le sportif de démontrer qu’il faudrait lui donner moins. Comme dans tout système de justice, il y a rarement une parfaite identité de vue entre la partie en charge de la poursuite et celle qui est en charge de la sanction. Ils doivent comme nous appliquer les textes, et on devrait arriver globalement aux mêmes conclusions. Mais c’est notre rôle de les convaincre. »

Et Jérémy Roubin insiste également : « Quand il y a un contexte médical, sans AUT, certes, cela mérite une sanction mais qui peut être modulée. Il y a tellement d’éléments factuels et de circonstances qui rentrent en ligne de compte que ça devient un travail d’orfèvre de comprendre pourquoi là, on est à 18 mois, à 14 mois ou à 12 mois de suspension. Ainsi pour un même sport et un même produit, la sanction a été de 16 mois de suspension pour l’un et de 12 mois pour l’autre du fait des circonstances. »

Et l’énumération des circonstances qui peuvent être prises en compte pour statuer sur la durée est longue, indique Antoine Marcelaud : « Les conditions de la prise de médicaments : une urgence médicale ou plutôt une utilisation de confort, une automédication ou une prescription par un médecin ou pharmacien. Des circonstances de lieux, à l’étranger, une absence programmée ou non. L’éducation : l’agence attend plus de vigilance d’un sportif qui a été éduqué. S’il s’agit d’un sportif dont c’est le 1er contrôle, c’est une circonstance qui peut être prise en compte. A l’inverse, nous serons plus sévères envers une personne qui a déjà eu 12 contrôles, qui a suivi une session de formation, qui pratique un sport très vulnérable, qui peut facilement savoir via les médias que telle ou telle substance présente un risque. La modulation peut aussi s’effectuer par le haut. Tout récemment, sur une substance spécifiée, un sportif encourait 2 ans de suspension, mais nous avons considéré qu’il avait eu l’intention de commettre la violation, et le Collège a demandé 4 ans. »

Sans oublier également le contexte juridique strict qui encadre les décisions, comme le souligne Jérémy Roubin : « Il faut rappeler que l’Agence s’attache à fixer des sanctions acceptables par la Commission des sanctions, mais également susceptibles de résister aux recours devant le Conseil d’Etat, ainsi qu’à ceux des Fédérations Internationales. »

Jimy Soudril demande une suspension provisoire, un aveu de culpabilité ?

La décision prise à l’égard de Jimy Soudril comporte un élément assez inédit : c’est le jeune sprinter lui-même qui a demandé dès avril 2022 à l’AFLD de lui infliger une suspension provisoire suite à son contrôle positif au clomiphène survenu au France indoor en février 2022. La sanction définitive lui impose donc une suspension de 2 ans, qui s’achèvera dès avril 2024. Faut-il considérer que cette demande spontanée de Jimy Soudril correspond à un aveu de culpabilité ? Pas du tout, explique Antoine Marcelaud : «Non, la décision d’un sportif de demander la suspension provisoire ne constitue pas un aveu. C’est un droit d’être suspendu, nouvellement introduit dans le code du sport. Nous ne pouvons pas en tirer argument contre le sportif. »

Pour le juriste, cette méthode présente certains avantages pour le sportif : «Il peut préférer prendre les devants, pour gagner du temps par exemple en vue de ses échéances sportives. Cela lui permet de commencer à purger sa sanction, d’organiser sa défense, et de reprendre plus rapidement, tout en purgeant effectivement l’intégralité de sa suspension. »

Sans oublier bien entendu, que de tels cas demeurent rares, puisque cette méthode ne peut s’appliquer que lorsque la suspension provisoire n’est pas obligatoire. Celle-ci est de toute façon imposée par la Présidente de l’Agence, pour une substance non spécifiée, pour un passeport biologique, pour du trafic…

Mais un autre élément entre en compte dans ces demandes spontanées de suspension provisoire, et Antoine Marcelaud, en contact permanent avec les sportifs incriminés pour faits de dopage, le dévoile : « Il ne faut pas sous-estimer l’impact psychologique de l’annonce à un sportif d’une procédure. Certains peuvent trouver insupportable de retourner sur les terrains avec une procédure en cours. Face à une procédure, nous assistons à des réactions très différents selon les personnes : le déni total, l’agressivité, les gens hébétés, les personnes qui ont tout compris de la procédure. »

Et il admet du bout des lèvres : « Oui, il peut y avoir de l’empathie avec les sportifs mis en cause dans les procédures. Mais les règles sont conçues pour garantir l’harmonisation des sanctions. C’est l’une des clefs du Code Mondial Anti-dopage, et l’une des clefs de notre métier. Pour autant, nous ne sommes pas des robots, car il y a des marges d’appréciation dans l’appréhension des modalités existantes juridiquement, qui prennent en compte les circonstances pertinentes pour fixer la sanction. Bien sûr, il ne peut pas y avoir trop de libertés. Sinon, selon le panel disciplinaire de tel ou tel pays, on prendrait 3 mois ou bien 2 ans. Le Code Mondial antidopage a le mérite de proposer par substance et par catégorie de comportement des mécanismes qui prennent en considération ces circonstances pour harmoniser les sanctions. C’est notre rôle de juristes de mobiliser les modalités proposées par les textes, selon les spécificités de chaque cas, pour aboutir à une sanction à la fois conforme au droit et à notre appréhension du dossier ».

LA PROCEDURE ET LES VIOLATIONS EN DETAILS  

Les différentes étapes d’un dossier

Un résultat d’analyse anormal, ou toute autre violation des règles antidopage portée à la connaissance de l’Agence conduit à l’ouverture d’un dossier qui incombe d’entrée au service juridique. La première phase est celle de l’instruction : « Le département juridique procède à un examen initial qui consiste à vérifier que tout est en ordre, avant d’écrire à l’athlète pour l’informer de son résultat, de lui proposer le cas échéant l’analyse de l’échantillon B et de l’inviter à présenter ses explications qui sont ensuite confrontées avec les éléments de preuves disponibles »

Ces preuves correspondent par exemple au résultat du laboratoire, elles peuvent aussi être obtenues par la collaboration avec le département des enquêtes, et les différentes expertises qui peuvent être recueillies au sein de l’agence ou à l’extérieur.

Une fois cette première phase d’instruction achevée, il est proposé au Collège de l’AFLD d’engager ou non les poursuites disciplinaires.

La deuxième phase, celle des poursuites : « Si le collège décide d’engager des poursuites, les griefs sont notifiés au sportif et il reçoit la proposition du Secrétaire Général d’accepter la sanction jugée appropriée au regard de cette première phase d’instruction. Si le sportif accepte, la sanction est validée et la Commission des Sanctions ne recevra que la décision finale pour son information, la procédure s’arrête à ce stade. En revanche, si le sportif n’accepte pas cette proposition, l’affaire est confiée à la Commission des Sanctions qui convoque les parties pour une audience, au cours de laquelle la personne poursuivie a le droit d’être entendue, de présenter des témoins, ou encore d’user de la parole en dernier. »

Les 11 violations des règles antidopage

Le Code Mondial prévoit maintenant 11 violations différentes des règles antidopage : les résultats d’analyse anormaux, les défauts de localisation, les soustractions, le trafic…

Les Résultats d’Analyses Anormaux permettent d’établir efficacement la violation de présence d’une substance interdite dans l’échantillon « En vertu du principe de la responsabilité objective, cette violation est établie par la présence, dans un échantillon fourni par le sportif, d’une substance interdite, de ses métabolites ou de ses marqueurs, sans qu’il y ait lieu de rechercher si l’usage de cette substance a revêtu un caractère intentionnel. C’est au sportif qu’il appartient alors de démontrer qu’il n’a pas commis la violation, en établissant que le résultat a été causé par un écart dans la procédure de contrôle ou d’analyse, ou en se prévalant d’une autorisation d’usage à des fins thérapeutiques. Ce sont les dossiers les plus simples de prime abord. Surtout si le sportif reconnaît qu’il a utilisé la substance. Une fois la violation établie, il reste encore à déterminer quelles conséquences doivent être appliquées au sportif  et notamment la durée de suspension.  »

A l’inverse, pour les violations non analytiques, comme les manquements aux obligations de localisation, le trafic, les soustractions, c’est à l’Agence d’apporter la preuve que le sportif a commis une violation. Dans les cas de soustractions, la procédure s’appuie en général sur un rapport complémentaire établi par un préleveur assermenté : « Devant un juge, sa parole est plus probante que celle du sportif qui, s’il veut renverser cet élément, devra apporter des éléments de preuve très efficaces, comme des témoignages concordants. »

Pour les défauts de localisation, qui ne se limitent pas aux contrôles manqués (communément appelés no shows) mais englobent aussi le fait de ne pas transmettre du tout, ou pas correctement, ses informations de localisation, ils sont minutieusement examinés et donnent chacun lieu à une procédure contradictoire. L’Agence ne peut engager des poursuites que lorsque trois de ces manquements ont été commis dans une période continue de douze mois.