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L’AFLD fait appel de la suspension d’Ophélie Claude-Boxberger

L’AFLD n’est pas satisfaite de la suspension de 2 ans prononcée à l’encontre d’Ophélie Claude-Boxberger, et a donc déposé un appel auprès du Conseil d’Etat. C’est une première, qui témoigne de l’indépendance de la commission des sanctions, qui non seulement, n’a pas suivi la demande de 8 ans de suspension, mais a même réduit la suspension de moitié par rapport aux 4 années « habituelles » en cas de contrôle positif. Ophélie Claude-Boxberger est ainsi autorisée à reprendre la compétition dès novembre 2021, mais demeure encore dans l’incertitude de la décision finale du Conseil d’Etat.

Un appel de sa propre décision. Le raccourci est fâcheux mais il ne pourra manquer d’être fait pour qualifier le dépôt par Dominique Laurent, la présidente de l’AFLD, d’un recours pour contester la suspension prononcée à l’encontre d’Ophélie Claude-Boxberger après l’audience du 15 mars par la Commission des Sanctions.

C’est la première fois qu’une telle situation apparaît depuis la création de cette Commission, en septembre 2018, dans l’objectif de garantir aux sportifs une séparation entre les pouvoirs de poursuites et les pouvoirs de jugement. Ceci pour éviter la critique passée du « juge et partie » qui avait été pointée du doigt en février 2018 par le Conseil Constitutionnel, sur le jugement d’un cavalier Axel Narolles.

Ce nouveau cadre était présenté comme une garantie que les sanctions revenaient à des « indépendants » de l’instance anti-dopage. Et jusqu’à ce début 2021, il est certain que peu d’éléments permettaient de faire apparaître de dissensions entre les services de l’AFLD, chargés de détecter les sportifs tricheurs, et les 10 membres de la commission, présidée par le conseiller d’Etat, Rémi Keller.

La commission des sanctions veut assoir son indépendance

Au point d’ailleurs que Rémi Keller avait tenu à faire une mise au point auprès d’Ophélie Claude-Boxberger, au début de l’audience du 15 mars, qu’il réfutait l’idée développée par son avocat de l’incompétence de cette commission : « J’ai vu dans les conclusions de votre conseil et dans la presse que vous déclarez comparaître comme coupable. Vous avez ainsi déclaré que c’est en qualité de condamnée que vous comparaissez. Non, Madame, vous êtes ici car le collège de l’AFLD a engagé des poursuites contre vous. Vous avez face à vous des juristes, des compétences, une ancienne sportive de haut niveau. Et notre commission est bien indépendante. »

Un préalable fort pour défendre cette commission, et qui apparaît un tantinet prophétique à l’analyse de la sanction décidée contre Ophélie Claude-Boxberger. Deux ans de suspension seulement face à une demande formulée par le juriste de l’Agence de 8 années, sur la base d’une double violation des règles anti-dopage, le contrôle positif à l’EPO, ET la manipulation d’Alain Flaccus, pour l’inciter à se déclarer auteur de l’injection d’EPO.

Pour la patronne de l’AFLD, la sanction n’est pas proportionnée

Le camouflet apparaît fort pour l’AFLD. Dominique Laurent ne s’en cache pas en soutenant auprès de Gilles Simon de l’Equipe que « la sanction n’est pas proportionnée ». Et elle n’a pas omis aussi de rappeler comme motif à ce dépôt d’appel « le devoir d’exemplarité dans la perspective des JO 2024 et l’obligation d’appliquer le code mondial anti-dopage ».

Justement, le code pose une règle simple et universelle : contrôle positif à l’EPO = 4 ans. Or tout récemment, deux contrôles à l’EPO se sont traduits en France par une suspension réduite à deux ans, celle de la cycliste Marion Sicot, après prise en compte de sa qualité de victime du harcèlement subi par son directeur sportif, et celle d’Ophélie Claude-Boxberger.

Selon nos informations, ce sont les éléments liés au contexte difficile de la vie de la steepleuse, dans son enfance et adolescence, qui auraient été pris en compte par la Commission des Sanctions pour alléger la sanction, avec cette accusation pour viols qu’elle a déposée en octobre 2020 à l’encontre d’Alain Flaccus, qui est apparu très ambigu dans son témoignage du 15 mars.

Dominique Laurent sait parfaitement que ces délibérations « light » ne peuvent que déplaire au niveau de l’Agence Mondiale Anti-Dopage, et de l’Athletics Integrity Unit, toutes les deux garantes d’une certaine « équité » dans les suspensions, et qui auraient pu également se pourvoir en appel contre la décision. Même si l’Athletics Integrity Unit a connu, elle aussi, la situation où une violation de règles anti-dopage n’a pas reçu de sanctions de la part de « Sports Resolutions », son tribunal disciplinaire, également indépendant de l’AIU, comme dans le cas de Salwa Eid Naser. Et l’AIU a d’ailleurs fait aussi un appel, cette fois devant le Tribunal Arbitral du Sport.

Une crise interne à l’AFLD, entre Rémi Keller et Dominique Laurent

Visiblement la présidente de l’Agence se retrouve au cœur d’une crise interne sérieuse, avec cette tension avec Rémi Keller, le « président des sanctions ». Celui-ci avait d’ailleurs vivement mis à mal durant la commission Antoine Marcelaud, le juriste de l’agence, qui était apparu très hésitant pour expliciter sa demande d’un doublement de la suspension, au motif qu’Ophélie Claude-Boxberger aurait demandé à Alain Flaccus de s’accuser. Avec pour seul argument, les déclarations d’Alain Flaccus de septembre 2020, où il explicitait les directives qui lui auraient été données par la jeune femme.

Cependant, avec un personnage aussi versatile qu’Alain Flaccus, d’autres preuves de ce « complot » ne pouvaient qu’être attendues par la Commission des Sanctions. Selon nos informations, certains éléments de l’enquête de l’OCLAEPS permettraient d’éluder tout rôle actif à Alain Flaccus dans l’injection. Mais le long travail réalisé par les gendarmes anti-dopage, qui ont mené de très nombreuses recherches matérielles et auditions, demeure encore dans le secret de leur dossier déposé auprès du Tribunal de Paris depuis le 22 décembre 2020.

L’enquête de l’OCLAESP non utilisable par l’AFLD

Ceci en respect strict des règles qui ont été imposées par le Parquet de Paris, qui avait refusé de répondre favorablement à la demande de Dominique Laurent auprès du Président du Tribunal, que les pièces du dossier puissent être remises à l’AFLD, en soutien à la procédure sportive.

L’illustration de deux points de vue opposés entre les protagonistes de la lutte anti-dopage, la justice et les instances sportives, qui est d’ailleurs apparue clairement durant le Colloque Pour un sport sans dopage, organisé par le CNOSF-AFLD début avril.

Mathieu Téoran, qui venait juste de quitter son poste de secrétaire général de l’AFLD, y avait défendu le besoin d’informations sur les enquêtes pénales menées, afin que les décisions administratives de sanctions sportives puissent être prises rapidement : « Les temporalités ne sont pas les mêmes. L’AFLD doit pouvoir sortir rapidement les personnes impliquées dans les trafics pour rétablir l’intégrité sportive. Et parfois, côté pénal, des enquêtes au plus long cours, pour démanteler les réseaux. »

Le colonel Ludovic Ehrhart, adjoint chef, avait confirmé, lui, la position de l’OCLAESP : «La victime est l’athlète. L’enquête judiciaire vise à démanteler les trafics sous l’autorité des magistrats. La temporalité est différente. Il y a la règle de l’équité sportive et la règle pénale, qui veut condamner tous les acteurs qui poussent le sportif à se doper. Un sportif a une carrière de quelques années, un coach comme le Docteur Sainz a été actif pendant près de 50 ans… Les athlètes passent. Les malfrats restent. Pour nous, gendarmes, une belle enquête se finit dans un prétoire ». Et il avait également admis que même si les relations AFLD/Gendarmerie n’étaient pas toujours simples, une meilleure collaboration avec l’AFLD devrait être relancée dans l’optique de Paris 2024.

Le service d’enquêtes AFLD s’étoffe

Les donnes de cet équilibre sportif/judiciaire pourraient-elles être modifiées par l’ajout donné à l’AFLD de la compétence de mener des enquêtes ? L’ordonnance du 22 avril 2021 sur la mise en conformité au code mondial anti-dopage a intégré ces pouvoirs d’enquête, réclamés par l’AFLD depuis plus d’une année. Car comme l’avait souligné Damien Ressiot, le patron de ce service d’enquêtes, durant ce même colloque : «Le Code Mondial de l’AMA prévoit 11 infractions. Une seule est liée à un résultat analytique anormal (contrôle positif). Les 10 autres doivent être étayées en recueillant des informations par les enquêtes qui doivent justifier les violations. » Même si certains spécialistes anti-dopage ne dissimulent pas un certain scepticisme sur les réelles possibilités que procureront ces nouveaux pouvoirs, qui risquent de buter sur l’impossibilité de disposer d’écoutes téléphoniques, de mise en place de filatures….qui demeurent autant de méthodes réservées aux forces de l’ordre, sous contrôles des magistrats.

Ces nouvelles possibilités d’investigations devraient pouvoir être utilisés pour le dossier Ophélie Claude Boxberger, qui peut être complété jusqu’au moment où le Conseil d’Etat s’en saisira, probablement dans quelques mois. Dans l’immédiat, c’est l’audience du 6 mai sur la plainte d’empoisonnement déposée par Ophélie Claude-Boxberger contre Alain Flaccus qui devrait permettre une meilleure visibilité sur les aspects judiciaires de cette affaire. Et leurs possibles utilisations sur le volet sportif.

  • Texte : Odile Baudrier
  • Photo : D.R.

MISE AU POINT DE M. REMI KELLER

Dans l’article que vous avez publié le 28 avril 2021 sous le titre « L’AFLD fait appel de la suspension d’Ophélie Claude-Boxberger », vous laissez entendre que la sanction prise par la commission des sanctions à l’égard de Mme Claude-Boxberger s’inscrirait dans le cadre dune « crise interne à l’AFLD entre Rémi Keller et Dominique Laurent ».

Je tiens à affirmer non seulement que la commission des sanctions prend ses décisions en toute indépendance, comme vous le soulignez d’ailleurs dans votre article, mais qu’il va de soi qu’elle ne saurait prendre en compte des éléments qui n’auraient rien à voir avec les affaires sur lesquelles elle est amenée à se prononcer.

La décision prise à l’égard de Mme Claude-Boxberger ne saurait donc en aucun cas avoir été influencée par des circonstances extérieures, que ce soit par une prétendue crise interne à l’AFLD ou par tout autre élément étranger aux faits sur lesquels la commission devait se prononcer. Il s’agirait là d’une faute inadmissible au regard de l’équité et d’une grave méconnaissance de notre mission au service du sport et de la lutte contre le dopage.

Je vous remercie de bien vouloir porter cette précision à la connaissance de vos lecteurs.

Rémi Keller,

Président de la commission des sanctions de l’Agence française de lutte contre le dopage.