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Le tsunami du dopage au Kenya, bientôt puni de prison ?

12 athlètes suspendus pour dopage en 40 jours. 5 marathoniens de top niveau mondial interdits en une semaine. Le dopage au Kenya a connu une véritable explosion en quelques semaines. Le groupe d’entraînement d’Eliud Kipchoge est éclaboussé. Le Ministre des Sports du Kenya veut qualifier de crime tous les actes liés au dopage. Et il annonce aux médecins et managers véreux que leurs jours sont comptés…

Des palmarès à gogo, avec des victoires sur les plus grands marathons ou semi-marathons de la planète. Les derniers coureurs épinglés par l’Athletics Integrity Unit comptent parmi les meilleurs mondiaux, et à mesure que l’AIU égrène leurs noms, la stupeur monte d’un cran. Au Kenya, comme à travers le monde entier.

Brett Clothier, le patron de l’AIU, a accepté d’expliquer la démarche de son instance, durant une émission à la télévision du Kenya, NTV. Et il a confié, en toute simplicité, la recette appliquée : « On observe les anomalies dans les passeports biologiques ». Il ne reste plus qu’à caler le contrôle au bon moment, et la tricherie explose au grand jour.

C’est ainsi qu’ont été piégés : Marius Kipserem (EPO), Ibrahim Mukunga Wachira (Norandrostérone), Keneth Kiprop Renju (Mehasterone), Betty Wilson Lempus (falsification contrôle), Diana Chemtai Kipyokei (Triamcinolone acétonide), Philemon Kacheran Lokedi (Testostérone), Mark Otieno Odhiambo (Methasterone), Félix Kipchumba Korir (Norandrostérone), Emmanuel Saina (Norandrostérone).

Parmi eux, quelques sacrées « pointures » : Diana Kipyokei, victorieuse du Marathon de Boston 2021, record à 2h22’, Betty Lempus, 1ère semi de Paris 2021, 2h23’ au marathon, Marius Kipserem, 2h04’, double vainqueur à Rotterdam, Philemon Kacheran, 2h05’, Emmanuel Saina, 2h05, Kenneth Renju, 58’35’’ au semi, 1er à Lisbonne, Prague et en mars dernier à Lille.

Quatre lièvres d’Eliud Kipchoge suspendus pour dopage

Dans cette longue énumération de noms, l’un d’eux a particulièrement attiré l’attention. Celui de Philemon Kacheran. Certes, il était un marathonien à 2h05’, mais plusieurs Kenyans suspendus cette année pouvaient se targuer de chronos équivalents. Mais Philemon présente surtout la caractéristique d’être partenaire d’entraînement d’Eliud Kipchoge, et d’avoir fait partie de l’escadre des lièvres formée en octobre 2019 pour épauler Eliud Kipchoge pour le fameux challenge INEOS 1.59, qui s’était conclu par le chrono de 1h59’40’’ (non reconnu officiellement par World Athletics).

Marius Kipserem

Et les observateurs les plus avertis n’ont pas manqué d’observer qu’il s’agissait du 4ème lièvre présent sur le circuit de Vienne à se voir rattraper par les instances anti-dopage. Les deux premiers, Alex Korio Oloitiptip, et Justus Kimutai avaient été sanctionnés en 2020, pour manquements aux règles de localisations. Ces derniers jours, quasiment au même moment, Marius Kipserem vient donc d’être suspendu trois ans pour l’EPO, et Philemon Kacheran, également trois ans pour testostérone, sanctions réduites pour avoir reconnu les faits.

Les noms des lièvres dopés sont supprimés du projet INEOS 1.59

Un quatuor dopé qui éclabousse Eliud Kipchoge ? Oui et non. Les trois premiers nommés, Justus Kimutai, Alex Korio et Marius Kipserem, n’étaient que de simples lièvres recrutés pour l’occasion, par l’équipe de Global Sports Communication de Jos Hermens, officiellement sans lien avec le camp de Kipchoge. Pour Philemon Kacheran, ce n’est pas tout à fait la même chose puisqu’il partageait au quotidien les séances du boss Kipchoge, dans le camp d’entraînement de Kaptagat géré par « Global Sports Communication ».

Toutefois c’est surtout la réaction du Team NN Running, qui n’a pas manqué d’interpeller. En réalité, l’équipe NN Running n’a publié aucun commentaire officiel. Elle a par contre pris soin de supprimer les noms des trois hommes, de la liste des pacers officiels de l’opération Ineos 1 :59. Ainsi après ce « nettoyage », il ne subsiste plus que 38 noms sur les 41 athlètes rassemblés pour l’occasion !

Philemon Kacheran, un fidèle partenaire d’Eliud Kipchoge

Mais une chose est de rayer des noms sur un site officiel, une autre est de faire disparaître la mémoire d’internet. On peut aisément retrouver via Google les photos de Philemon Kacheran, au coude à coude avec Eliud Kipchoge, durant un entraînement, tous les deux avec le survêtement marqué des logos NN et NIKE !

Un loupé médiatique plus que regrettable à l’actif de l’équipe qui entoure Eliud Kipchoge, qui s’impose définitivement comme le plus grand marathonien de tous les temps, double champion olympique, deux records du monde, 16 victoires sur 18 marathons courus en 8 ans, une longévité exceptionnelle, depuis son titre mondial sur 5000 mètres à Paris en 2003.

Quatorze ans plus tard, et à l’âge (théorique) de 37 ans, il brille encore au firmament, et annonce vouloir poursuivre jusqu’aux JO de Paris 2024. Quels seront les soubresauts autour de lui vécus d’ici là ???

Produits dopants = héroïne et cocaïne = prison

Car le tsunami du dopage constaté ces dernières semaines pourrait déboucher sur une petite révolution juridique au Kenya. A peine nommé, le nouveau Ministre des Sports, Ababu Namwamba, a affirmé vouloir que les produits dopants soient désormais considérés comme des drogues dures, et donc que leurs utilisateurs soient traités de la même manière que les trafiquants d’héroïne et cocaïne.

Une nouvelle orientation qui pourrait certainement dissuader certains de basculer dans cette dérive, surtout à considérer que le ministre Namwamba a également lancé une menace claire à destination des médecins et managers, kenyans et étrangers : « Vos jours sont comptés ».

  • Texte : Odile Baudrier
  • Photos : DR.