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Une étrange polémique autour d’Aurel Manga et du Meeting de Liévin

Une étrange polémique a émergé après le meeting de Liévin, suite à un imbroglio autour des résultats de la série du 60 mètres haies, éliminant tardivement Aurel Manga de la finale. La présidente de son club de l’US Créteil, Julie Huberson soutient que Jean Pierre Watelle, le patron du meeting, a proposé 5000 euros au hurdler pour sortir. Une affirmation complètement réfutée par le Nordiste. La commission éthique de la FFA a été saisie. L’Athletics Integrity Unit a débuté une procédure pour décider ou non de la poursuite d’une enquête. Un imbroglio intéressant à analyser sur un plan technique avec Philippe Collet, le patron de Matsports, le chronométreur du meeting.

« Je te donne 5000 euros et tu sors ». Ou bien « tu vas demander 5000 euros pour sortir ?? » La phrase prononcée par Jean Pierre Watelle en cette fin de soirée du meeting de Liévin comporte deux versions. Avec un dénominateur commun, le chiffre de 5000 euros, mais le sens devient diamétralement opposé ! Julie Huberson, la présidente du club de l’US Créteil, soutient une accusation forte contre le patron du meeting, distillée à travers son compte Facebook dès le soir du 9 février, et Jean-Pierre Watelle réfute en bloc cette allégation.

La FFA devra statuer sur cette affaire via sa commission éthique. L’Athletics Integrity Unit de World Athletics a entamé, elle, une procédure standard dans de tels cas, avec dans un premier temps, des questions posées aux différents protagonistes de cette affaire. Le rapport établi ensuite par Kyle Barber, investigateur de l’AIU, déterminera s’il convient de lancer ou non une véritable enquête.

Comment en est-on arrivés là ?

L’histoire se présente comme une fusée à plusieurs étages : une inversion de nom dans une série du 60 m haies – une communication tardive sur la rectification de nom – une start list de finale avec 9 hurdlers au lieu de 8 – un athlète qui refuse de sortir en s’appuyant sur le premier résultat erroné qui l’a classé à une place qu’il n’a pas obtenue – une grosse colère en chambre d’appel – un patron de meeting appelé en catastrophe à la rescousse – une conversation qui dérape – une accusation vindicative.

Avec au cœur de cette accumulation explosive, un élément central : celui de la chronométrie. Avec aux commandes, comme sur l’ensemble des épreuves d’athlétisme en France, les équipes de Matsports, leader en chronométrie.

Philippe Collet, en toute transparence

Philippe Collet, le patron de Matsports, a accepté de répondre en toute transparence à nos questions pour mieux comprendre le contexte de cette sinistre affaire, qui débute par une « banale » erreur technique.

Et il débute par ce commentaire : « Au bout du compte, on part d’une petite erreur et ça devient une affaire ! Les gars de l’équipe ont découvert le soir après le meeting, vers 1 heure du matin, quand ils rangeaient le matériel, qu’il y avait une affaire Manga. »

Comment expliquer le problème de base, à savoir l’inversion de deux coureurs dans la série du 60 m haies ?

Pour revenir à la génèse, nous sommes responsables, et je l’assume complètement, d’une erreur d’inversion de couloirs à la lecture photo-finish.

En reprenant la chronologie des séries. La première série, avec Belocian vainqueur, et Kévin Mayer, 4ème avec son record. La série 2, Holloway loin devant, et on annonce 2ème Manga 7’’63, et le Polonais Czykier 4ème, 7’’68. On fait un post sur notre Story Instagram, avec la photo finish, et en bas le classement. Les classements sont édités, et le technicien qui est aux manettes de la photo finish passe à la course suivante.

Le logiciel de data classe les deux séries pour déterminer la finale. Sur nos CIS, il y a 9 qualifiés, car deux ont le même temps, Mayer et le Polonais. Mais en fait, le technicien a fait une erreur de frappe et s’est trompé de couloir. Il a attribué la 2ème place à Manga et la 4ème au Polonais en 7’’68. Lui, la gueule des mecs, Manga avec son bandeau, que tout le monde connaît, il ne le voit pas. Ca va tellement vite.

Le point important qui a aussi provoqué cet enchaînement des soucis est l’absence du juge photo finish. Notre société est opérateur, mais ce n’est pas nous qui validons un classement, et une photo finish. C’est le juge. Malheureusement, celui-ci, qui compte 30 ans à cette fonction, est en fait absent pour cause de Covid. Il n’est pas là et n’est pas remplacé. C’est un premier souci. Cette vérification n’existe pas.

Peu après, la juge arbitre course revient voir le technicien pour lui demander de relire la photo, car il y a deux hurdlers ex-aequo, et qu’il faut trancher pour n’avoir que 8 athlètes en finale au lieu de 9. Le technicien et la juge ouvrent alors la photo finish pour voir s’il est possible de les départager au millième de seconde. Ceci n’est pas possible de visu car les deux ex-aequo, Kevin Mayer, et le 4ème de la série 2, ont évolué dans des séries différentes. Il s’avère que les millièmes sont exactement identiques, avec 7’’680. La juge arbitre valide et applique la règle de la pièce, un tirage au sort utilisé pour départager les ex-aequo. C’est Mayer qui ira en finale.

A quel moment l’équipe est-elle informée d’un problème avec le Polonais ?

Plus tard, la juge revient à nouveau pour informer que le Polonais ne veut pas quitter la chambre d’appel. Il conteste le tirage au sort. Mais ce problème sur le tirage au sort ne nous concerne pas directement. Pour notre équipe, le meeting continue, jusqu’à ce que la finale du 60 m haies arrive sur la piste. Le Polonais répète qu’il est 2ème. Il le sait bien, les coureurs savent leur place, il sait parfaitement s’il est 2ème ou 4ème, surtout qu’il y a 5 centièmes d’écart. Mais nous ne sommes pas informés qu’il conteste le résultat de la série. Nous découvrons la situation lorsque Christophe, le technicien qui est sur les départs, demande à la cabine chrono une vérification car il a deux athlètes dans le même couloir.

Au même moment, l’information remonte qu’il y a un problème sur le classement de la deuxième série du 60 m haies. L’opérateur réouvre la course, qu’il a déjà ouverte pour vérifier les millièmes. Et il s’aperçoit qu’il y a une inversion de couloir. Il relit alors la course pour réattribuer le bon couloir à la bonne personne, pour que soit régénéré un classement qui donne les bonnes personnes pour la finale.

C’est vrai qu’on a fait une erreur. Elle ne nous est signalée que quelques minutes avant la finale. La modification est faite. Cela permet d’avoir la bonne start list affichée en télé. Ensuite la finale se court, et le meeting se termine. Pour nous, les choses s’arrêtent là.

Voilà un enchaînement malheureux. Mais ce ne n’est pas la première fois que les chronométrages connaissent des erreurs.

Cela arrive ! Un incident technique peut arriver. C’est arrivé à tous les chronométreurs qui officient tous les week-ends. Nos techniciens ont des milliers de lectures à leur actif. Et pourtant, une erreur peut arriver, une faute de frappe, un clic dans un mauvais couloir. C’est malheureusement une erreur humaine. On l’assume car il n’y a rien de full automatique. Mais normalement, des sécurités sont mises en place, avec des personnes chargées de vérifier, de nous assister.

Moi, je ne parle jamais de l’affaire Manga. Car nous ne sommes pas sur une affaire Manga. Nous sommes sur une erreur et un enchaînement qui font que nous ne sommes avertis que juste avant la finale, que nous avons inversé deux concurrents. Normalement, de telles erreurs se corrigent dans la minute. Cela arrive souvent, même dans les grands évènements, qu’un athlète ou quelqu’un de son entourage vienne nous voir en cabine chrono pour faire des observations ou demander à vérifier. Il aurait suffi d’une personne qui nous le demande !

Comment expliquer la modification du chrono d’Aurel Manga, qui a été un temps affiché à 7’’69, puis ramené à 7’’68 ??

Oui, pendant un moment temporaire, il est apparu le chrono de 7’’69 pour Aurel Manga. Cela a peut-être duré quelques minutes, où son temps affiché est faux. Ceci car à la relecture de la photo finish, le technicien a repositionné le fil avec 1 pixel d’écart, d’où un chrono qui devient 7’’681. Et malheureusement, il ne l’a pas vu, et cela a été corrigé en 7’’69. L’information est remontée très vite, et le changement a été fait de suite, pour revenir à 7’’68 (*)

Mais ces différences de chronos sont fréquentes. En réalité, le temps qui apparaît sur le chrono de la piste et à la télé à l’arrivée d’un coureur est celui produit par les photos des cellules installées sur le stade. Et le temps qui apparaît sur le classement est celui calculé avec la photo finish. Il peut y avoir des différences, selon l’endroit où se situent les faisceaux. Par exemple, Colin Jackson n’arrêtait jamais le chrono à l’arrivée, car il passait sous les cellules.

Les infos des cellules et la photos finish sont parfois différentes. A Monaco, ce dimanche, Morhad Amdouni avait d’abord eu le chrono de 13’18’’, c’était un record d’Europe, et finalement, il a été crédité de 13’20’’… A Toron, sur 800 mètres, pour le Britannique Eliot Giles, qui fait la deuxième perf tous temps, (1’43’’63), le chrono ne s’arrête pas. Ceci peut être dû à un souci technique, une perte de réseau…

Autre exemple : sur le 1500 mètres de Liévin, où l’Ethiopienne Gudaf Tsegay bat le record du monde, son temps s’est arrêté avant qu’elle franchisse la ligne d’arrivée. Pour une raison toute bête : le lièvre s’était arrêté mais elle continuait à faire des allers et retours au couloir 6. L’opérateur a armé les cellules, il n’a pas vu qu’il y a le lièvre au couloir 6, le faisceau s’est arrêté. Il y a six dixièmes d’écart entre le temps affiché sur les panneaux et en télé, et le vrai temps. Mais heureusement, il y avait un record du monde sur le vrai temps !

  • Texte : Odile Baudrier
  • Photo : D.R.

(*) le chrono de 7’’68 figure bien sur le résultat disponible sur le site athle.fr. Mais sur le site de World Athletics, à ce jour 19 février, le chrono est de 7’’69.