L’annonce du contrôle positif de Joyline Chepngeno à son arrivée victorieuse à Sierre Zinal a provoqué une réaction inédite de l’organisation de l’épreuve, qui a interdit de compétition Julien Lyon, l’entraîneur suisse de la kenyane, ainsi que son groupe, les Milimanis Runners. Le team du Kenya évoluait sous les couleurs de Salomon, et une structuration forte avait été mise en place, en particulier avec les conseils de Blaise Dubois, de la Clinique du Coureur, et d’Adrien Séguret, l’entraîneur national de la FFA. Mais les mauvaises habitudes ont la vie dure…
Le camouflet a été terrible pour l’organisation de Sierre Zinal, avec l’annonce pour la deuxième fois d’un cas de dopage constaté à l’arrivée de l’épreuve. En 2022, l’épisode Mark Kangogo avait déjà été particulièrement douloureux, car l’épreuve avait dû faire face la même année à la disqualification d’Esther Chesang. La Kenyane l’avait emporté mais on apprenait quelques mois plus tard qu’elle avait couru alors qu’elle était suspendue depuis plusieurs mois.
L’organisation de Sierre Zinal prenait alors la décision de modifier radicalement son règlement pour y intégrer des clauses qui impliquent solidairement les coachs, les managers et les équipes si un de leurs athlètes est contrôlé positif. Et ces mesures très particulières sont donc dès maintenant appliquées à l’encontre de Julien Lyon et de son équipe les Milimanis Runners. A savoir : le remboursement des frais de déplacement et hébergement de Joyline Chepngeno, et pour le futur, la suspension de Julien Lyon de toute implication dans Sierre Zinal, ainsi que l’interdiction de ses athlètes de participer à l’épreuve.
Julien Lyon, une surprise totale face à cette situation
Une décision unique, tant les entraîneurs et managers sont systématiquement exonérés de toute sanction lorsqu’un de leurs athlètes est suspendu. Julien Lyon a pris de plein fouet cet engagement de Sierre Zinal, et a saisi toutes les occasions pour s’insurger et se justifier. C’est ainsi qu’on a pu l’entendre s’exprimer auprès de la Tribune de Genève, au micro de Julien Gilleron pour RelanceMag.fr, et dans une visio réalisée par la Clinique du Coureur. Son avocat, Fabien Mingard m’a également transmis ce 15 septembre un communiqué où il affirme « que ni lui-même personnellement, ni sa structure Milimani Runners ne sont mis en cause dans le cadre de ce contrôle anti-dopage positif, contrairement à ce que le communiqué de presse de Sierre Zinal du 9 septembre laisse penser ».
Dans toutes ses interventions, le coach suisse a répété sa surprise face à cette situation, répétant à l’envi l’étonnement de découvrir que Joyline Chepngeno avait eu recours à une prise d’un corticoïde Triamcinolone Acetonide, suite à des douleurs au genou, sans l’en informer. Alors même que comme il le souligne sans relâche : « On leur rappelle qu’ils doivent se montrer extrêmement vigilants sur la prise de toute médication, de nous en parler en amont. »
Car le groupe des « Milimani Runners » évolue dans un cadre bien fixé, celui d’un Team Professionnel sous les couleurs de Salomon. Avec en corollaire, des moyens importants mis en œuvre. Comme ceux déployés par la Clinique du Coureur, où le boss, Benoît Dubois, a été présent trois fois au Kenya pour des camps d’entraînement et formations, et également pour l’organisation de l’Iten Trail. Dans ce cadre, il avait d’ailleurs rencontré Joyline Chepngeno à plusieurs reprises pour des problèmes liés à son genou.
Adrien Séguret a établi des plans d’entraînement pour le groupe
Egalement intégré dans ce dispositif, un travail de coaching mené par Adrien Séguret, avec en particulier un stage de 10 jours au Kenya en avril, aux côtés de sa compagne Anne Lise Rousset. Celui-ci a répondu sans détour à mes questions sur cette collaboration : «J’ai été contacté par Salomon, qui veut structurer tout le Team international, avec médecin, kinés, staff médical, entraînement… Ils m’ont sollicité pour collaborer sur la partie entraînement trail pour le groupe Milimani. J’ai beaucoup réfléchi. Est-ce clean ? J’ai beaucoup demandé à Salomon, quelles mesures seraient mises en place pour que les choses soient sûres. J’ai accepté de collaborer à distance, pour proposer des séances d’entraînement. Puis nous sommes partis 10 jours en avril, en famille, pour que les enfants rencontrent les enfants de l’association Simba for Kids. On a passé beaucoup de temps à tracer des parcours, des segments pour que Julien Lyon puisse les utiliser pour travailler telle et telle chose. Le but était de leur proposer des parcours pour palier à leurs faiblesses. Je ne suis jamais allé courir avec eux. Je n’ai pas fait de mesures physiologiques, mesures de VO2 ou autres. Je les ai seulement vus deux jours, car ils partaient au Golden Trail Series en Chine. C’était un travail de technicien. ».
Quant à ses relations avec Julien Lyon, il explicite : « Je l’avais rencontré dans le passé, j’avais logé chez lui deux fois avec des gens du club, et mené une action pour son association Simba for Kids, avec une aide pour la construction de maisons. Puis après l’histoire Kangogo, je me suis tenu à distance, et j’ai évité de retourner là-bas. Je l’avais revu une fois au Marathon du Mont Blanc.» Jusqu’à ce printemps donc, où il se trouve séduit par le projet Salomon. Il soutient avoir abordé avec Julien Lyon le problème du dopage, et avoir eu cette réponse de l’entraîneur suisse : « Il m’a dit, on fait plus gaffe. Ils tournent tous au même endroit, j’ai fait un training camp à côté de Simba for Kids, ils habitent tous ensemble. Je leur ai fait un point là-dessus, Salomon aussi. »
Toutefois, les relations entre les deux hommes vont se dégrader durant ce séjour, Adrien Séguret n’accepte pas que ses conseils ne soient pas pris en compte par le coach des Milamini, qui intègre, à sa guise, seulement certaines séances dans ses planifications. Après plusieurs mois, cet été, Adrien Séguret soutient avoir stoppé l’envoi des plans d’entraînement, et avoir informé Salomon de cette situation.
La Triamcinolone Acetodine, un produit prisé des Kenyans
132 athlètes du Kenya sont actuellement suspendus pour des faits de dopage. Et ils sont 20 à avoir été sanctionnés pour une utilisation de Triamcinolone Acetonide en compétition. On l’a retrouvé dans des échantillons prélevés à Boston, en Chine, à Kualu Lumpur, à Milan, à Djarkata, en Pologne, en Allemagne, au Portugal et également en France. Japeth Kosgei a été positive au Marathon Nice Cannes en novembre 2023, et Betty Lempus au Semi de Paris en septembre 2021.
L’usage au Kenya était devenu tellement répandu que l’Athletics Integrity Unit avait publié en octobre 2022 un communiqué de presse qui l’expliquait. Les chiffres étaient parlants : 10 Kenyans positifs à la substance entre 2021 et 2022, et seulement 2 contrôles positifs issus d’autres pays que le Kenya. Mais visiblement, cette alerte n’a servi à rien puisque les cas ont continué de plus belle, pour doubler le nombre de l’époque.
Par volonté de se doper, en bénéficiant du fameux effet coup de fouet que le « Kenacort Retard » peut apporter à l’effort en compétition ? Ou bien par simple ignorance au moment de se soigner ?
Ce point a été largement évoqué par Yann Schmitt, le Médecin lié à la Clinique du Coureur, qui avait été au Kenya ce printemps, comme par Julien Lyon, et les deux hommes plaident vers un manque d’informations des Kenyans, qui aurait recours au produit pour pouvoir faire des compétitions malgré les douleurs, à l’image de Joyline Chepngeno.
Dans cette zone grise pleine de mystères sur les vrais rôles de chacun, un seul élément est tangible : en Europe, le sportif aurait eu recours à une Autorisation Thérapeutique d’Usage, AUT, et aucune sanction n’aurait été prononcée. Mais il est notable que Joyline Chepngeno ne s’est nullement défendue, a accepté très rapidement sa suspension, sans se défendre. Certes, c’est une reconnaissance de son erreur, mais c’est également une excellente méthode pour éviter de fournir trop de détails sur le lieu d’achat du produit et sur le médecin qui l’aurait injecté, et protéger ainsi les acteurs de ce dopage.
Le jeu en vaut la chandelle
Les débats menés autour de cette suspension se sont cristallisés autour du manque d’éducation des athlètes du Kenya sur le volet des médicaments et de l’anti-dopage. Julien Lyon a largement expliqué combien ses protégés manquaient de connaissances et d’informations, d’où ce dérapage. Et de plaider pour un renfort encore plus important du travail d’éducation.
Une position qui apparaît tout de même peu défendable dans une optique de professionnalisation des équipes. Au Kenya, dopage = podiums = argent. Julien Lyon a d’ailleurs confirmé cette équation très simple, en mettant en perspective les primes empochées. Selon lui, une somme de 10.000 euros équivaudrait à 500.000 euros pour l’Europe : avec un salaire moyen de 124 euros par mois, le montant de 10.000 euros correspond à 7 ans de salaire. C’est évidemment énorme, et une véritable motivation au dopage. Ou, si l’on veut respecter la ligne de défense de Joyline Chepngeno, à se soigner avec n’importe quel produit pour pouvoir être au départ de la compétition. Pour rappel, la prime de Sierre Zinal est de 10.000 euros, comme celle du Marathon du Mont Blanc ou du Grand Trail des Templiers, et de 5000 euros pour l’OCC.
Avec de tels enjeux financiers, comment croire qu’il suffira d’un peu plus d’éducation pour parvenir à renverser la vapeur ? Cela semble d’une grande naïveté, à considérer aussi qu’au Kenya, ils sont légion à tourner autour des athlètes à fort potentiel pour les inciter aux dérapages avec l’espoir de récupérer une partie des gains empochés.
Une véritable politique de contrôles menée par les Teams devrait être imposée pour détecter en amont les problèmes, en fixant aussi l’obligation d’une vraie visite médicale d’aptitude à la compétition. Le problème de genou de Joyline Chengeno était bien connu de l’équipe de la Clinique du Coureur, du coach Julien Lyon, et par ricochet du Team Salomon. Un véto médical aurait pu être donné, évitant peut-être cette situation. Ceci à condition évidemment que le statut fixé par la marque Salomon pour le groupe Milimani Runners le permette.
Quel cadre administratif et financier pour les Milimani Runners ?
Toutefois, mes questions sur ce cadre administratif et financier n’ont pas reçu de réponse de la part de Julien Lyon, et il demeure ainsi des questionnements sur le mécanisme de reversement des primes obtenues dans les épreuves européennes, et sur les éventuels bonus revenant au coach dans ces situations. Mais Julien Lyon préfère opter pour le silence. Comme lorsqu’il s’est agi de fournir la liste des athlètes du Kenya qu’il coache et manage. Il n’a pas souhaité non plus confirmer ou infirmer une information selon laquelle Judy Jelegat Kemboi faisait partie de son groupe d’entraînement. Or la spécialiste de course sur route, 1h05’43 au semi-marathon, qui avait empoché les victoires et podiums sur 10 km et semis, en Asie, comme en Europe, a été suspendue en août par l’AIU après un contrôle hors compétition revenu positif à l’Hydrochlorothiazide, un diurétique.
A mes questions sur ces différents points, Julien Lyon a préféré répondre par le communiqué officiel de son avocat, qu’il conclut en estimant que « la communication de Sierre Zinal porte gravement atteinte à son honneur et à sa réputation professionnelle ». Et de conclure qu’il se réserve d’agir par toute voie de droit utile pour obtenir réparation…
- Analyse : Odile Baudrier
- Photo : D.R.