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Christian Schenk, champion olympique du décathlon 1988, avoue son dopage

Christian Schenk l’avoue enfin, il a utilisé le dopage et il le savait parfaitement. Le champion olympique du décathlon de Séoul en 1988 compte ainsi parmi la poignée d’athlètes de l’ex-Allemagne de l’Est à admettre cette utilisation imposée par l’Etat. Justement, à l’occasion des Championnats d’Europe de Berlin, le Professeur Franke, qui a voué sa vie à la révélation sur le dopage étatique en RDA, regrettait ce refus des sportifs d’élite de reconnaître cette situation, qui a laissé tant de séquelles aux dopés et à leurs enfants.

 

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« Oui, je me suis dopé. Et oui, je le savais. » En deux phrases, voilà la confession de Christian Schenk, dans un livre autobiographique à paraître dans quelques jours. Et dans lequel le champion olympique du décathlon de Séoul 1988 avoue pour la première fois qu’il a bel et bien utilisé le fameux Oral Turinabol, un stéroïde anabolisant, produit de prédilection des médecins est-allemands chargés de bâtir artificiellement ces équipes de sportifs et sportives désignées pour distinguer leur pays dans les grandes compétitions internationales.

Christian Schenk était membre de cette petite armée qui n’avait guère d’autre choix que celui d’obéir et d’avaler les comprimés posés sur le bord de leur assiette durant les stages de préparations. Les « Smarties », comme ces jeunes garçons et filles les appelaient, contenaient officiellement des vitamines et des minéraux. Un subterfuge mis au point par les équipes médicales est-allemandes pour doper cette jeunesse à son insu.

Christian Schenk avait compris, mais mentait

Mais Christian Schenk l’avoue, il avait bel et bien compris qu’il s’agissait de produits interdits chargés de lui permettre de meilleures performances. Jusqu’alors, il n’avait jamais voulu reconnaître cet aspect, niant d’abord avoir absorbé de telles gélules, et contestant ensuite farouchement avoir su ce qu’elles contenaient.

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Même s’il a attendu très longtemps pour effectuer son « coming out », il a tout de même 53 ans, et qu’il l’effectue surtout parce que lui aussi souffre de problèmes de santé consécutifs aux produits absorbés, c’est tout à son honneur d’accepter la vérité. Ceci ne pourra évidemment que ternir sa carrière athlétique, riche d’un titre olympique en 1988, d’un titre européen en 1990, d’une médaille de bronze au Championnat du Monde en 1991. Mais sans pour autant remettre en cause aucune de ses médailles, de tels aveux tardifs ne pouvant être retenus par les instances internationales pour balayer des performances.

En Allemagne, l’attitude de Christian Schenk se révèle finalement très inédite. Les sportifs dopés qui ont accumulé des titres durant l’ère du dopage étatique de la RDA demeurent plus que discrets sur ces mauvaises pratiques. Et ce silence révolte le Professeur Franke, qui a voué sa vie au combat contre le dopage est-allemand.

Le professeur Franke critique Heike Drechsler

Tout récemment, durant le championnat d’Europe de Berlin, le journaliste britannique Matt Majendie s’est situé en contre-pied de cet évènement et a rencontré cet ancien médecin, et le sujet paru dans « The Guardian » le 9 août témoigne de l’engagement extrême de cet homme âgé maintenant de 78 ans, qui se refuse à pratiquer la langue de bois. Et de pointer du doigt les anciens sportifs qui refusent toujours de reconnaître leur dopage. Le Professeur Franke n’hésite pas à désigner ainsi Heike Drechsler, qui était justement présente durant le championnat d’Europe, en qualité de VIP et aussi d’officielle, elle officiait au sautoir en longueur.

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Heike Drechsler, native des environs de Leipzig, a d’abord représenté l’Allemagne de l’Est, empochant deux records du monde, des podiums mondiaux, avant d’évoluer sous les couleurs de l’Allemagne réunie, accumulant deux titres olympiques. Des éléments tangibles découverts dans les registres tenus par la STASI ont démontré qu’elle avait été soumise à des protocoles dopants est-allemands, mais Heike Drechsler a toujours conservé la même ligne de conduite, celle de l’ignorance totale de son dopage, invoquant son très jeune âge (elle avait 25 ans à la chute du mur de Berlin).

Pourtant, pour le professeur Franke, la mise en avant officielle d’une athlète comme Heike Drechsler lors des Championnats d’Europe envoie le mauvais message de la banalisation du dopage. Parce que les dégâts de ces pratiques ont été énormes, et qu’il ne faut surtout pas les ignorer.

15000 jeunes soumis au dopage étatique est allemand

Chaque jour, le quotidien du Professeur Franke et d’Inès Geipel, une sprinteuse elle-même soumise au dopage dans le passé, se distille autour des conséquences dramatiques vécues par les ex-dopé.e.s. Comme le révèle «The Guardian», les registres tenus pour « Doping-Opfer-Hilfe – L’aide aux victimes du dopage » recensent actuellement plus de 2000 noms de personnes touchées dans leur intégrité physique et psychologique par les produits absorbés durant leur carrière sportive, mais le nombre réel pourrait s’approcher des 5000. Et il s’y ajoute maintenant aussi les 200 enfants de ces ex-athlètes, frappés de malformations des organes et des membres.

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Les informations découvertes au fil du temps par le duo Franke-Geipel leur permettent d’affirmer qu’environ 15.000 jeunes avaient été intégrés dans le programme étatique bâti par les instances nationales. Avec aux commandes des apprentis sorciers qui n’ont pas hésité à multiplier les expérimentations médicales. C’est ainsi que des filles gymnastes étaient maintenues artificiellement petites avec des stéroïdes anabolisants avant d’être grandies avec de l’hormone de croissance. Trente ans plus tard, les conséquences s’avèrent lourdes, entre les problèmes cardiaques, les maladies pulmonaires, rénales, les cancers, sans oublier les dépressions et séquelles psychologiques.

La testostérone à 13 ans et une santé détruite pour toujours

Un journaliste allemand, Olivier Fritsch, avait réalisé ce printemps pour « Zeit » une galerie de cinq portraits de personnes touchées par les méfaits du dopage distillé à leur insu durant leurs jeunes années sportives. Une lecture poignante que ces vies marquées à jamais et meurtries pour toujours par les souffrances physiques et mentales découlant en particulier de l’absorption de quantités massives de testostérone, comme pour la lanceuse de disque Katja Hofmann, gavée dès l’âge de 13 ans de STS 646, une testostérone artificielle, et à la santé détruite maintenant.
Le Professeur Franke s’évertue à le rappeler avec un grand réalisme : les dégâts du dopage se distillent sur des décades. L’honnêteté de Christian Schenk ne pourra que satisfaire le médecin allemand soucieux de briser cette omerta propre au dopage, et si propice aux dérives. Car comme le souligne Christian Schenk, « J’avais vite compris que ce sujet ne devait pas être abordé »…

 Texte : Odile Baudrier
 Photos : D.R.

 

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