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Mouhamadou Fall, Tobi Amusan, les no shows encore sur la sellette

Mouhamadou Fall a finalement été relaxé par la Commission des Sanctions de l’AFLD, qui a rejeté la demande d’une suspension en raison de trois manquements de localisation. Au même moment, la Nigériane Tobi Amusan, championne du monde des haies en titre, a été suspendue provisoirement par l’AIU pour cette même raison. Deux affaires qui après celle d’Amaury Golitin, suspendu lui quatre ans, confirment la difficulté de bien comprendre les décisions prises sur des procédures lancées pour des manquements de localisation.

Faut-il vraiment lancer des procédures contre les sportifs pour des motifs de manquements de localisation ? Oui et encore oui, c’est la position de l’Athletics Integrity Unit qui a affiché clairement depuis sa création en 2015 qu’elle utiliserait toutes les possibilités offertes par le Code Mondial Anti-Dopage pour contraindre les athlètes douteux à l’arrêt sportif. Très vite, les manquements de localisation se sont donc inscrits à son panel de décisions. Avec parfois des actions retentissantes. Comme pour Christian Coleman, qui, disculpé dans un premier temps par l’USADA sur un point très technique, a finalement été sanctionné de deux ans d’arrêt. L’AIU n’a pas vraiment dissimulé qu’elle avait traqué le sprinter américain, alors champion du monde en titre, pour obtenir qu’un troisième manquement soit constaté dans le délai de 12 mois.

Depuis, les sanctions pour ce motif se sont succédées, parfois sur des athlètes de grand renom, comme pour Salwa Eid Nasser, alors championne du monde en titre du 400 mètres pour le Bahrein, ou maintenant sur Tobi Amusan, une autre championne du monde en titre, sur le 100 mètres haies, et recordwoman du monde depuis l’année dernière (12 »12). Car l’AIU n’a pas de complexes à bousculer des athlètes de top niveau mondial.

Côté français, la position a été beaucoup plus prudente, et la première procédure pour manquements de localisation a été lancée en 2018 contre Sofiane Selmouni. C’était alors la découverte pour le demi-fondeur et beaucoup d’observateurs de la complexité de ce système qu’on résume souvent alors par « no shows ». Car en réalité, un seul no show avait été constaté contre Sofiane Selmouni, suite à des retards d’avion lors d’un stage fédéral au Portugal. Et pour lui aussi, il était surtout question de lieux et d’horaires mal remplis et d’une certaine négligence de sa part.

Les avocats de Mouhamadou Fall plaident le harcèlement et la négligence

La négligence, c’est justement l’argument principal adopté par les trois avocats de Mouhamadou Fall devant les membres de la Commission des Sanctions de l’AFLD. Le sprinter et ses conseils avaient refusé ce printemps la proposition de l’AFLD d’une suspension de deux ans, en préférant se défendre face à cette commission indépendante. Un choix tactique qui a très bien payé, puisqu’au final, le président Rémi Keller a livré un verdict de relaxe. En s’appuyant sur le refus du 3ème manquement, celui de juin 2022.

Cette histoire peut se lire sous deux prismes. Mouhamadou Fall est de retour en France pour disputer le meeting de Paris. Mais fidèle à ses mauvaises habitudes de « négligence », il est demeuré localisé aux Etats-Unis. Toutefois un préleveur diligenté à l’INSEP pour le contrôle d’un sportif le croise à l’INSEP et il est alors constaté par l’AFLD cette discordance de sa localisation. Et pan, voilà le numéro 3, qui permet d’enclencher la procédure.

Cette sévérité était-elle vraiment justifiée ? Non, répondent les détracteurs de cette procédure. Car l’AFLD avait toute latitude de faire contrôler Mouhamadou Fall sur place à Paris, et n’a pas souhaité recourir à ce test. C’est donc la confirmation du « harcèlement » de l’AFLD et de sa volonté d’orienter les procédures « à la tête du client ».

Et c’est bien le hiatus de ces procédures lancées sur la base des manquements, car les témoignages ne manquent pas pour souligner les nombreux bugs de la plate forme Adams constatés à l’utilisation par les athlètes, qui compliquent ou retardent les modifications dans les localisations, ou encore la complexité des formulaires où le moindre loupé est traqué par les services juridiques de l’AFLD.

Victor Conte, un orfèvre en dopage et en technique d’esquive

Alors bienveillance ou rigorisme ? Les deux positions s’affrontent. Mais à l’occasion de la suspension provisoire de Tobi Amusan, le journaliste irlandais Cathal Dennehy a apporté un éclairage très intéressant sur ce dossier. En publiant une lettre rédigée en 2008 par l’Américain Victor Conte pour expliquer le dopage du Britannique Dwain Chambers. L’Américain est le fondateur du laboratoire Balco, pourvoyeur en produits illicites en particulier pour Marion Jones et Tim Montgomery.

Dans cette lettre, il détaille comment les athlètes dopés « jouent » avec les contrôleurs pour éviter un prélèvement en pleine cure : « D’abord, l’athlète appelle plusieurs fois son propre téléphone jusqu’à ce que la messagerie soit pleine. Ainsi l’athlète peut soutenir au contrôleur qu’il n’a pas eu son message quand celui-ci l’a appelé lorsqu’il ne l’a pas trouvé à l’endroit où il devait être à l’heure prévue. »

Puis il explicite le 2ème point : « Ensuite il fournit une information incorrecte sur son formulaire de localisation. Il dit qu’il va à un endroit et il va à un autre. Juste après, il commence à utiliser la testostérone, l’hormone de croissance et d’autres dopants pour un cycle de 2 à 3 semaines. Puis il arrête d’utiliser les produits quelques jours et quand il sait qu’il peut être testé « propre », il se rend disponible à nouveau et retourne à son lieu d’entraînement normal ».

Cette méthode que Victor Conte a nommé « DUCK and DIVE », à traduire en «S’ESQUIVER », et il insiste : « Un athlète peut continuer avec « Duck and Dive » jusqu’à ce qu’il ait deux tests manqués, ce qui signifie qu’il peut continuer à utiliser les dopants jusqu’à ce moment-là ».

Un éclairage intéressant de cet orfèvre en dopage, qui soutient être maintenant reconverti dans la lutte anti-dopage…

  • Analyse : Odile Baudrier
  • Photos : D.R.
  • (1) Amaury Golitin a reçu une suspension de 4 ans, en raison de la falsification de documents produits pour justifier son absence lors d’un contrôle en juin 2021
  • (2) Tobi Amusan a été supprimée de l’Equipe du Nigéria pour le Mondial de Budapest qui débute dans quelques jours, le 19 août 2023.
  • (3) L’AFLD a fait appel auprès du Conseil d’Etat de la décision de relaxe prise par la Commission des Sanctions de l’AFLD, qui est en réalité une commission indépendante. A titre de comparaison, en justice pénale, cela correspond à l’appel effectué par le Procureur de la République sur une décision prise par un Tribunal et qui ne correspond pas à sa demande de sanction