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L’énigme Taoufik Makhloufi


Taoufik Makhloufi disputera-t-il à Tokyo ses 3èmes JO ? Le champion olympique 2012, double vice-champion olympique 2016, n’a plus été présent sur la piste depuis le championnat du monde de Doha en octobre 2019, où il avait conquis la médaille d’argent après deux saisons complètes d’absence de l’athlétisme. Depuis, l’athlète n’est quasiment plus apparu en public, et en Algérie, l’on s’interroge sur cette disparition. Il avait défrayé la chronique en octobre dernier, avec la découverte de matériel de perfusion et de médicaments dans un sac lui appartenant et stocké à l’INSEP.

« Quid de Makhloufi ? » Le titre du journal « Le soir d’Algérie » est explicite. A quelques semaines des Jeux Olympiques de Tokyo, l’Algérie s’interroge sur Taoufik Maklhoufi. L’athlète apparaît « disparu » depuis plusieurs mois.

Certes, la crise sanitaire a considérablement modifié les plans de milliers d’athlètes, et Taoufik Maklhoufi n’a pas échappé à ce grand charivari. Au printemps 2020, il avait mis le cap sur l’Afrique du Sud pour se préparer pour les Jeux Olympiques de Tokyo alors programmés en juillet 2020. La logique est alors respectée, avec cette préparation lancée quelques mois après sa médaille d’argent surprise du Championnat du Monde de Doha.

Mais avec le COVID, les frontières se bloquent brutalement, Taoufik Makhloufi se retrouve incapable de revenir vers l’Algérie. Fin juillet 2020, il attaque vivement dans les colonnes de « Liberté Algérie » les autorités algériennes, en les accusant de ne pas tout mettre en œuvre pour organiser son rapatriement. Ce n’est pas rare, tant les « sorties » de l’athlète contre les autorités algériennes sont devenues habituelles, toujours prêt à pourfendre sa fédération, le comité olympique, le gouvernement, avec en toile de fond, des récriminations récurrentes sur le manque de considération et de moyens financiers, malgré le soutien fort qui lui est apporté par son pays.

C’est finalement l’Ambassade de France qui vient à son secours, il intègre un vol de retour pour des Français, et après une escale à Paris, il rejoint Alger. L’affaire a alors évidemment fait beaucoup de bruit en Algérie, compte tenu de la stature de Taoufik Makhloufi, triple médaillé olympique, l’or à Londres, deux fois l’argent à Rio.

Un épisode tortueux avec les sacs découverts à l’INSEP

Mais c’est une autre affaire, nettement moins anecdotique, qui va le faire revenir dans l’actualité, cette fois en France. Celle de la découverte fin août à l’INSEP de sacs lui appartenant et qui contiennent du matériel de perfusion, et divers médicaments. Car son séjour forcé de 5 mois en Afrique du Sud l’a empêché de revenir s’installer à l’INSEP, comme à l’accoutumée, pour y poursuivre son entraînement sous la houlette de Philippe Dupont. Il bénéficie au centre national d’un accès facilité, grâce à sa licence signée avec le CA Montreuil, qui lui autorise aussi une tarification réduite.

L’entraîneur français l’épaule depuis le début 2015, selon un contrat signé avec le Comité Olympique Algérien, comme il est la règle pour les entraîneurs étrangers en charge d’athlètes algériens. Le financement de ce job est ainsi imputé sur la bourse olympique affectée aux top athlètes d’Algérie.

A son départ vers l’Afrique du Sud en mars 2020, Taoufik Maklhoufi n’anticipait qu’un stage de quelques semaines en compagnie de Philippe Dupont et de Pierre Amboise Bosse, et avait confié des sacs d’affaires personnelles à un autre athlète de l’INSEP. La crise COVID précipite le retour très rapide des deux Français sur Paris, mais l’Algérien, bloqué lui pendant plusieurs mois, ne peut remettre le cap sur la France.

Et ce sont ces sacs, laissés en stand by, qui provoquent un mini séisme à l’automne, après que Jimmy Gressier et Mehdi Belhadj aient fait preuve de curiosité en les fouillant à la recherche des nouvelles pointes Nike… Mais les deux jeunes athlètes découvrent en réalité des médicaments, des boîtes de protéines, des seringues, une pompe à ventouses, qui jettent le trouble sur leur utilisation par un athlète, bien qu’ils ne figurent pas parmi les interdits du Code Mondial Anti-Dopage . Suivra une perquisition de l’OCLAESP, avec analyse des médicaments, qui, officiellement, à date, n’ont été eu de suite.

Un épisode qui marque une rupture

Les déclarations se succèdent alors. Philippe Dupont affirme dans les colonnes de l’Equipe qu’il conserve toute sa confiance à son protégé, car convaincu de sa probité. Taoufik Makloufi met quelques jours à produire un communiqué, le 30 octobre, où il conteste toute accusation de dopage, s’estime victime de dénonciation calomnieuse et affirme qu’il continuera à se préparer pour les JO de Tokyo.

Cet épisode apparaît maintenant comme une rupture. Car cette mise au point marque en réalité la dernière manifestation « publique » de Taoufik Maklhoufi. Il n’a en fait plus été vu depuis qu’à la mi-octobre, il avait effectué le voyage à Oran pour le lancement des Jeux Méditerranéens.

Un stage au Mexique annulé, et rien depuis

Côté préparation, c’est le calme plat pour l’athlète. Initialement, sa préparation pour les JO 2021 devait débuter par un stage d’un mois au Mexique, à Queretaro, ville située à 200 km de Mexico et à 1800 mètres d’altitude. Le départ avait été fixé de Paris au 10 janvier 2021, et le retour au 9 février, pour Taoufik Maklhoufi, Philippe Dupont, Nacer Halillil, son sparring partner, et David Avenard, kiné de Perpignan qu’on retrouve depuis plusieurs années à ses côtés dans les stages et compétitions. Mais le quatuor ne s’est pas envolé aux dates prévues.

Taoufik Maklhoufi ne réapparaît pas non plus à l’INSEP, ou à l’étranger, dans des lieux où il a ses habitudes, comme aux Etats-Unis. Selon le journal « Le Soir d’Algérie », il aurait été vu à l’entraînement, sur la piste du CREPS d’Alger, lunettes, casquettes, et masque, en toute discrétion.

Côté compétition, son nom n’apparaît pas plus dans les starts lists et résultats, à mesure qu’un programme de meetings se structure à travers l’Europe et les Etats-Unis. Son programme originel pointait deux objectifs principaux, les championnats d’Afrique et les Jeux Olympiques.

Initialement, c’est à Alger fin juin que les championnats d’Afrique étaient prévus, mais la situation sanitaire a conduit le Conseil Sanitaire Algérien à inciter le Ministère des Sports à y renoncer à la mi-avril. Le Nigéria s’emparait alors du projet, mais en ce début juin, il a lui aussi jeté l’éponge. Le rendez-vous est donc définitivement annulé, fermant ainsi la possibilité d’une qualification olympique à des athlètes africains en mal de compétitions ?

Un habitué des come backs fulgurants, en un mois

Alors quand et où Taoufik Maklhoufi, déjà sélectionné officiellement pour Tokyo 21, fera-t-il son entrée en lice ? En Algérie, même si la rumeur dit qu’il prévoit d’annoncer prochainement son forfait olympique sur blessure, l’attente est forte autour de celui qui a si souvent fait honneur au pays, en ramenant moult médailles.

D’autant que Taoufik Makloufi a habitué ses fans à des come-back très rapides, pour se hisser sur les plus gros podiums olympiques et mondiaux. Cette « disparition » pendant plusieurs mois de l’athlète n’est pas vraiment une nouveauté, dans le passé aussi, les autorités sportives algériennes ont souvent eu du mal à le contrôler, à avoir visibilité sur sa préparation et sur son programme de compétitions.

Fin 2015, la tension était ainsi déjà à son comble, mais Taoufik Makloufi avait brusqué les donnes. Pour la saison 2016, son entrée en lice, à Rabat, puis à Eugene, n’avait pas convaincu. Ce n’est que début juillet à St Maur, puis à Monaco le 15 juillet qu’il apparaissait comme réincarné. Un mois plus tard, il concluait à Rio avec deux fois l’argent olympique, sur le 800 m et sur le 1500 m.

La démonstration prenait encore plus d’acuité en 2019. Il avait alors été complètement absent de toutes les compétitions durant deux saisons complètes, 2017 et 2018. Deux années off, et d’un coup, il torpillait les repères. Il attaquait très timidement, sur 800 mètres, à la mi-juillet à Sotteville les Rouen. Mais fin août, il pointait en 3’31’’ au meeting de Paris. Et cinq semaines après, Doha le sacrait vice-champion du monde du 1500 mètres.

Ces Jeux 2021 verront-ils semblable explosion ? Il ne reste que très peu de jours à Taoufik Maklhoufi pour se muer en boomerang pour ses troisièmes Jeux Olympiques.

  • Texte : Odile Baudrier
  • Photo : D.R.

NDLR : Taoufik Maklhoufi et Philippe Dupont n’ont pas répondu à mes questions sur la préparation effectuée, et le planning de compétitions.

https://www.spe15.fr/philippe-dupont-cest-le-bouclier-de-makhloufi/
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