Aller au contenu

Polémique autour de Sharon Lokedi, après sa victoire au Marathon de New York

La victoire surprise de Sharon Lokedi au Marathon de New York a créé polémique. Pour son premier marathon, la Kenyane de 28 ans, basée dans le Texas, remporte une épreuve du World Marathon Majors, alors qu’elle ne faisait pas partie des athlètes du Programme de Tests, et n’a subi que deux tests avant le marathon.

La victoire surprise d’une débutante, sur le Marathon de New York, ne pouvait que créer la polémique dans le contexte de défiance croissante à l’égard du Kenya. Certes Sharon Lokedi n’est pas tout à fait une inconnue, avec à son actif, un titre NCAA sur 10.000 mètres, en 2018, puis cette année, des marques de 31’ sur 10 km à Manchester et de 1h08’ sur semi à New York.

Mais ces références n’apparaissent connues que des seuls initiés, tant ces performances passent quasi-inaperçues dans un contexte d’intense boom chronométrique cette année. Sharon Lokedi n’avait d’ailleurs terminé que 4ème sur le 10 km de Manchester en mai et sur le semi de New York en mars.

Et donc pas vraiment de quoi attirer les radars de l’anti-dopage. C’est ainsi que Sharon Lokedi a pu remporter l’une des six épreuves du World Marathon Majors sans avoir été intégrée dans le « Programme de Tests » bâti par l’Athletics Integrity Unit pour garantir à ces Majors que leur top élite est bien surveillée.

Sharon Lokedi, 48ème performeuse mondiale au printemps

En deux chiffres, Brett Clothier, le patron de l’Athletics Integrity Unit, a justifié les raisons de cette absence : Sharon Lokedi pointait en 48ème position mondiale après son semi-marathon de mars. Et le programme de tests pour les World Majors ne concernait cette année que 80 athlètes : 40 hommes et 40 femmes.

La logique est imparable, mais elle n’empêche pas la polémique. Matthew Futterman, le journaliste du New York Times, a passé à la moulinette les disfonctionnements de l’anti-dopage, qui permettent à une Kenyane débutante de 28 ans de s’imposer sur une telle épreuve, avec à la clef un chèque de 100.000 dollars, sans n’avoir connu aucune des contraintes imposées aux top athlètes.

Il y a d’abord cette diminution du nombre d’athlètes intégrés dans le programme de l’AIU pour les marathons majeurs. Le COVID a provoqué une baisse des budgets concédés à l’AIU pour cette mission, avec par ricochet, un échantillon d’athlètes plus réduit. A titre de comparaison, l’AIU veut monter à 150 hommes et 150 femmes en 2023. L’année 2022 offrait donc une belle « fenêtre » aux potentiels tricheurs…

Les athlètes s’entraînant dans un pays étranger sont moins testés

Le « cas » Sharon Lokedi dévoile aussi au grand jour le sérieux disfonctionnement de l’anti-dopage pour les athlètes s’entraînant dans un pays étranger. La jeune femme est arrivée en 2015 aux Etats-Unis pour intégrer l’Université du Kansas, qu’elle a quitté fin 2018. Elle partage maintenant sa vie entre le Kansas, Flagstaff en Arizona, et aussi son pays natal, le Kenya, où elle a effectué sa préparation pour New York.

En parallèle, elle ne fait pas partie du groupe cible de l’AIU, et les choses ne sont pas claires au niveau du groupe cible de l’Agence Anti-Dopage du Kenya. Une situation qui ne permet pas l’USADA, l’agence anti-dopage US, de la contrôler dans ses résidences américaines, comme l’a expliqué Travis Tygart au New York Times : « Nous demandons régulièrement l’accès en temps réel aux informations sur les localisations, pour nous assurer que les athlètes étrangers qui s’entraînent ou font des compétitions aux USA sont correctement testés, mais nous n’avons pas cet accès. Nous ne pouvons nous assurer que les athlètes qui disputent les NCAA sont correctement testés. »

Du côté du Kenya, Matthew Futterman a rencontré Silence Radio, l’AKAD n’a pas apporté de réponses à la question du groupe cible, et du nombre de tests. Un mutisme plutôt dommageable de la part du Kenya, qui se trouve dans l’œil du cyclone depuis quelques semaines, avec une explosion du nombre de contrôles positifs des athlètes kenyans.

Dans cette liste qui s’étoffe chaque semaine, les vainqueurs des grands marathons majeurs ne manquent pas, comme Diane Chemtai, victorieuse à Boston en 2021, et suspendue récemment pour trois ans.

Les World Marathon Majors avantagent les Wheelchairs

Avec par ricochet, la décision brutale prise par les World Marathon Majors de réduire fortement les montants financiers distribués au top Elite du classement sur les six MAJORS.

C’est donc une baisse considérable qui a été adoptée, avec une prime revenant aux deux leaders fixée à 50.000 dollars au lieu de 250.000 dollars, et cela avec effet immédiat. C’est au lendemain du marathon de Berlin, où il venait de réaliser le record du monde, qu’Eliud Kipchoge a été informé de cette nouvelle mesure !

Le circuit World Marathon Majors a ainsi opéré un virage radical, avec à sa création, en 2006, une dotation globale de 1 million d’euros, et 500.000 dollars à chaque vainqueur, et le projet de monter à 2 millions d’euros. Mais c’est tout l’inverse qui s’est produit, avec une première diminution de la prime des leaders à 250.000 dollars en 2018, et maintenant 50.000 dollars, soit 10 fois moins qu’au début.

Un revirement en partie imputable à la volonté du circuit de favoriser le plus grand nombre de coureurs, avec l’attribution de médailles aux finishers des 6 Majors, et l’attribution de primes substantielles aux athlètes en fauteuil roulant. C’est ainsi que désormais, les leaders Runners et les Wheelchair empochent le même montant de 50.000 dollars.

Le problème du dopage n’est évidemment pas étranger à cette nouvelle politique. Force est de constater que le programme mis en place par l’AIU, et financé par les Majors, n’a pas complètement évité de voir des podiums souillés par les tricheurs.

Officiellement, en avantageant les Wheelchair, les World Major veulent jouer la carte de l’inclusion, même si quelques esprits rebelles n’ont pas manqué de souligner que ce choix revient à privilégier un public « blanc », tant la pratique du sport en fauteuil concerne surtout les personnes des pays « développés ».

Et on pourrait aussi ajouter que le dopage n’est pas complétement absent du sport handisport, avec très régulièrement des suspensions pour usage de produits interdits…

  • Analyse : Odile BAUDRIER
  • Photo : DR
Étiquettes: