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Les chronos féminins explosent, grace a la technologie. mais le dopage rode aussi

Les chronos féminins du marathon se sont affolés en 2023, avec un record du monde porté à 2h11’53 en septembre par l’Ethiopienne Assefa. Le constat est le même dans tous les pays, y compris la France, où les performances exceptionnelles s’accumulent, comme le récent marathon de Valence en a fourni une démonstration forte. Il est certain que la révolution technologique des chaussures profite largement aux femmes, sans oublier non plus que le dopage rôde aussi en embuscade, comme en témoignent les nombreuses suspensions des Kenyanes et Ethiopiennes.

Un record du monde – 2 femmes sous les 2h14’ en 2023.

Le phénomène avait débuté dès l’année 2022, avec deux chronos sous les 2h15’, une marque qu’on a longtemps cru réserver aux hommes. Certes la Kenyane Brigid Kosgei avait ébranlé ce repère à Chicago en 2019 avec 2h14’04’’, mais l’assaut de la fin 2022 avec Ruth Chepngetich (2h14’18’’) et Amane Shankule (2h14’58’’) avait marqué une vraie rupture qui allait se confirmer en 2023.

Fin septembre, le record du monde est littéralement explosé par l’Ethiopienne Tigst Assefa qui balaie d’un revers toutes les « barrières » en se propulsant en 2h11’53’’ avec une allure finale de la spécialiste de 800 mètres qu’elle avait été à ses débuts. Deux semaines plus tard, Sifan Hassan se distinguait avec 2h13’44’’, un chrono apparaissant jusque récemment inaccessible à une femme…

Entre 2022 et 2023, ce sont 12 femmes qui ont fait irruption dans le top 20 mondial de tous les temps. Pour comparaison, le record du monde de Paula Radcliffe (2h15’25’’) avait tenu de 2003 à 2019, et sa « seconde », Mary Keitany, pointait en 2h17’01’’. Elles sont maintenant 5 à avoir fait mieux que la Britannique et 11 que la Kenyane.

Autant de progressions qui détonnent dans une discipline où les spécialistes avaient plutôt l’habitude de patienter très longtemps avant de grapiller des minutes sur leur record personnel.

Les performances s’envolent en France

Pour la France, le mouvement s’est vraiment marqué en 2023, et surtout à la faveur du marathon de Valence de début décembre. Quatre Françaises ont terminé sous les 2h26’, avec de nouveaux records personnels. Mekdes Woldu y a confirmé avec 2h24’, les jeunes Melody Julien (2h25’) et Manon Trapp (2h25’45’’) ont révélé de gros potentiels. C’est peut-être le résultat de la Française Fadouha Ledhem qui gagne 13 minutes à 36 ans pour réussir 2h25’47’’ qui a provoqué la plus grosse surprise.

Résultat : sept femmes ont intégré le TOP 20 de tous les temps, un bilan longtemps demeuré poussif, où la référence demeurait un chrono sous les 2h30’. Pour les JO de Tokyo 2021, une seule marathonienne avait intégré l’Equipe de France, Susan Jeptoo Kipsang avec 2h28’48’’ (elle allait être suspendue pour dopage un mois seulement après les JO). Pour ceux de Rio 2016, comme pour Pékin en 2008, Christelle Daunay était la seule représentante française, avec 2h26’55’’ en 2016 et 2h28’24 en 2008. A Londres, aucune Française ne s’était qualifiée.

En 2004, à Athènes, l’Equipe de France féminine était au complet avec Corinne Raux (2h29’16), Habida Gadi (2h30’38) et Rkiya Maraoui Quetier (2h31’23). Pour les Jeux de Paris, ce sera donc la première fois depuis 20 ans que la FFA n’aura que l’embarras du choix pour bâtir son équipe de trois marathoniennes. Deux places seront attribuées dès la fin janvier, en principe, à Mekdes Woldu et Melody Julien. Le troisième ticket sera choisi fin avril et s’annonce très convoité.

Carbone + poids = révolution ??

La révolution de la chaussure bénéficie particulièrement aux femmes, c’est l’observation faite par de nombreux techniciens. Leur foulée serait très gagnante des nouveaux modèles, elles se classeraient parmi les « super responder », qui profitent particulièrement des gains de la technologie.

Pourtant les spécialistes s’accordent pour estimer que les gains des modèles carbone sont difficiles à chiffrer. D’abord parce que ces études ont évidemment été effectuées sur des coureurs n’appartenant pas à l’élite mondiale. Ensuite, les résultats varient dans des proportions impressionnantes selon les modèles. Certaines études estiment que les progrès se situent entre 0% et 6%. Soit pour une marathonienne à 2h25’, un gain variant entre 0 et 8 minutes, pouvant amener à un chrono de 2h17’.

Les chiffres divergent grandement, mais tous les témoignages des athlètes concordent sur deux éléments : les nouvelles chaussures boostent la foulée, pour maintenir une allure élevée avec moins d’effort et la récupération des entraînements est bien plus facile. La fatigue moins grande autorise à augmenter les kilométrages. Et cela pour des coureurs et coureuses de tous les niveaux.

Ainsi pour la France, pour 2023, les performances recensées sur les bilans de la FFA parlent toutes seules : dans le top 100, ce sont 58 femmes qui affichent un nouveau record personnel.

Le carbone, mais aussi le poids de la chaussure, ce serait l’équation gagnante qui aurait amené l’Ethiopienne Assefa vers ce record du monde du marathon stratosphérique : elle aurait gagné les minutes et secondes à la faveur du gain de 50 à 60 grammes apporté par son modèle adidas Adizero Adios Pro Evo1. Pourtant, comme pour le carbone, les chercheurs n’ont pas pu livrer une corrélation stricte entre poids et gain de performance. Une étude montre un gain de 1.1% par 100 grammes dans l’utilisation d’oxygène. Une autre évoque 4 à 5% d’augmentation. Alors comment conclure à l’impact de l’allègement de 50 à 60 grammes du modèle adidas ?

Les femmes marquées par le dopage

Mais le suivi de l’actualité du dopage laisse apparaître une vérité plutôt dérangeante : Les dernières suspensions provisoires prononcées par l’AIU se révèlent très « féminisées » dans les pays dominateurs du demi-fond et marathon : 14 femmes sur les deux derniers mois, incluant à nouveau des références, comme l’Ethiopienne Tsehay Gemechu, 2h16’ sur marathon, suspendue la veille de disputer le marathon de Valence, l’Ougandaise Prisca Chesang, double médaillée de bronze junior sur 5000 m, les Kenyanes Maurine Chpekemoi, record de 2h20, Joyce Chepkemoi, 1h05’ sur semi, Brenda Chebet, championne du monde sur le relais mixte en cross.

Le constat se révèle implacable pour le Kenya : sur les 65 athlètes kenyans actuellement suspendus, on retrouve 40 hommes et 25 femmes. Les chiffres dévoilent bien que les coureuses du Kenya sont particulièrement touchées par le dopage.

Des éléments factuels qui confirment une utilisation large des produits interdits chez les athlètes féminines. L’histoire du dopage, en particulier du bloc de l’Est, a bien montré que les femmes constituaient une « cible » particulière pour les dopeurs, tant les produits se révèlent efficaces pour booster leurs performances. L’élément sociétal de la domination des athlètes femmes par leur entourage masculin favorise également ces dérives : conjoints, managers, médecins, frères, autant de proches tentés de jouer aux apprentis sorciers avec elles, avec en ligne de mire les énormes primes financières distribuées sur les marathons à travers le monde. Avec l’égalité, évidemment légitime, entre les primes hommes/femmes, la possibilité pour une femme de vivre du marathon apparaît plus rapidement. D’où l’envie de ces personnes peu scrupuleuses d’utiliser la coureuse comme leur marionnette…

  • Analyse : Odile Baudrier
  • Photos : D.R.