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Laila Traby risque un an de prison avec sursis 

Le Tribunal de Marseille a examiné cette semaine le volet judiciaire de l’affaire Laila Traby, médaillée de bronze sur 10000 m au championnat d’Europe en 2014, positive à l’EPO quelques mois plus tard, et suspendue trois ans. L’athlète licenciée à Martigues était mise en cause pour détention et acquisition de produits dopants, il a été requis un an de prison avec sursis. Le procureur a demandé une peine de 2 ans de prison avec sursis contre Salim Ghezielle, son manager, et Charaf Belamkaddem, son masseur, accusés de détention et cession de produits dopants.

Presque huit années se sont écoulées depuis que Laila Traby a reçu la visite des gendarmes et de la contrôleuse de l’Agence Française Anti-dopage, pour une perquisition du chalet de Font Romeu où la vice-championne d’Europe du 10000 mètres était alors en stage.

Presque une décade pour que le volet judiciaire de cette affaire aboutisse devant le Tribunal de Marseille en ce début septembre 2022, et que ses trois protagonistes, Laila Traby, Salim Ghezielle, Charaf Belamkademm, se voient contraints de s’expliquer sur leur implication.

Heureusement, la justice sportive est déjà passée par là pour stopper ces errements. Au printemps 2015, l’AFLD a suspendu Laila Traby pour trois ans, sanction aggravée par son refus de se soumettre au contrôle. Ce n’est qu’après avoir été placée en garde à vue à la gendarmerie de Prades que l’athlète avait été contrainte à accepter les prélèvements, urinaires, et sanguins, qui allaient révéler la présence d’EPO.

Une suspension de trois années qui allaient marquer le glas de son effarante carrière, Laila Traby affichant déjà 35 ans en 2014 lorsqu’elle faisait irruption au plus haut niveau français, puis international. En quelques mois, cette inconnue, qui valait autour de 2 minutes sur 800 m dans ses meilleures années, absente des pistes pendant quatre ans, devenue mère de deux enfants, et naturalisée française à la faveur de son mariage avec Jacky Traby, avait opéré une OPA sidérante sur les titres nationaux, deux fois championne de France de cross, et de 5000 m, puis en bronze sur 10000 mètres au championnat d’Europe.

Une nouvelle vie, avec une formation à l’hijama et à l’esthétique

Depuis, Laila Traby a définitivement tourné le dos à l’athlétisme. Elle s’est bâtie une toute autre vie, avec d’abord, en octobre 2018, une formation à l’hijama, cette méthode de soins par les ventouses, qu’elle a suivie au Maroc, en compagnie de son nouveau mari, Youssef Kamali, puis avaient suivi une formation de massage du ventre, et plus récemment, à l’esthétique. Elle déploie la même énergie qu’à l’époque de sa carrière sportive pour multiplier les posts sur les réseaux sociaux pour vanter ses réussites, affirmant que ses soins auraient permis à plusieurs femmes de régler leur infertilité.

Elle s’affiche même en décembre 2018 en photo au milieu d’une équipe médicale au Centre Hospitalier d’Avignon, où elle a présenté la technique de l’hijama. A l’identique de son habitude de publier à gogo sa photo aux côtés du Président François Hollande, à l’occasion de la cérémonie officielle offerte à l’Equipe de France à son retour du Championnat d’Europe de Zurich.

En ce début septembre, au Tribunal de Marseille, elle est méconnaissable. La photo diffusée par Nicolas Chaix-Bryan FTV la montre, seule, enceinte de son quatrième enfant. Il est aisé pour elle d’expliquer au Procureur, qu’elle a changé de vie, comme elle me l’avait déjà affirmé en août 2018, lorsque je l’avais interrogée sur son éventuel retour sur les pistes à la fin de sa suspension : « Pour le moment, je pense pas reprendre l’athlétisme. Je viens de faire une autre vie loin du sport. Je me suis mariée, et pour le moment, je profite de la vie avec mon mari. Et on verra plus tard si j’y retourne à l’athlétisme. Quand il y a le talent, toujours c’est possible de retourner plus forte qu’avant. Mais on verra ça plus tard. »

Mais la justice n’a cure de tels revirements. Les faits sont bien là, pour la mettre en cause pour la détention et l’acquisition de produits dopants. La perquisition du chalet de Font Romeu n’a laissé place à aucun doute pour la double championne de France, avec la découverte d’EPO et de « Totamine », un sérum d’acides aminés et d’électrolyte, non dopant à condition de ne pas dépasser un dopage excessif. Son opposition au contrôle est également caractérisée, elle a nié être Laila Traby et a désigné à sa place une amie présente.

L’enquête patiemment menée pendant plusieurs mois par l’OCLAESP a permis de démêler un écheveau compliqué organisé autour de Laila Traby. Il a fallu procéder par élimination entre les personnes de son entourage. L’analyse de son téléphone, puis ses aveux, ont désigné Salim Ghezielle, comme son pourvoyeur. Il est alors son manager pour le compte de « Agon Sports International » de l’Espagnole Monica Pontchafer. Il est aussi bien connu comme l’ex-mari de Bouchra Ghezielle, elle-même suspendue pour dopage à l’EPO en 2008 !

Un protocole de dopage avec des codes

Les échanges Whats’app dévoiles durant le procès s’avèrent sans ambiguïté, comme le révèle le journaliste Laurent d’Ancona dans la Provence. Plusieurs éléments s’apparentent à un protocole de dopage, comme ce « tableau sur 31 jours partagés par Ghezielle, portant des noms de vitamines autorisées, mais aussi de simples posologies laissant deviner des produits illégaux ». Certaines phrases sont révélatrices : « Il y a de quoi couvrir pour que ça se voit pas » ou « si tu me ramènes le truc, je les pulvérise. » Il est également démontré que Laila Traby effectuait des analyses de sang sous une fausse identité, et les transmettait à Salim Ghezielle.

Charaf Belamkademm, lui, était alors le masseur de Laila Traby. Il a été également, comme Salim Ghezielle, son amant. Et l’avocat de celui-ci n’hésite pas à invoquer la jalousie comme mobile à la dénonciation par Laila Traby des deux hommes. C’est oublier un peu vite que des produits, EPO et hormones de croissances, ont également été retrouvés à Clermont Ferrand dans le frigo de Charaf Belamkademm, qui soutient qu’il les a ramenées du Maroc en pensant qu’il s’agissait de vitamines…

Face à ces errements, le Procureur ne s’y est pas trompé, il a réclamé deux ans de prison avec sursis et 10.000 euros d’amende contre Salim Ghezielle et Charaf Belamkademm, et un an avec sursis et 5000 euros d’amende contre Laila Traby.

Laila Traby en stage avec Jama Aden en 2014

Dommage tout de même que la juge de Marseille n’ait pas accepté que l’enquête de l’OCLAESP soit étendue vers l’Espagne, pour inventorier la responsabilité d’un autre homme. Celle du très sulfureux Jama Aden, qui était l’entraîneur de Laila Traby depuis quelques mois lors de son titre européen. L’athlète de Martigues avait tourné le dos à Nourredine Ghezielle, qui l’avait épaulée lors de son come-back, présent à ses côtés lors de sa victoire au France de cross. Nourredine Ghezielle le frère de Salim, ex-entraîneur de Samir Dahmani et de Clémence Calvin, avait à l’époque beaucoup argumenté pour faire croire à la « propreté » de sa protégée, et réfuter les critiques sur sa progression brutale et tardive.

Malgré tout, Laila Traby s’était rapprochée de Jama Aden, alors coach de plusieurs des meilleurs athlètes mondiaux, comme Genzebe Dibaba, et également entraîneur national du Qatar.

Laila Traby avait même rejoint à deux reprises le Team de Jama Aden, à Sabadell dans la banlieue de Barcelone, en juillet 2014, et septembre 2014, pour quelques jours de stage. Ces éléments ont été révélés par l’enquête de la police espagnole conduite après l’interpellation de Jama Aden, en juin 2016, à l’hôtel de Sabadell. La perquisition menée alors avait permis la découverte d’EPO Eprex et de Totamine. Exactement les mêmes produits que ceux saisis à Font Romeu en novembre 2014, avaient souligné les policiers espagnols dans leurs rapports officiels, établissant un lien fort avec Laila Traby. Sans oublier aussi du pointer du doigt les relations entre Jama Aden et Salim Ghezielle, officiellement pour des raisons liées à la fonction de manager du Français.

Au printemps 2018, la justice espagnole avait annoncé envisager une demande de 4 ans contre Jama Aden. Quatre ans plus tard, le dossier demeure encore en sommeil dans les arcanes des tribunaux espagnols. L’entraîneur somalien, lui, s’est fait oublier un moment du monde de l’athlétisme, mais a effectué un retour au plus haut niveau l’année dernière avec une nouvelle médaille olympique, l’argent sur 10.000 m pour Kalkidan Gezahegne, pour le compte du Bahrein !

Avec Laila Traby, Jama Aden avait obtenu une nième médaille en grand Championnat, et le coach l’avait aussi amenée d’entrée sur de hauts niveaux chronométriques sur piste, sur des distances qu’elle n’avait en réalité jamais courues. Le 10000 mètres du Championnat d’Europe de Zurich, couru en 32’26’’03, était ainsi sa première expérience, comme l’avait été quelques semaines plus tôt, son 5000 mètres à la Coupe d’Europe (15’48’’23).

Mais c’est bien dès le début de l’année 2014 que ses gros progrès étaient apparus, avec un chrono de 31’56’’ sur 10 km, à Abu Dhabi, marquant un gain de près de 3 minutes. Elle évoluait alors sous la houlette de Nourredine Ghezielle, avec en arrière-plan, Salim Ghezielle et son masseur Charaf. De ce trio, deux noms se sont donc distingués durant l’enquête. Leur sanction, et celle de Laila Traby, sera connue le 5 octobre.

  • Texte : Odile Baudrier
  • Photos : GB et FB

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