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La situation du dopage au Kenya s’améliore-t-elle ?

La situation du dopage au Kenya s’améliore-t-elle, oui ou non ? La question est apparue sans réponse à l’issue du récent championnat du monde de Tokyo avec une moindre réussite du demi-fond masculin, saluée par Jimmy Gressier, mais une razzia des athlètes féminines. En parallèle, les signaux négatifs ne manquent pas, entre la suspension de Diana Chepkorir, l’une des meilleures mondiales sur 10 km, l’arrestation pour trafic de produits dopants d’un jeune Indien, sans oublier le cas de Joyline Chepgneno qui a confirmé que le dopage s’étend également au trail. Paradoxalement, cette affaire a pris beaucoup d’importance à la faveur de l’action menée par Julien Lyon à l’encontre de l’épreuve Sierre Zinal.

Fin avril, mon téléphone sonne et le nom de l’interlocuteur ne manque pas de me surprendre : Jimmy Gressier me joint depuis Potchefstroom en Afrique du Sud où il a rejoint le camp d’entraînement de la FFA. Il m’explique son irritation à observer la modification morphologique de certains Français( !!), et également d’Espagnols. L’appel m’étonne, mais encore plus quand Jimmy Gressier me félicite pour le travail effectué sur spe15.fr : « Cela permet de montrer à travers l’actualité que le dopage est puni. C’est un soutien pour les athlètes propres » Et il souligne aussi : « J’ai eu l’impression cet hiver que les Kenyans sont enfin prenables. Je pense que la lutte anti-dopage au Kenya a un impact. »

Des propos prémonitoires qu’il répètera quelques mois plus tard, après son exceptionnelle victoire sur le 10.000 mètres du Championnat du Monde. Jimmy Gressier frappe les esprits en déclarant : « L’Athletics Integrity Unit et le système Adams font un travail monstre pour remettre le niveau à plat, au lieu d’avoir des extraterrestres intouchables devant. Je leur dois aussi une partie de ma victoire. »

Brett Clothier satisfait de la lutte au Kenya

Le ton est donné, et Brett Clothier, le patron de l’AIU, n’hésite pas lui aussi à souligner combien les performances des athlètes du Kenya apparaissent moins scintillantes durant ces premiers jours du Mondial de Pékin. Un seul titre mondial revient au Kenya sur le demi-fond masculin (800 m), avec plusieurs vainqueurs surprises, et en particulier il leur échappe le 3000 mètres steeple, chasse gardée des Kenyans durant tant d’années, avec parfois un podium 100% Kenya, et qui revient cette fois au Néo Zélandais Géorgie Beamish.

Mais au bout de ces dix jours de championnat, force est d’admettre que la razzia se décline en mode féminin, avec tous les titres, du 800 mètres au marathon, qui reviennent à des Kenyanes… Au final, le Kenya termine au 2ème rang du bilan, derrière les Etats-Unis, avec 11 médailles, dont 7 médailles d’or. Le bilan apparaît plutôt mitigé.

72 femmes suspendues et 70 hommes…

Alors, pourquoi une telle distorsion ? L’analyse est complexe à mener. Toutefois il est visible que les suspensions pour dopage frappent particulièrement les athlètes féminines du Kenya. Pour preuve, il y a actuellement plus de femmes que d’hommes suspendus pour dopage, soit 72 femmes et 70 hommes ! Un nombre impressionnant qui témoigne d’une utilisation très large de dopants chez les femmes, puisque globalement, moins de femmes que d’hommes pratiquent à haut niveau au Kenya.

Dans les dernières années, ce sont d’ailleurs de très grands noms au féminin qui ont été pris en flagrant délit : Ruth Chepngetich, recordwoman du marathon, Jemima Sumgong, championne olympique du marathon, Rita Jeptoo, leader du World Marathon Major en 2014, Ruth Jebet, championne olympique du steeple (*). Tout récemment, c’est le nom de Diana Chepkorir qui a également choqué, s’agissant de l’une des meilleures mondiales sur 10 km route (29’56’’).

Joyline Chepgneno, une suspension très médiatisée

Paradoxalement, la suspension de la traileuse Joyline Chepgneno a également suscité de nombreuses réactions. Parce qu’il s’agit du premier cas de contrôle positif d’une femme dans le trail, une discipline jusqu’ici relativement épargnée, très certainement par l’insuffisance des contrôles. Egalement parce que l’épreuve de Sierre Zinal, où le prélèvement avait été effectué, a donné une large publicité à cette affaire, en y ajoutant une décision radicale, à savoir l’exclusion de Julien Lyon, entraîneur de Joyline, et de son team Milimani Runners. Ceci parce que Julien Lyon avait déjà connu la même situation, en 2022, avec Mark Kangogo, également positif à Sierre Zinal. C’est une attitude inédite de la part d’un organisateur, alors que sur les grands marathons ou meetings, les managers liés à des athlètes dopés continuent leur business sans aucune sanction.

Toutefois Julien Lyon conteste la sanction prononcée par Sierre Zinal, et a obtenu du Tribunal de Sierre la suppression par l’organisation sur la communication officielle de toute mention de son nom et de celui des Milimani Runners. Car l’entraîneur plaide pour son irresponsabilité totale dans l’utilisation par Joyline Chepgneno du corticoïde Triamcinolone Acetonide, qu’elle affirme avoir reçu en injection dans une pharmacie pour soulager la douleur sur un genou, à l’approche de Sierre Zinal.

Julien Lyon, un entraîneur incrédule ?

Julien Lyon a multiplié les interviews pour faire valoir son point de vue, et après avoir observé silence radio face à mes questions, a finalement accepté, le 18 septembre, de me répondre. Avec une certaine fougue pour témoigner de son parcours d’ancien athlète, de son engagement au sein de « Simba for Kids », une association d’aide aux enfants orphelins, de son choix de devenir d’entraîneur au Kenya, puis de constituer un team professionnel kenyan de trail, sous couvert de la marque ON puis Salomon.

Comme dans toutes ses prises de paroles, il plaide pour son ignorance de la dérive de Joyline, et adopte la position de l’enseignant ulcéré de voir que ses élèves ne respectent pas ses consignes, à savoir n’utiliser aucun médicament sans lui en référer. Pourtant le cadre fixé par Salomon intégrait la mise à disposition d’une équipe médicale, de physiologistes à travers Blaise Dubois de la Clinique du Coureur, d’entraîneurs, comme Adrien Séguret. Mais Julien Lyon souligne maintenant : « On avait un dispositif avec Salomon, mais c’était encore un projet émergent, avec des budgets extrêmement limités. J’avais un médecin à disposition, pour répondre à mes questions sur les médicaments que les athlètes souhaitaient prendre, surtout pour des rhumes, des antibiotiques. Il me donnait son accord, mais tout se passait à distance. Il n’y avait que moi sur place. Je n’avais pas forcément pris conscience de la gravité de la situation. »

Trop d’argent et trop de pauvreté

Et la situation n’est effectivement pas particulièrement saine dans un contexte où les athlètes du Kenya et leurs grandes capacités physiques représentent des cibles pour des personnes attirées par les gains qu’ils et elles peuvent collecter en disputant des épreuves à l’étranger. L’argument de la pauvreté est souvent avancé pour justifier les dérives. Comment y palier ? Justement la marque Salomon avait choisi de rémunérer chaque mois les membres du team MilimaniRunners. Julien Lyon ne souhaite pas communiquer le montant qui revenait à Joyline Chepgenego, affirmant simplement qu’il était confortable. Toutefois cela ne pouvait peser lourd face aux gains potentiels ramenés par les performances dans les compétitions : selon l’entraîneur, la double victoire de la jeune traileuse, à Sierre Zinal, puis à l’OCC, lui aurait ramené 40.000 euros, soit 40 ans de salaire pour le Kenya…

Alors quelles solutions pourraient être envisageables pour l’avenir ? Julien Lyon souhaiterait qu’une sanction pénale soit imposée par la loi kenyane pour effrayer plus les tricheurs, et également que Salomon impose aux membres de son Team des contrôles anti-dopage réguliers en-dehors de la compétition. Ce serait évidemment un garde-fou de taille, mais il faudrait aussi que les entraîneurs et managers européens stoppent avec cette idée d’irresponsabilité de leur part, plutôt arrangeante pour eux, et admettent aussi l’énormité de l’utilisation des produits interdits. Sur ce point, Julien Lyon joue plutôt à minimiser : « Moi, j’ai toujours voulu croire que globalement, les Kenyans étaient propres. Aujourd’hui, les chiffres montrent que c’est encore une minorité. Ils sont une trentaine cette année à s’être fait attraper. Il faut remettre dans le contexte. C’est 30 sur probablement 1000 qui vont courir hors du Kenya. Ca reste beaucoup trop, mais ce n’est pas la majorité. On ne parle pas de 30 sur 50. »

L’agence mondiale menace, puis pardonne

Une analyse plutôt surprenante s’agissant d’un entraîneur installé au Kenya, en prise directe avec une actualité qui égrène les dérives. Tout récemment, la presse kenyane s’est fait l’écho de la condamnation à trois ans de prison d’un jeune Indien de 19 ans, pour possession et vente à Iten de produits dopants, hormone de croissance, meltonium, mannitol, seringues, qui confirme que le dopage fait partie du business « sale » dans ce pays, qu’il est temps que la justice kenyane s’active et que le Président William Rutto ne se contente pas d’un discours convenu sans renforcer les moyens de l’agence antidopage du Kenya.

Le grand gendarme mondial, l’Agence Mondiale Anti Dopage, a lui aussi les moyens d’agir mais après avoir envisagé des sanctions contre le pays, l’agence mondiale a finalement annoncé il y a deux jours que ses menaces de sanctions seraient sans suite…

  • Analyse : Odile Baudrier
  • Photo : Gilles Bertrand

Les liens entre Julien Lyon et Judy Kemboi

Julien Lyon a été relié à une autre suspension récente, celle de Judy Jelagat Kemboi, sanctionnée en août 2025, et dont il a été le coach. Cette jeune athlète de 26 ans, qui vaut 1h05’43 sur semi, et a enregistré plusieurs victoires sur des 10 km et semis à travers le monde entier durant les années 2024 et 2025, s’est vue mise en cause pour une utilisation d’hydrochlorothiazide (diurétique) lors d’un prélèvement hors compétition d’avril 2025.

Or justement à cette date d’avril 2025, Julien Lyon l’affirme, il n’était plus son entraîneur, avec une collaboration qu’il affirme avoir stoppé en novembre 2024.

Une information évidemment impossible à vérifier, et pour la soutenir, Julien Lyon produit un échange avec Judy Kemboi, en date du 7 août 2025, lorsqu’il a appris sa suspension : « Judy, je suis si déçu. Tu avais tout pour devenir une grande athlète. Nous avions commencé à bâtir ensemble des fondations solides. Et tu as tout gâché. Tu as cru les mauvaises personnes. Tu as pris les mauvaises décisions. Tu as détruit ta réputation et ta carrière. » Et Judy lui répondit : « Nous apprenons par nos erreurs. Deux ans, ce n’est pas beaucoup. Je suis désolée pour moi, mais rien à perdre. Je reviendrai plus forte. C’est le sport et c’est le Kenya ». Une phrase aux allures de mantra du dopage…