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Pourquoi le hurdler Happio a été suspendu 18 mois pour des no shows

La décision complète motivant la suspension de 18 mois de Wilfried Happio pour des contrôles manqués a été publiée par l’Athletics Integrity Unit. Le hurdler, multi champion de France, vice-champion d’Europe 2022, champion d’Europe Espoir et junior, pourrait contester cette décision devant le Tribunal Arbitral du Sport. Pour sa défense, il a en particulier avancé l’argument d’une sonnette ne fonctionnant pas à son domicile. Wilfried Happio est le 4ème Français suspendu pour ce motif de manquements aux règles de localisation, il rejoint Amaury Golitin, Mouhamadou Fall et Mehdi Frère.

Trois contrôles manqués en 5 mois ! Le constat est costaud, et il apparaissait peu probable que Wilfried Happio puisse obtenir gain de cause auprès de l’Athletics Integrity Unit. Surtout qu’il a été largement démontré dans les affaires passées que l’AIU ne passe à l’offensive sur un athlète que lorsque les éléments lui semblent suffisamment étayés pour obtenir une sanction.

Le ton avait été donné dès la fin janvier, lorsqu’il avait été connu que l’AIU avait prononcé une suspension provisoire à son encontre. Car dans les cas de manquements aux règles de localisation, celle-ci n’est pas obligatoire. Mais il s’avère que l’AIU la décide systématiquement au vu de la solidité des dossiers qu’elle instruit.

La situation avait été la même pour le marathonien Mehdi Frère, suspendu provisoirement début juin 2024, puis définitivement mi-juillet 2024. Car après Mehdi Frère, Wilfried Happio est le deuxième athlète français soumis à la juridiction anti-dopage de l’Athletics Integrity Unit et non pas à celle de l’AFLD, compte tenu que les deux hommes faisaient partie à la fois du groupe cible AFLD et de celui de l’AIU.

Trois fois absent lors de la visite du contrôleur anti-dopage

L’affaire Happio démarre le 10 mai 2024 lorsque le contrôleur anti-dopage se présente à son domicile à St Maur à 7 heures. Mais son épouse l’informe que le hurdler est alors à Doha, où il dispute le même jour le Meeting Diamond League. C’est le premier manquement, et le seul que l’athlète reconnaîtra d’ailleurs officiellement.

Elle rebondit le 29 mai, où un contrôleur se présente à son hôtel à Ostrava, où Wilfried Happio s’est officiellement localisé, puisque disputant le meeting la veille. Mais là encore, il est absent, déjà en route vers l’aéroport, et il s’en expliquera plus tard, invoquant un imbroglio avec l’application Adams, qui aurait empêché l’enregistrement de la plage horaire souhaité pour son contrôle. L’AIU n’estimera pas cette explication suffisante pour annuler ce deuxième manquement.

Et c’est le 17 octobre 2024, que le troisième manquement est constaté, avec à nouveau un contrôleur qui arrive le matin à 6h05, (créneau demandé par l’athlète entre 6h et 7h) et qui ne reçoit aucune réponse à ses coups de sonnette répétés pourtant toutes les 5 minutes entre 6 heures et 7 heures.

L’excuse de la sonnette, et l’attaque du contrôleur anti-dopage.

Wilfried Happio et son avocat, Anthony Mottais, du cabinet Derby Avocats, vont concentrer leur défense autour de ce 3ème contrôle raté, en mettant en cause avec force le contrôleur anti-dopage, qui est accusé « manifestement, le contrôleur n’a pas mis tous les moyens raisonnables en œuvre pour rentrer en contact avec moi ». En particulier, il estime que celui-ci a « manifestement mal actionné la sonnette », dans la mesure où ni sa femme, ni sa locataire ne l’ont entendue. Il diligente même un huissier pour constater que la sonnette s’entend depuis l’extérieur de la rue.

Et de mettre en cause le contrôleur qui aurait dû comprendre que la sonnette ne marchait pas, et aurait dû alors ouvrir le portillon du jardin pour accéder à la maison. Ou encore d’insister sur le fait que le contrôleur aurait dû le joindre au téléphone pour l’informer de sa présence.

Autant d’explications qui ne sont pas nouvelles et qu’on a vu circuler dans d’autres dossiers d’athlètes mis en cause pour ce même motif. Sans être jamais pris en compte. D’autant que le contrôleur en question peut se targuer d’un total de 9000 contrôles à son actif, avec 600 contrôles par an. Et celui-ci a témoigné de son respect strict des règles : à savoir ne pas ouvrir une porte sans instruction officielle pour ne pas risquer la violation de propriété privée, et ne pas appeler au téléphone l’athlète à contrôler, compte tenu des directives officielles de l’agence mondiale anti-dopage.

Une décision de 40 pages pour conclure à une suspension de 18 mois

C’est le 10 avril 2025, lors de l’audience devant « Sports Resolutions », le tribunal disciplinaire de World Athletics que les deux parties ont pu faire valoir leurs arguments auprès des trois membres du Tribunal.

Et l’Athletics Integrity Unit a pris soin d’étayer son dossier, en ajoutant « qu’à plusieurs reprises dans le passé, y compris au cours de l’année 2024, l’athlète n’aurait pas respecté ses obligations en matière de localisation, indépendamment des trois manquements constatés officiellement. En particulier, des erreurs répétées dans le renseignement de ses informations de localisation ont été commises pour des évènements ayant eu lieu en juin 2024, après le deuxième manquement, et à quelques mois des JO de Paris 2024, alors qu’il aurait dû être en haut état d’alerte et plus vigilant. » Et sa conclusion est sans appel : « cela témoigne d’une insouciance significative de l’athlète quant à son devoir de se conformer aux règles ».

Une vie personnelle et sportive très chargée, pour justifier ses manquements

En face, Wilfried Happio s’est justifié de ce laxisme en invoquant une vie personnelle et sportive très chargée, entre ses études de kiné, la rénovation de sa maison, la naissance de son enfant, en parallèle de son entraînement et de ses compétitions.

Autant d’éléments pris en compte par le Tribunal Disciplinaire qui estime que ces éléments factuels peuvent expliquer ces manquements et le laxisme constaté dans la gestion de son approche de l’anti-dopage, et souligne « Le panel n’a pas de preuve que l’athlète ait intentionnellement tenté d’éviter les contrôles ».

D’où la décision d’une suspension allégée, de 18 mois, au lieu des 2 années revendiquées par l’AIU. Wilfried Happio devient ainsi le quatrième athlète français suspendu pour ces motifs liés aux localisations. Un chiffre important compte tenu qu’au total dans le monde, à date, l’AIU recense 21 athlètes sanctionnés pour ces irrégularités.

A 26 ans seulement, Wilfried Happio a également défrayé l’actualité dans sa sphère privée, à plusieurs reprises, pour des faits de violences sur femmes. Le hurdler a fait l’objet en décembre 2024 d’une plainte officielle d’une ex-compagne pour des faits de violence conjugale commis entre 2018 et 2019. Il avait déjà été accusé publiquement de violence par deux femmes, une triple sauteuse pour des coups reçus en août 2020, puis en juin 2022, par une athlète de l’INSEP, pour agression sexuelle. Les deux plaintes avait été classées sans suite.

  • Analyse : Odile Baudrier
  • Photo : D.R.