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Pas de suspension pour le Kenya

Il n’y aura pas de suspension imposée au Kenya. World Athletics n’a pas pris de décision à l’encontre du Kenya, malgré la vague de dopage qui submerge le pays depuis le début de l’année, avec plus de 40 cas positifs. La situation kenyane, très différente de la Russie, où le dopage résulte d’une démarche étatique, et les engagements pris par le gouvernement kenyan sur les moyens déployés en faveur de l’anti-dopage, ont conduit à cette décision. Une suspension aurait provoqué l’écroulement de toute une économie au Kenya.

Une décision qui interrompt les spéculations sur la suspension du Kenya par World Athletics, qui aurait provoqué l’interdiction de compétitions pour les athlètes kenyans à travers le monde entier.

Les craintes étaient montées d’un cran suite à une lettre du Ministre des Sports du Kenya, Ababu Namwamba, qui demandait expressément à Sebastian Coe de ne pas prononcer de décision brutale contre le Kenya. Cela en dépit d’une situation catastrophique : l’on parle d’au minimum plus de 40 contrôles positifs cette année. Car le Kenya s’est tout récemment décidé à révéler qu’environ 30 athlètes étaient actuellement suspendus ou en cours de suspension sur des décisions de l’Agence Anti-Dopage du Kenya.

Jusqu’alors, l’AKAD ne divulguait pas les identités des athlètes suspendus par le Kenya, et il n’apparaissait au grand jour que les sanctions prises par l’Athletics Integrity Unit. Mais le contexte très négatif de cette année 2022 a incité la directrice de l’AKAD à révéler cette liste au journaliste de « The Standard », Jonathan Komen.

Ces dernières semaines, la panique s’était emparée du Kenya à l’idée qu’une suspension puisse lui être imposée. Le Ministre des Sports Ababu Namwamba , nouvellement nommé en septembre, avait affiché une attitude offensive face à cette situation, en annonçant la criminalisation des faits de dopage. Paul Tergat, qui préside le Comité Olympique du Kenya, avait trouvé judicieux d’organiser des formations auprès des médecins et pharmaciens, souvent pointés du doigt dans les affaires de dopage, pour les informer sur les problématiques de cette dérive et pour aborder leur rôle dans le combat contre le dopage.

Mais tout cela arrivait après des années de déni de la part des autorités officielles du Kenya, qui ont toujours préféré minimiser la situation.

Le déni du dopage, chez les Kenyans et les managers étrangers

Le site norvégien Anti-doping World le rappelle, il avait été la cible de Barnabas Korir lorsqu’en avril 2020, il avait révélé, photos à l’appui, que des seringues étaient retrouvées au sol autour du stade d’Iten. Barnabas Korir, l’une des « figures » de la Fédération d’Athlétisme du Kenya, n’avait pas hésité à parler de mensonges dans une tribune publiée par « Daily Nation ».

C’est en 2011 que le premier reportage réalisé au Kenya par le spécialiste allemand de l’anti-dopage, Hajo Seppelt, avait dévoilé l’usage répandu du dopage dans le pays, avec l’appui de médecins et pharmaciens véreux. Et là aussi, l’accueil des officiels de l’athlétisme du Kenya avait été très hostile.

Tout ce refus d’admettre le recours très massif au dopage, au Kenya, et également chez les managers étrangers travaillant, qui préfèrent opter pour l’idée d’un dopage très peu répandu,  n’a pas permis de structurer une vraie politique de lutte contre les dérives, même si l’Agence Anti-dopage du Kenya a déployé beaucoup de moyens pour informer à titre préventif les milliers d’athlètes kenyans.

Barnabas Korir et les autres officiels kenyans ont eu beau jeu de s’indigner et d’appeler à l’aide le président du Kenya, William Rutto. Le pays a laissé se dégrader cette activité qui pèse très lourd sur le plan économique. « The Standard Media » avance le chiffre de près de 90 millions d’euros pour les sommes rapportées au Kenya chaque année par l’athlétisme, à travers les contrats marques, primes d’engagements, prize money… Et ces millions souvent investis dans des business kenyans génèrent ensuite une grosse activité économique, en particulier dans la zone Eldoret-Iten.

La suspension a pu être évitée, au vu des moyens alloués par le Gouvernement du Kenya à l’Agence Anti-Dopage du Kenya, qui a reçu une dotation de 5 millions de dollars par an pour mieux organiser sa lutte contre les mafias, désignées par sa directrice comme responsables du dopage.

Toutefois la perte de confiance engendrée par cette explosion de cas de dopage est réelle. Les Kenyans et les managers étrangers impliqués dans la gestion de grosses « écuries » d’athlètes kenyans se renvoient la balle pour se rendre responsables d’une situation amorcée depuis plusieurs années. La stratégie de l’autruche a trouvé ses limites…

  • Texte : Odile Baudrier
  • Photo : Gilles Bertrand