En quelques semaines, les podiums de plusieurs courses françaises se voient bouleversés, suite à la suspension pour dopage de coureurs qui y ont brillé. L’Ougandaise Belinda Chemutai perd sa victoire au Festival de Cross de Carhaix de novembre 24 et sa 3ème place aux 5 km Asics Paris d’avril 24. La 6ème place de l’Espagnol Hamid Ben Daoud aux 10 km de St Grégoire disparaît. Et pour le Kenyan Nehemiah Kipyegon, ce sont quatre épreuves sur route qui sont touchées, Lille, Nancy, Nuaillé, Roanne.
L’Athletics Integrity Unit poursuit inlassablement son travail contre le dopage, même si son boss, Brett Clothier, n’a pas dissimulé récemment combien cette lutte était complexe à mener avec, face à l’instance, des tricheurs très bien organisés, et avec toujours une longueur d’avance… Malgré tout, les suspensions s’enchaînent au fil des semaines, avec une trentaine de sanctions prononcées depuis le début de l’année 2025, et fatalement, un impact sur les résultats de nombreuses compétitions à travers le monde entier. Par un hasard étonnant, trois décisions récentes ont ainsi bouleversé les résultats de plusieurs épreuves sur route françaises.
L’Espagnol Hamid Ben Daoud – l’incurie de l’anti-dopage espagnol
C’est en raison de l’incurie de la politique anti-dopage en Espagne que Hamid Ben Daoud a pu se présenter sans vergogne au départ des 10 kilomètres de St Grégoire à la mi-janvier, où il a terminé 6ème. En effet, les analyses de son passeport biologique démontraient l’utilisation de produits dopants avant le Marathon de Valence en 2018, où il avait couru en 2h10’, et avant le Mondial de cross 2019, où il avait terminé 53ème . Des irrégularités dûment constatées dès février 2020 par les experts, mais qui n’allaient se conclure que très tardivement par une suspension de 4 ans décidée par la CELAD, l’agence anti-dopage espagnole. Le patron de la CELAD, José Luis Terreros, n’ouvrait le dossier qu’en juillet 2023, comme pour Abdelaziz Merzougui, dans l’ambiance de grand laxisme de la CELAD.
Toutefois, petite injustice supplémentaire, comme cela a souvent été le cas en Espagne, le TAD, Tribunal Arbitral Espagnol, annulait cette sanction, en estimant que le cadre légal du passeport biologique ne pouvait s’appliquer en Espagne. Avec à la clef, un quitus donné à Hamid Ben Daoud pour poursuivre sa carrière. Et de la manière la plus honteuse, puisqu’on le retrouvait en 2h06’35’’ en décembre 2021, soit un nouveau record d’Espagne de Marathon, et à la mi-mars 2025, il devenait champion d’Espagne de Marathon en 2h06’49’’.
Ce n’est que tout récemment, début mai 2025, que le Tribunal Arbitral du Sport a enfin tranché sur ce dossier, pour confirmer la suspension de 4 ans de Ben Daoud (et de Merzougui). Mais cette décision tardive ne s’appliquera qu’à partir de juillet 2023, date d’ouverture officielle du dossier, et les résultats d’Hamid Ben Daoud ne seront gommés qu’après cette date. Sa 6ème place de St Grégoire disparaît donc, et plus important, son titre de champion national de marathon se voit attribué à Jesus Angel Olmos, 2ème Espagnol en 2h12’.
L’Ougandaise Belinda Chemutai – une suspension sur un échantillon B
La suspension de l’Ougandaise Belinda Chemutai ne doit rien au hasard, et tout à la volonté de l’Athletics Integrity Unit. Son cas est en effet plus que singulier : le 1er octobre 2023, Belinda Chemutai termine 19ème du Championnat du Monde de semi-marathon à Riga, et est soumise au contrôle anti-dopage. L’analyse du prélèvement se conclut pas la négative. Mais près de 18 mois plus tard, à la mi-mars 2025, l’Athletics Integrity Unit décide d’analyser l’échantillon B. L’instance informe alors l’athlète de cette démarche, plus qu’inédite. Habituellement, l’échantillon B demeure en réserve pour le cas d’un échantillon A positif et une demande de l’athlète.
Mais le travail de renseignement mené en permanence par l’AIU a provoqué cette analyse tardive. Et cette fois, l’échantillon parle pour révéler la présence de testostérone ! Belinda Chemutai est alors informée mi-avril 2025 et accepte sans discussion cette violation des règles anti-dopage. Avec à la clef, une suspension réduite de 1 an, soit 3 années qui débutent le 11 avril 2025 mais avec une perte de tous ses résultats depuis le 1er octobre 2023. S’envolent ainsi sa 12ème place sur 5000 m aux JO de Paris, plusieurs places d’honneur sur des courses en Autriche, Allemagne, Pays Bas, Serbie, Espagne. Et pour la France, sa 3ème place aux 5 km Asics de Paris en avril 2024, et sa victoire lors du 2ème Festival du Cross de Carhaix le 24 novembre 2024. C’est à Valence le 12 janvier 2025 que la carrière de cette jeune athlète s’est stoppée, mais à seulement 25 ans, elle pourrait reprendre après cette suspension écourtée…
Le Kenyan Nehemiah Kipyegon – infatigable tricheur sur les courses françaises
Le cas Nehemiah Kipyegon symbolise bien l’incroyable arnaque que mènent chaque semaine les coureurs du Kenya, accumulant les victoires et podiums à travers les épreuves sur route du monde entier. Avec souvent, cette question qui revient chez les observateurs les plus clairvoyants : quel crédit accorder à ces démonstrations de force ??
Ainsi Nehemiah Kipyegon a débuté sa « campagne » française à l’automne 2024, pour la reprendre au printemps 2025. Avec une succession de victoires, à Marcq en Baroeul le 22 septembre 24, au Lion 2024 à Montbéliard le 29 septembre 24, puis après une incursion en Allemagne sur le Marathon de Munich, le 13 octobre, il revient pour s’aligner aux 10 km de Montereau le 27 octobre.
Et puis l’histoire reprend à la mi-mars 2025, avec la 13ème place au semi de Lille le 16 mars, la 3ème place au semi de Nancy le 23 mars et au semi de Nuaillé le 30 mars. Puis une victoire aux 10 km de Roanne le 6 avril. « Tout Roanne court » marquera son ultime coup d’éclat avant la suspension de trois ans que l’AIU décide à la mi-mai 2025.
C’est à la suite d’un contrôle effectué le 15 février 2025 sur une compétition au Nigéria que de la trimetazidine a été découverte dans l’échantillon prélevé. Nehemiah Kipyegon n’a pas cherché de mauvaises excuses, et comme l’Ougandaise Belinda Chemutai, il a immédiatement accepté la décision de l’AIU d’une sanction, d’où cette réduction d’un an, en expliquant avoir effectivement utilisé la trimetazidine, sans en connaître l’aspect dopant. Il perd au passage ses derniers résultats, ceux du printemps 2025, mais conserve malheureusement ceux de l’automne 2024…
Le produit incriminé, la trimetazidine, est d’usage courant chez les Kenyans et ils sont actuellement une dizaine à être suspendus pour ce motif, pour ce produit classé par l’Agence Mondiale Antidopage dans la catégorie des modulateurs métaboliques et hormonaux. Nehemiah Kipyegon rejoint ainsi le bataillon très fourni des coureurs du Kenya suspendus, avec à date, 132 suspensions en cours.
Et pas des moindres. Ainsi son compatriote, Geoffrey Yegon, perd, lui, sa victoire au Marathon de Singapore, synonyme d’une prime de 45.000 dollars. Brimin Misoi, suspendu depuis novembre 24, avait remporté juste avant le marathon de Sydney, ainsi qu’à deux reprises celui de Francfort, avec 2h04’53’’. Les dernières sanctions prises par l’AIU confirment que la palette des athlètes du Kenya utilisateurs de produits interdits est très large, s’étalant du coureur moyen, capable de briller sur des courses régionales en Europe ou Asie, aux grosses pointures, dominateurs des épreuves de référence dans le monde entier.
La situation du dopage au Kenya ne s’est pas vraiment clarifiée ces derniers mois. Avec deux repères très significatifs. Le cri du cœur du Ministre des Sports qui a admis que le dopage débutait dès les scolaires, à la faveur de l’influence de personnes véreuses sur les jeunes talents.
Et l’avertissement lancé au coureurs étrangers par Peninah Wahome, la patronne de l’agence anti-dopage du Kenya, de ne plus résider dans des maisons isolées lors de leurs venues pour des stages au Kenya. En effet, l’arrestation d’un Indien à Iten a permis aux enquêteurs criminels d’obtenir des informations, qui ont révélé que la maison louée par cet Indien servait de plaque tournante pour des coureurs étrangers à la recherche de produits illicites.
Analyse : Odile BAUDRIER