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AIU/ITA, L’ANTI DOPAGE A DEUX VITESSES

Les contrôles anti-dopage positifs se succèdent à grand rythme en athlétisme, avec une multiplication des cas d’athlètes du Kenya suspendus par l’Athletics Integrity Unit, l’instance désigné par World Athletics pour ce travail, qui a aussi frappé un grand coup avec la suspension provisoire du sprinter Fred Kerley, deux fois médaillé olympique, et champion du monde en 2022. A l’opposé, l’International Testing Agency fait quasiment chou blanc dans les sports majeurs qui l’ont choisie pour gérer leur anti-dopage, en particulier le cyclisme et la natation. L’analyse des sanctions prises cette année par l’ITA confirme que les sportifs concernés pratiquent des sports plutôt mineurs et sont issus de pays peu représentatifs.

La provocation est la marque de fabrique d’Antoine Vayer, le trublion de l’anti-dopage dans le système, toujours prompt à dénoncer les performances trop exceptionnelles révélées par ses fameuses analyses de watts. Ce Tour de France 2025 n’a pas échappé à ses tweets rageurs, pointant du doigt les manquements des instances anti-dopage dans le vélo, et sa méthode mêlant technique fine et persiflage plaît visiblement avec, sur Twitter, des messages vus 40 millions de fois vus en 3 semaines, et 1 million d’engagements.

Et cet ex-entraîneur, et technicien hors pair, n’a pas hésité à sortir l’artillerie lourde à l’issue du Tour de France féminin, car ulcéré par la domination de Pauline Ferrand Prevost. Avec cette phrase plutôt crue : « Il vaut mieux être une femme française cycliste qu’une spécialiste de l’athlétisme du Kenya. »

La formule est hardie mais reflète tout de même une vraie réalité : l’AIU engrange chaque semaine des suspensions pour dopage des athlètes du Kenya alors que l’ITA ne prononce quasiment jamais de sanctions à l’encontre de cyclistes, hormis de temps à autre sur un cycliste de deuxième zone, même si elle a pu faire suspendre le Colombien Miguel Angel Lopez, dans le top 3 du Giro et Vuelta il y a quelques années.

L’ITA travaille pour 60 fédérations internationales

La distorsion est frappante, et ne concerne pas que le cyclisme. Car l’International Testing Agency a su convaincre 60 Fédérations Internationales de recourir à ses services pour les tests de leurs pratiquants, et pas des moindres : le cyclisme donc, la natation, le triathlon, la gymnastique, ou encore l’escrime, le judo, la boxe, l’aikido, le volleyball, le handball, le basket, le ski, l’haltérophilie, aux côtés de sports mineurs, comme le Bridge, la World Danse Sport, la pêche sportive… et sans oublier aussi côté évènements, le World Triathlon, le circuit Ironman, et l’UTMB.

Un champ d’action qui semble énorme pour l’instance suisse créée en 2016 par l’Agence Mondiale Anti Dopage afin d’interagir sur les faits de dopage dans toutes ces fédérations. Et il est vrai que les chiffres sont impressionnants, avec en 2024, plus de 44.000 contrôles, incluant 24.000 tests en compétition et 20.000 hors compétitions, émanant de 17.000 sportifs de 216 nationalités, participant à 1100 compétitions internationales.

Beaucoup de contrôles, peu de sanctions

Le nombre de violations des règles anti-dopage ressort, lui, à 532, ce qui fait apparaître un score faible mais correct en comparaison d’autres instances, avec 1.2% du nombre de contrôles, (AFLD environ 1%), mais en final, dans 181 cas, la procédure ne peut aboutir, dans 105 cas, elle demeure encore en examen, et ce sont donc seulement 232 cas qui ont été suivis d’une sanction, soit 0.5% du nombre de contrôles.

Parmi eux, souvent des sportifs de fédérations plutôt mineures, et très rarement des sportifs pointant dans l’élite mondiale de leur sport, excepté le nageur tunisien Hafnaoui Ahmed Ayoub, champion olympique en 2000, mais absent des JO de Paris. Pour le reste, c’est plutôt morne plaine, avec en particulier l’absence de cyclistes.

Et il est vrai que les dernières décisions peuvent prêter à sourire : un pêcheur de Bulgarie, un joueur de softball du Venezuela, un breakdancer d’Autriche, ou encore un handballeur de la République Démocratique du Congo et un golfeur de Guam. Cela en parallèle d’un Tour de France sous haute tension de performances, qui suscitent pourtant des questionnements très nombreux.

L’AIU s’attaque à Ruth Chepnegetich et Fred Kerley

A l’opposé, l’AIU n’hésite pas à s’attaquer à de très gros niveaux, et le cas de Ruth Chepngetich, la recordwoman du monde de marathon en titre, le démontre une nouvelle fois, tout comme celui du sprinter Fred Kerley, médaillé de bronze aux JO 2024, tout récemment mis en cause pour des irrégularités de localisation. Côté statistiques, pour un seul sport, on parle tout de même de 10.000 tests conduits dans l’année précédant les Jeux Olympiques, 7100 hors compétition, soit 70%, afin d’aboutir à un contrôle large sur les athlètes qui participaient à Paris. Et les chiffres confirment que la structuration a été bien menée, avec une moyenne de 5.4 tests pour les athlètes olympiques, et de 8.9 pour ceux qui se sont classés dans le top 8.

Un ciblage fin et un travail de renseignement très structuré fournissent les bons résultats de l’AIU. Mais il faut aussi admettre que le Kenya est une mine d’or pour la lutte anti-dopage, avec cette noria d’athlètes utilisant à tout va des produits interdits pour concourir à travers le monde entier. Aucun autre pays ne peut égaler le géant de l’Est africain. Sur ce point, aucune équivalence possible pour l’ITA, qui ne dispose pas d’un réservoir équivalent dans les sports qu’elle contrôle. Ainsi pour le cyclisme, la domination se travaille par équipes professionnelles, de multi nationalités et accompagnées par des équipes médicales très structurées. La distorsion est flagrante avec des athlètes kenyans, quasi systématiquement délaissés par leurs managers et entraîneurs lorsque les procédures sont lancées, et qui sont très rarement défendus par des avocats.

Fred Kerley, après Christian Coleman

Le cas de Fred Kerley se présente évidemment très différemment, avec dès l’annonce de sa suspension provisoire, un communiqué officiel de son avocat, le mastodonte Howard L. Jacobs, spécialiste de la défense dans l’anti-dopage, qui a défendu des noms prestigieux, comme Maria Shaparova, Floyd Landis, Veronica Campbell, LaShawn Merritt, ou encore Tim Montgomery et Marion Jones, avec un résultat mitigé pour ces deux-là…  

Comme dans le cas de Christian Coleman en 2020, une suspension de Fred Kerley témoignerait d’une certaine pugnacité de l’AIU, prompte à utiliser l’arme des irrégularités de localisation pour stopper un athlète que les contrôles n’ont pas réussi à confondre. Une arme que l’International Testing Agency sait également manier, comme le confirment les récentes suspensions de la nageuse canadienne Penelope Oleksak, championne olympique du 100 aux JO de Rio 2016, ou du spécialiste de taekwondo Ulugbek Rashitov, double champion olympique pour l’Ouzbekistan en 2020 et 2024.

  • Analyse : Odile Baudrier
  • Photo : D.R.