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Vivian Cheruiyot, miss Pocket Rocket

Vivian Cheruiyot championne olympique sur 5000 m
Vivian Cheruiyot championne olympique sur 5000 m

A 33 ans, la Kenyane Vivian Cheruiyot est enfin devenue, pour ses 4èmes J.O., championne olympique sur 5000 mètres après avoir remporté l’argent sur 10 000 mètres. Ce titre parachève une carrière exemplaire d’une longévité exceptionnelle.

 

Je revois bien la scène, le sprint final, un sprint à la lame de rasoir,  cinglant, Chelanga Kibiwott contrée comme on saigne un poulet et Vivian Cheruiyot de s’imposer dans ce volcan de béton qu’est le Kasarany Stadium.

Un manager italien s’était vite précipité sur elle, puis Joseph Ngure, l’entraîneur et cette petite armée de journalistes jeunes, impétueux, mal cravatés et transpirant,  micros et magnétos en bandoulière pour enregistrer ce petit filet de voix ânonnant le nom d’une école, la Chemwabul Primary School à Kaptarakwa. Dan Musioki secrétaire de la fédération kenyane  s’était alors porté au secours de cette gaminette effarouchée pour l’étreindre : « Est-ce que tu sais que tu vas représenter ton pays ? Est-ce que tu es fière ? ».

Vivian Cheruiyot remportait là sa première sélection olympique, pour les J.O. de Sydney sur la distance du 5000. Elle n’avait que 17 ans. Ce jour là, devant le président de la République, Daniel  Arap Moi, elle était même désignée l’athlète la plus combative de ces sélections. Elle recevait pour cela un chèque de 15 000 shillings. Aux côtés d’une centaine d’athlètes rangée comme une armée de Xian, elle avait écouté le discours du guide suprême, canne au pommeau d’or pointant la foule pour exiger «que le Kenya n’oublie jamais cet esprit de combat ».

Vivian Cheruiyot en 2000 lors des sélections olympiques à Nairobi (photo Gilles Bertrand)
Vivian Cheruiyot en 2000 lors des sélections olympiques à Nairobi (photo Gilles Bertrand)

En ces temps bénis de l’athlé kenyan roucoulant des histoires au miel et à l’eau de rose, nul ne pouvait supposer quel pourrait être le destin de ce bout de chou, petite, tout juste 1,30 m sous la toise,  pierre de lumière lancée sur cet anneau céleste. Simple marguerite de printemps ou fleur de maquis immortelle ?

Nul ne pouvait lui prédire une telle carrière, coureuse professionnelle, méticuleuse, besogneuse, d’une trempe en marbre de Carrare bien cachée derrière cette petite frimousse au regard farouche.

Milieu des années 90, le Kenya pose toujours des fondations pour que puisse émerger cette grande nation de coureurs. Ici un nouveau camp d’entraînement, à Iten, à Makakwet, à Kapsabet, à Kaptagat, incubateurs d’un athlé de haute performance,  là des sections sport étude informelles qui se montent au bon vouloir d’un directeur d’école passionné de course à pied. La Rift Valley s’organise, les grands corps de l’Etat kenyan aussi recrutant en chassant les meilleurs espoirs. L’argent est déjà là, palpable, ostentatoire. Le business de la course à pied est déjà bien présent, les Moses Tanui, les Paul Tergat, les Moses Kiptanui sont des exemples de réussites sportives et sociales. La perversion du dopage contrôlée par des raclures sans foi ni loi, n’a pas encore souillé un athlétisme dont la modélisation est unique au monde.

Vivian Cheruiyot est née de ce système, enfant du baby boom de l’athlé kenyan, d’une détection au peigne fin pour décrocher à 14 ans seulement sa première sélection pour les Mondiaux de cross. Trop jeune, cette première cape lui est refusée mais ce petit poucet a déjà déployé ses ailes. Son ambition est bien dissimulée mais démesurée. Ce n’est pas une séductrice, ce n’est pas une charmeuse, ce n’est pas une arrogante, ce n’est pas une sournoise, c’est une travailleuse des pistes, discrète, ascète qui été comme hiver, émancipée, et ce quelque soit le champ de course, gelé, arrosé ou piste asséchée, moissonne des brassées de blés dorés.

Son palmarès est long comme un récit napoléonien, deux fois championne du monde de cross, à Villamoura en 2000 chez les juniors puis à Punta Umbria en 2011, quatre fois championne du monde sur piste dont un doublé 5000 – 10000 réussi à Daegu en 2011, 16 médailles en grands championnats dont 4 médailles olympiques. Une carrière sans clairons ni trompettes, quatre olympiades sans la pénombre d’un moindre Waterloo.

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Au Kenya, en 20 ans de batailles et de campagnes, Vivian Cheruiyot s’est construite une personnalité. Il n’y a jamais eu ce petit côté romantique ou glamour qui parfois enrobe la carrière d’une sportive mais les médias de Nairobi ont toujours suivi aux trousses celle que l’on surnomme Pocket Rocket. Son mariage princier avec Moses Kiplagat. Ex marathonien, il deviendra de fait son entraîneur particulier. Sa grossesse en 2013 noircit les titres de la presse féminine, ainsi que sa reprise de l’entraînement neuf mois plus tard, après la naissance du petit Allan, avec 17 kilos sur les hanches. Retrouver une silhouette de libellule, une griffe de féline est un défi que les sites internet locaux suivent avec intérêt. Avant elle, les Catherine Ndereba, Mary Keitany et Florence Kiplagat l’ont réussi. Elle leur a demandé conseils. Elles ont toutes répondu « on est plus fortes après la naissance d’un enfant ». On la présente également épouse modèle, elle affirme « c’est moi qui prépare le repas pour mon mari, malgré la rigueur de l’entraînement. C’est dans notre culture Keiyo et j’en suis heureuse ». Les années passent, la trentaine est déjà là, son petit côté maman chouchou, petite princesse aux airs d’écolières qui adore les robes du soir aux couleurs pourpres lui confère une personnalité attachante. Lorsque son mari se fait braquer par une bande de malfrats de grands chemins du côté de Ngong, ce sont encore les gros titres. Lorsque l’époux est poursuivi en justice pour ne plus payer les pensions des trois enfants nés d’un premier mariage avec Caroline Kwanbai, ex athlète internationale, c’est l’image rose bonbon du petit couple qui est écornée.

A Rio de Janeiro, Vivian Cheruiyot est venue chercher le dernier épi d’or qui lui manquait. Pour ses quatrièmes J.O., Athènes lui ayant échappé pour une fraction de seconde lors des sélections, la petite fée clochette  s’est imposée à la lame de couteau, cinglante, pour contrer en finale Almaz Ayana et Hellen Obiri.  Au-delà de toutes les polémiques, au-delà de toutes les suspicions qui désormais malmènent et cabossent les plus belles victoires, les plus beaux palmarès, Vivian Cheruiyot s’est dégagée de toutes les souillures.  Les ordures auront-ils le dessus ?

 

> Texte Gilles Bertrand

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