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Le syndrome de « l’excusite aiguë » dans le milieu sportif

Pour performer, certains sportifs peuvent basculer dans la triche. Philip Strong / Unsplash, CC BY-SA

Fabien Gargam, Assistant Professeur à Renmin University of China et Chercheur Associé à l’Université Paris-Saclay, poursuit ses recherches dans le domaine des tricheries dans le sport. Il détaille ici ce syndrome de « l’excusite » trop souvent retrouvé chez les sportifs qui pratiquent la tricherie, pour produire des « fake perfs ». Il dénonce cette méthode des adeptes de « l’entreprise du raccourci ».

L’excuse est consubstantielle à la nature humaine et reste tolérable jusqu’à un certain point. Au-delà se développe une culture de l’excuse où l’irresponsabilité prévaut.

Dans le milieu sportif, le syndrome de l’excusite aiguë a pris racine. Ce mal chronique affecte tout particulièrement les parties prenantes de l’entreprise du raccourci. Par cette expression, il faut entendre un processus dévoyé permettant la production de résultats sportifs plus rapidement ou hors d’atteinte naturellement. Son objet consiste à préparer les fake performeurs à délivrer des fake perfs. Cette entreprise rarement unipersonnelle implique la tricherie en employant des moyens physiologiques et/ou technologiques interdits pour être artificiellement plus performant toutes disciplines sportives confondues.

Bien que ce syndrome touche un grand nombre d’individus et d’organisations dans le milieu sportif à l’échelle mondiale, il demeure non formalisé à ce jour et nécessite donc une introduction explicite. L’adoption irréfléchie et l’emploi inconditionnel des termes dopage, dopé et leurs dérivés dénaturent la réalité et bloquent toute avancée. La mise à disposition d’un nouveau lexique incluant les concepts de fake perfs, fake performeur, producteur de fake performeurs et entreprise du raccourci ouvre la voie à la formalisation de phénomènes inconnus au bénéfice de l’intégrité sportive.

Des symptômes reconnaissables

Dès que la plupart des fake performeurs sont formellement confondus de manière directe ou indirecte, ils nient l’évidence et se trouvent une ou plusieurs excuses pour justifier l’état de fait.

Dans le domaine, il existe deux types d’excuses : l’excuse improvisée et l’excuse préméditée.

La première nommée représente une tentative de couverture ex post et la seconde, une tentative de couverture ex ante. Les excuses sont si courantes dans le milieu sportif qu’un ouvrage vient d’en publier un recueil. Ensuite, ces tricheurs prennent généralement la posture de victime en mobilisant le registre émotionnel de manière plus ou moins spectaculaire. Enfin, ils peuvent faire appel à un ou plusieurs avocats pour viser l’annulation totale ou partielle des sanctions qu’ils encourent.

Comment expliquer leurs comportements mimétiques ?

Un diagnostic saisissant

Les fake performeurs incarnent le dernier maillon de la chaîne de l’entreprise du raccourci donc ils subissent inévitablement l’influence des autres maillons en amont. Leur entourage direct composé de conseillers occultes, de médecins ou d’entraîneurs joue un rôle déterminant dans leurs faits et gestes. Ces derniers endossent le costume de professeur et initient progressivement les apprentis tricheurs à la production de fake perfs. Durant cette (dé)formation, les producteurs de fake performeurs veillent à ce que leurs élèves connaissent par cœur le chapitre consacré à l’anticipation.

Pour entrer dans le vif du sujet, voici une pièce à conviction rarissime et accablante. Bernard Sainz, alias « Docteur Mabuse », est un conseiller occulte de renom opérant dans le monde des courses cyclistes et hippiques. Déjà condamné dans le passé, il s’est fait prendre la main dans le sac durant ses cours individuels de manière irréfutable. Dans l’émission de télévision Cash Investigation, ce personnage sulfureux enseigne discrètement à un fake performeur muni d’une caméra cachée comment maquiller la prise d’une substance interdite au moyen d’une prescription médicale parfaitement légale en cas de contrôle positif. Il lui sert ainsi sur un plateau un argumentaire crédible pour échapper totalement ou partiellement à ses responsabilités si jamais les choses tournent mal.

De même, le docteur Richard Freeman vient d’être condamné et radié de sa profession le 19 mars 2021 par l’Ordre des médecins Britannique (GMC) pour fautes graves lorsqu’il occupait les fonctions de médecin de la fédération cycliste britannique (BC) et de l’équipe cycliste Sky.

Ce producteur de fake performeurs n’a pas hésité lors des audiences à mentir sur tous les points liés aux fake perfs. À titre d’exemple, il a soutenu qu’il ne connaissait pas les effets positifs de la testostérone sur la performance sportive. Pour ne pas être démasqué, ce médecin a même fait disparaître les preuves en sa possession en prétextant diverses raisons (premier ordinateur soi-disant volé, deuxième ordinateur détruit par lui-même pour cause de mal-être, troisième ordinateur inaccessible et messages supprimés sur son téléphone portable pour cause de cession).

Enfin, le coach Alberto Salazar associé au docteur Jeffrey Brown ont été suspendus quatre ans par l’agence antidopage états-unienne (USADA), le 30 septembre 2019, pour avoir enfreint plusieurs règles contre les fake perfs. Ce scandale éclaboussa Nike, le premier équipementier sportif au monde, et son PDG de l’époque Mark Parker. Plusieurs expériences interdites à visée performative sur des athlètes ont été réalisées dans leur centre d’entraînement (NOP) ce qui provoqua la fermeture de celui-ci. Acculés, le coach et le PDG affirmèrent que leurs essais avaient été menés pour éviter qu’une personne malintentionnée ne contamine leurs propres athlètes.

Résultat des courses, le retour sur investissement des excuses du docteur Richard Freeman et du coach Alberto Salazar et consorts s’avère mirifique. Effectivement, aucun de leurs protégés n’a été déclaré fake performeur à ce jour.

Un traitement inopérant

La sous-estimation des fake performeurs et des producteurs de fake performeurs est une grave erreur d’appréciation.

Trois membres de l’agence française de lutte contre le dopage (AFLD) en ont fait l’amère expérience lors du contrôle inopiné de l’athlète Clémence Calvin au Maroc qui s’est soldé par sa fuite puis sa condamnation. Quand un contrôle intervient dans la fenêtre de détection, les fake performeurs savent sur-le-champ que leur carrière sportive est en grand danger donc ils ne lésineront sur aucun moyen pour la sauvegarder.

Dans ce contexte, la force anticipatrice de leurs excuses crédibilise leurs mensonges et désarçonne le plus grand nombre au bénéfice du doute. Avec un grand sang-froid, certains d’entre eux atteignent les sommets de l’escalade de l’engagement. Paradoxalement, cela peut leur rapporter plus ou moins gros en obtenant l’annulation ou la réduction de leurs sanctions.

Deux réalités consternantes révèlent l’incapacité de traiter le syndrome de l’excusite aiguë dans le milieu sportif. Premièrement, les nombreuses exceptions aux règles tuent les règles. En théorie,

« Il incombe personnellement aux sportifs de s’assurer qu’aucune substance interdite ne pénètre dans leur organisme. Les sportifs sont responsables de toute substance interdite ou de ses métabolites ou marqueurs dont la présence est décelée dans leurs échantillons. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de faire la preuve de l’intention, de la faute, de la négligence ou de l’usage conscient de la part du sportif pour établir une violation des règles antidopage en vertu de l’article 2.1. »

Dans les faits, combien de décisions ont scrupuleusement respecté cette règle fondamentale ? Deuxièmement, le pourcentage de fake performeurs effectivement sanctionnés (entre 0 % et 1 %) par rapport au pourcentage de fake performeurs dans la nature (entre 14 % et 39 %) met en évidence un écart abyssal.

Comment le soigner autrement ?

Le syndrome de l’excusite aiguë dans le milieu sportif perdure parce qu’il bénéficie de conditions propices à son développement. Ne jamais perdre de vue qu’il faut être deux pour danser le tango.

Jusqu’à preuve du contraire, l’entreprise du raccourci est présente dans tous les sports et partout dans le monde. La sophistication des fake performeurs et des producteurs de fake performeurs exige que la lutte contre les fake perfs soit également sophistiquée et ce n’est pas le cas.

Le laxisme ambiant, la non-indépendance de l’agence mondiale antidopage (AMA), la fracture actée de la gouvernance mondiale et la corruption de fédérations sportives internationales entre autres permettent de saisir pourquoi le rapport de force entre le côté lumineux et le côté obscur tend irrémédiablement vers le sacro-saint statu quo.

Comment faire alors ? Dans le domaine des fake perfs, les beaux mots sont vides donc il convient de se fier aux actions effectivement menées dans la durée pour croire encore en quelque chose. Depuis 2017, l’unité d’intégrité de l’athlétisme (AIU) combat en son sein les dérives dont les fake perfs, indépendamment de la fédération internationale d’athlétisme (WA).

Le remarquable tableau de chasse de cette petite unité aux moyens financiers limités s’explique par le fait qu’ils emploient des moyens sophistiqués pour lutter d’égal à égal. Si tous les sports se dotaient d’une telle structure indépendante, on pourrait commencer à comparer le comparable et le grand public découvrirait médusé le véritable paysage des fake perfs par sport et par pays. Finalement, qui sont les premières victimes du syndrome de l’excusite aiguë ? Non pas les personnes atteintes de cette pathologie mais les athlètes intègres, une majorité silencieuse et négligée.

Fabien M. Gargam, Assistant Professor of Management, Renmin University of China et Chercheur Associé, Université Paris-Saclay

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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