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Sophie Duarte et Hassan Chadhi, à pointes tendues contre le dopage

L’affaire de Clémence Calvin n’a pas fini de secouer le monde de l’athlétisme. Les informations successives ont levé le voile sur des dérives choquantes, sur lesquelles Hassan Chahdi et Sophie Duarte ont souhaité réagir.

Interviews réalisées par Odile Baudrier – Photos Gilles Bertrand

Sophie Duarte, cette affaire nuit aux sportifs

Que t’inspire l’affaire Clémence Calvin à toi qui est membre de l’Equipe de France depuis plus de 10 ans ? En sachant bien sûr que le cas de Clémence Calvin n’est pas encore tranché officiellement.

Elle n’est pas convaincue de dopage. Pour l’instant, on est sur une fuite face à des agents assermentés. Je rejoins la Ministre des Sports pour dire que cela dessert les sportifs,  et que ce contrôle aurait du être fait. Nous avons un devoir d’être contrôlable à tout moment de la journée. C’est comme devant un gendarme. Tu roules vite, tu fais un délit de fuite. Et tu vas critiquer le gendarme en disant qu’il t’en veut ? Non, tu t’arrêtes, ce sont des autorités assermentées. Le comportement me choque. On n’a pas à fuir un contrôle. Quand je suis contrôlée à 7 heures le matin, je leur ouvre, comme les autres athlètes. Parce que cela fait partie de nos devoirs.  Beaucoup de sportifs  sont choqués par cette  attitude par rapport au directeur des contrôles.  La théorie du complot, les gens ne parlent que de ça. C’est saoulant, qu’on en finisse,  ça fait mal à l’athlétisme, et au sport.

Cette situation t’apparaît donc comme nuisible aux sportifs ?

Suite à ces histoires, des athlètes ont été pris à partie et pointés du doigt, certains pour dopage sur les réseaux sociaux. C’est donc  l’ensemble des sportifs qui par, cette nouvelle affaire douteuse, ont été ciblés. On oublie trop souvent la double peine  que subissent les sportifs propres : des médailles envolées, des titres et donc moins d’entrée d’argent,  des performances  inférieures. On pourra nous taxer de  »frustrés  »mais c’est bien une réalité ! En 2009, Julie Coulaud a été contrôlée positive, et j’allais plus vite qu’elle sur steeple. La même chose en 2014 avec Traby.  Nos performances sont  remises en doute sans arrêt  par le grand public,  par nos collègues en Equipe de France et par certains coaches.  On ne sait plus qui est qui ?

Pour les sportifs, une autre obligation à respecter est celle de la localisation au quotidien. Est-ce si contraignant ?  

Pour la localisation, on entend souvent dire que c’est compliqué. Moi, je réponds non, ce n’est pas compliqué. C’est une question d’organisation. La plupart du temps, ce n’est pas compliqué : on sait où on dort, on a une résidence principale, on sait où on va en stage. Il peut arriver parfois sur des périodes de vacances, ou des périodes d’intervention pour nos partenariats, où on jongle entre les hôtels, et là, il faut vraiment faire attention. Sur des périodes très restreintes, on peut faire des erreurs. Moi, je fais partie du groupe cible depuis 2008, et je peux dévoiler que je n’ai eu qu’un seul no show. Et pourtant, j’ai fait des stages au Kenya, au Maroc, à Font Romeu, à Istres. J’ai fait des compétitions partout. Et je n’ai qu’un no show sur une erreur pendant les vacances.

Serais-tu favorable à la transparence sur le nombre de contrôles anti-dopage subis pendant une année ? Ainsi éventuellement que les analyses des sportifs ?

Moi, je suis pour la transparence du nombre de contrôles anti-dopage. Pour les analyses, ce qui me paraît difficile est qu’il y a une interprétation de ces résultats. Il y a forcément des sportifs de haut niveau, qui ont des anomalies sanguines. C’est difficile de dévoiler. Moi, j’ai toujours été favorable aux contrôles sur 24 heures, y compris en contrôle de nuit. Aujourd’hui, on n’a plus le choix, car les produits ont l’air de plus en plus difficiles à détecter. Je suis pour aussi la mise en place de programmes, comme le programme Quartz utilisé dans le trail, qui permet plus de transparence sur les analyses médicales des athlètes.

La FFA met en place pour les membres de l’Equipe de France un suivi longitudinal chargé de repérer les anomalies éventuelles dans les analyses médicales, dans une optique de santé. Dans quelles conditions est effectué ton suivi longitudinal imposé par la FFA ?

Il s’effectue dans un CREPS et dans un laboratoire d’analyses normal.  Le suivi est médical. La prise de sang se fait un laboratoire d’analyses classique mais inscrits tout de même sur un listing Je me souviens que Frédéric Depiesse avait rajouté par exemple Font Romeu car le labo n’en faisait pas partie au départ. Je le fais trois fois par an. Deux suivis médicaux par an. La prise de sang trois fois. Ils s’effectuent sur des dates fixées par la FFA. Mais il y a eu un changement depuis 2008. Je pense que jusqu’en 2012, les dates étaient beaucoup plus serrées. Actuellement on a un mois ou un mois et demi pour faire le suivi. C’est très large.

Les suivis longitudinaux sont destinés à un suivi de la santé de l’athlète. As-tu parfois reçu un retour du service médical de la FFA qui t’a fait part de remarques sur ton état de santé ?

Non, moi, jamais. On n’a jamais de retour. Pour ma part, le médecin de l’Equipe de France, Philippe Deymier, était mon médecin personnel. Avec lui, on a pu réagir par rapport à des choses en lien avec des allergies… En fait, notre santé n’est pas du ressort du service médical. Nous devons rester proches de nos médecins de famille. C’est une mise en responsabilisation de l’athlète. Et cela peut faire défaut chez des jeunes. Moi, je n’ai jamais eu de soucis, sauf en 2010 et 2012, avec des problèmes d’allergie. En avril-mai, je me sentais tout le temps KO. Des tests à la faculté de cardio-respiratatoire ont détecté des réactions allergiques au pollen. La seule solution était de demander une AUT pour de la corticothérapie, ou de rester en altitude. J’ai vite choisi l’altitude.

L’un des éléments qui est apparu dans l’affaire de Clémence Calvin concerne celui de la planification des stages où il semble qu’au niveau de la FFA, il n’existe pas vraiment de suivi des lieux de stages, de connaissances des lieux de stages des athlètes. Et toi, as-tu l’habitude depuis 10 ans de formaliser ton planning de stages, de compétitions, les lieux de stages ?

J’ai souvent eu des entraîneurs qui étaient cadres techniques. Notamment Roger Milhau. On avait l’habitude de tout relayer, sur la période 2008-2010. Ensuite, j’ai toujours opté pour Font Romeu comme lieu de stage. Quand il y avait des stages nationaux à l’étranger, la Fédération savait que je refusais pour rester à Balma et à Font Romeu. On a aussi des choix personnels à faire. Moi, quand j’allais à Font Romeu, la Fédération ne savait pas toujours que j’y étais. Notamment quand j’étais avec David Heath. Maintenant, je travaille avec Jean Claude Vollmer, qui en tant qu’ancien cadre technique, discute avec Jean François Pontier. Mais il est vrai qu’il y a une responsabilité des personnes qui gèrent ces athlètes-là. Moi, ce qui me gêne est qu’ils ne sachent pas où sont ces athlètes. Même si on me dit que c’est leur vie personnelle, je ne suis pas d’accord. Les athlètes, on vise des médailles, on fait briller la fédération, et le drapeau, alors on devrait savoir où on est pour les stages. Là, il doit y avoir une responsabilisation, et c’est facile de se renvoyer la balle. Tout comme je regrette le manque de compétences parfois dans la lecture des chronos réalisées par les coaches nationaux, ou leur manque de clairvoyance. Un jour, j’ai questionné un médecin du sport et spécialiste de l’anti dopage, pour comprendre pourquoi certains sportifs font des footings à 8 km/heure. La réponse a été stupéfiante ! (NDRL : en début de cure d’EPO, les footings doivent être très lents). Comment ne pas voir ces signaux ??

Sens-tu qu’il y a un courant chez les athlètes d’une volonté de plus de transparence pour que le public ait plus de fiabilité sur la performance ?

Je pense que pour beaucoup d’athlètes, on est passés du monde des bisounours à la réalité. Les jeunes ont appris ce qu’est le sport de haut niveau avec des gens qui ont des comportements qui ne sont pas droits. Les jeunes doivent ouvrir les yeux sur les comportements troublants de ces athlètes. On ne sait jamais qui les entraîne, où ils sont en stage, ils ne révèlent pas les séances. Des mouvements se sont créés, comme « We Run Clean » suivis par certaines. Dommage que d’autres ne relaient pas alors qu’ils pensent pareil, mais qu’ils ont peur de voir comment cela évoluera ! J’ai auss échangé avec des sportifs d’autres disciplines. Car le comportement de Clémence Calvin n’a pas donné une belle image des sportifs en général, pas que de l’athlétisme.

Serais-tu favorable à la création d’un groupe d’athlètes qui pourrait être consulté par la FFA pour certaines décisions, ou pour donner leur point de vue ?

Si on y arrive, c’est bien car on aurait fait un grand progrès. Maintenant dans le choix de ces athlètes, il ne faut pas que ce soit du copinage, ce serait trop facile. Les jeunes athlètes n’ont pas suffisamment d’expérience et de recul pour intégrer cette commission. Il vaudrait peut-être mieux des athlètes en fin de carrière, pour éviter le cumul des mandats !

Hassan Chahdi, une immense déception

Comment as-tu accueilli l’affaire Calvin même si à ce jour, aucune sanction définitive n’a été prise ?  

Ca m’a fait poser pas mal de questions. Généralement, les contrôles se passent bien. Là, entendre que ça s’est mal passé avec des accusations de Clémence m’a choqué. Moi, je suis du côté de la lutte anti-dopage. Je ne peux pas être du côté de l’athlète pour un tel problème même si je garde un esprit critique. J’ai surtout été déçu et un peu effondré par les différentes réactions que j’ai pu lire dans la presse,  qui ne collaient pas avec mes valeurs et celles du sport. Quand je lis qu’il y avait une forte relation de confiance à l’égard de cette athlète en particulier, je me suis posé la question de qu’est ce qu’il est sous-entendu par relation de confiance ? Est ce que cette relation est la même pour tout le monde ? Est-ce la même relation s’il s’agit d’un homme ou une femme ? Aussi j’ai pu lire que certains lieux de stage pourraient être interdits notamment ceux à l’étranger, or l’une des raisons qui me fait aimer le sport c’est de pouvoir voyager, de découvrir le plus d’endroits possibles, pour s’enrichir des autres. Donc pour moi, le fait de nous priver de cette liberté va encore une fois à l’encontre de ma vision du sport. De plus, elle donnerait raison aux tricheurs qui sont dans un esprit de fermeture. J’ai aussi été effondré car à chaque fois qu’il y a un cas de dopage, on se dit pourquoi on fait ce sport ? Pourquoi faire autant d’effort si au final ce sont les tricheurs qui gagnent ?

C’est la première fois que tu es aussi déçu ?

Non, c’est la même chose à chaque fois. Pour Hirt, c’était pareil. Julie Coulaud, j’étais jeune, j’étais cadet, je l’avais déjà croisée. Ce n’était même pas une surprise car j’observais déjà les fréquentations sur les championnats. C’est un choc car on se pose la question de savoir pourquoi on court. La réponse est que je cours pour moi, et pour tous ceux m’ont fait grandir dans mon sport et en dehors du sport, pour essayer de battre mes records, essayer de donner le meilleur de moi-même à chaque compétition. C’est pour cela que j’essaie d’abandonner le moins possible, même si je ne suis pas bien, ou que je ne fais pas une bonne place, je me dis que ce n’est pas le plus important. Le plus important est d’aller au bout.

On a pu noter qu’il y avait autour de Clémence Calvin un problème sur ses localisations. Trouves-tu que la localisation est quelque chose de contraignant ?

C’est une chose supplémentaire à gérer, c’est sûr ! Après, de là à dire que c’est contraignant, non, c’est exagéré. J’ai déjà eu un no show. Cela dépend des périodes, c’est parfois compliqué, on enchaîne des voyages, des déplacements avec de la fatigue. Parfois, on oublie. On oublie une fois. Mais la deuxième fois, on n’oublie pas, on est stressé, on sait qu’on aura l’épée de Damoclès au-dessus de la tête. Pour avoir trois no show ou plus par ans, il faut vraiment être négligent. Trois fois par an, ce n’est pas compliqué à gérer. J’en ai eu un, et je n’en ai plus. Je suis dans le groupe cible depuis 3 ou 4 ans, je crois. Ma première prise de sang pour mon passeport sanguin date de 2011 mais sans que je sois dans le suivi Adams.

Tu es également astreint au suivi longitudinal de la FFA. Comment se passe-t-il ?

Je le fais depuis la catégorie junior. Cela impose des prises de sang avant les championnats. C’est quatre fois par an. La Fédération choisit les dates, on a un délai à respecter, généralement 2 semaines et demi.

As-tu déjà eu des retours sur ce suivi sur ta santé ?

Oui, une fois. On a rarement des retours. Cependant on nous dit aussi de transmettre les résultats à notre médecin. J’ai eu une fois un retour, j’avais une valeur trop élevée, le potassium. J’étais fatigué. Le médecin m’avait appelé et m’avait demandé comment expliquer l’excès de potassium, et on avait parlé d’alimentation et de compléments alimentaires, comme Supradyne. Il m’avait expliqué de faire attention au surdosage. J’étais content qu’il m’appelle car j’ai eu une explication sur mon état de fatigue et sur les risques liés à une auto-médication (ou auto-supplémentation)  !

Es-tu favorable à la transparence sur les analyses médicales des athlètes ? Est-ce que cela peut permettre une meilleure visibilité du public et diminuer la tentation de la triche qui serait plus visible ?

Au public peut-être pas, mais à un médecin compétent, oui. Pour le public, ce n’est pas si facile. On ne peut pas tous analyser des prises de sang. Moi, ça ne me dérange pas. Mais certaines personnes pourraient mal interpréter ces résultats. Par contre pour les AUT,  je pense qu’on pourrait être plus transparents. Personnellement, je n’ai pas d’AUT mais je pense qu’en cas de problèmes de santé, un athlète peut avoir une AUT. Par contre, en avoir 9 ou plus, ça devient suspect…

Es-tu pour la révélation au grand public du nombre de contrôles anti-dopage d’un athlète ?

C’est pareil, ça peut être interprété de plusieurs façons. Si on a peu de contrôles, on peut juger qu’on n’est pas assez surveillé, et donc qu’on est protégé et dopé. Si on a trop de contrôles, on peut penser qu’on est suspect. C’est compliqué ! Cela me gêne un peu. De plus lorsqu’on sait qu’un athlète est contrôlé, on peut se dire peut-être que demain ce sera moi et l’effet de surprise d’un contrôle est moindre.

L’autre élément qui apparaît aussi dans l’affaire Calvin, c’est le manque de visibilité de la FFA sur les plannings de stages. Toi, est-ce que tu communiques ton planning de stages en amont ? Ton planning de compétitions ?

Depuis que j’ai fait mon minima pour les JO à Séville, ils m’ont demandé un calendrier jusqu’au marathon, avec les dates de stages et les compétitions plus ou moins programmées. Il peut y avoir des changements de dernière minute, pas pour la route, surtout pour la piste. Car parfois il est difficile pour les athlètes de savoir à l’avance le meeting qui sera couru, vu les difficultés à y rentrer.

Et pour les lieux de stages, trouves-tu légitime d’interdire des lieux précis ? Tu arrives justement d’un stage à Ifrane, est-ce normal d’entendre dire qu’on n’ira plus à Ifrane ?

Pour moi, ce n’est pas légitime. Moi, je suis parti à Ifrane et maintenant, on l’interdit ! En ce moment, il y a des sprinters qui sont en stage à Marrakech. Pourquoi ne pas interdire aussi Marrakech ? Alors que le problème de Calvin a eu lieu là-bas. J’ai eu aussi une discussion avec Kada, l’ex-entraîneur d’El Guerrouj, qui m’a dit qu’on pouvait trouver des produits à Ifrane, mais que ce n’était pas l’endroit le plus facile. En Afrique du Sud, on achète de l’EPO en pharmacie sans ordonnance. Pour moi on devrait plus interdire l’Afrique du Sud que le Maroc ou d’autres lieux. Les lieux, ce n’est rien. C’est à l’athlète de faire le bon choix. Par exemple, si on me mettait devant moi de l’EPO, est ce que je  la prendrais ? La réponse est NON. C’est un problème d’éducation, de comportement et de conscience. Il y a du trafic partout, on l’a vu avec l’affaire Eric Favre à Lyon. Le problème est que ce sont plus les athlètes qui vont en direction du dopage, et des personnes qui gravitent autour du dopage que les lieux de stage !

Dans quels pays as-tu déjà effectué des stages ?

Je suis allé en Afrique du Sud avec les stages nationaux. Au Kenya, seul. A Albuquerque en novembre dernier, avec un groupe d’athlètes français, Mahiedine Mekhissi, Simon Denissel….. A Ifrane, j’y suis allé la première fois en vacances, avec mes parents, à 16 ans. J’adorais Iguider, je l’avais rencontré, il m’avait proposé de rester 15 jours avant lui. J’y suis retourné en 2010 avec la fédé, j’ai eu une mauvaise expérience. Et j’y suis retourné cette année.

Pourquoi avais-tu connu une mauvaise expérience à Ifrane en 2010 ?

J’étais jeune et je m’étais retrouvé avec des seniors. On me faisait comprendre qu’il fallait prendre des injections de fer et de B12 pour être performant. C’était insistant. Avec le recul, je me rends compte que ce n’est pas normal de me laisser tout jeune dans un milieu malsain. Ce n’était pas responsable de la fédération.

On s’aperçoit que peu d’athlètes ont pris position par rapport à cette affaire. A ton avis, pourquoi ?

Moi, j’ai eu un petit déclic, et je me mets à dire des choses. Mais personne ne disait rien, du coup, on a peur de sortir des choses tout seul. Peut-être qu’on est aussi très concentré sur l’entraînement. J’entends les coachs dire qu’il ne faut pas parler de ça, qu’il faut rester sur ta saison. Mais si on s’entraîne et qu’il y a des dopés devant, ça ne sert à rien ! C’est dommage qu’il n’y ait pas plus d’athlètes qui parlent. Moi, aussi, ce qui était un frein de parler de dopage, c’est que ce n’est pas à l’athlète lui-même de dire qu’il est propre. C’est à l’AFLD ou à la lutte anti-dopage de le prouver. Car on peut mentir, on peut dire qu’on est propre alors que c’est faux. C’est difficile. J’ai du mal avec le truc « I Run Clean », car ça manque d’indépendance.

Serais-tu favorable à la création d’un groupe d’athlètes qui pourrait être consulté par la FFA pour certaines décisions, ou pour donner leur point de vue ?

Je ne suis pas forcément pour un groupe d’athlètes. Car quel athlète est légitime ? Là, il y a un athlète dans la commission, Yohan Kowal. Il doit avoir un rôle à jouer. D’un côté, je suis pour l’idée d’un groupe d’athlètes. Mais quels athlètes ?? Du coup, il ne faut pas se limiter, il faut que les athlètes qui veulent s’exprimer, s’expriment. On ne peut pas dire toi, tais-toi. Je pense que de plus en plus d’athlètes voudront parler mais pour le moment, les gens ont peur de parler. Moi, pour le dopage, je ne m’exprime pas que par rapport à l’affaire de Clémence, mais d’une façon générale. J’aime bien faire des liens avec la société et le dopage n’est pas un petit problème. C’est un fait de société. Il faut montrer que les petites choses ont des répercussions sur le sport et en-dehors du sport. En ce sens-là, les propos de Patrick Montel ne sont pas corrects. Si on triche à l’école, on peut tricher ailleurs, dans la vie. Quand on triche dans un domaine, on peut tricher partout. Comme on dit qui vole un œuf, vole un bœuf. C’est pour cela que l’athlète doit faire très attention aussi à sa vie privée, à ses sponsors. Qu’ils ne fassent pas de la défiscalisation par exemple, qu’ils aient une bonne image. Car on peut être vite attaqué, il faut se protéger, et faire attention à l’entourage. Athlète professionnel, ce n’est pas que courir. On devrait être formé à l’éthique, à comment gérer sa carrière même au niveau financier. Moi, j’ai su il y a peu de temps que je devais créer ma petite société pour cotiser, et j’ai perdu du temps de cotisation pour la retraite. On n’est pas formés non plus aux réseaux sociaux. Est-ce que c’est sain Instagram ou pas ? Il faut contrôler tout ça, pour contrôler sa carrière. Et si on n’est pas formés ?

La FFA joue-t-elle ce rôle de formation, en particulier sur le dopage ?

Quand on était jeune, pour des stages aux Sables d’Olonne, on nous parlait du dopage, on nous disait de faire attention aux compléments, qu’en cas de doute, on pouvait aller sur le site de l’AFLD. On a eu une petite sensibilisation. Mais depuis, il n’y a pas tellement eu d’information depuis la catégorie junior. Pourtant le dopage, ça concerne tous les athlètes. Le sportif de haut niveau va chercher à être le plus performant. Forcément, le dopage peut nous passer par la tête ! Ce n’est pas pour autant qu’on va passer à l’acte. Moi, je me suis déjà posé la question : quels résultats j’aurais si je prenais tel ou tel produit interdit ??. Mais pour passer à l’acte, non. On a des valeurs qui nous empêchent de franchir le pas. On a une éducation des parents, une éthique, de l’école, des profs, et même des journalistes. Mon premier entraîneur m’avait bien expliqué. Exemple, une fois, j’ai fait l’erreur de prendre un Dolirhume avant l’entraînement. Je suis allé à l’entraînement faire des 200. Mon entraîneur a remarqué que pour quelqu’un de malade, j’allais vite et que j’étais énervé. Il m’a demandé pourquoi, je lui ai dit que j’avais pris du Dolirhume. Il m’a dit Rentre chez toi, et il m’a pas parlé pendant trois jours… Je me suis excusé pour qu’il veuille m’entrainer encore…

Alors ton entraîneur voit que tu as pris du Dolirhume, et des entraîneurs nous affirment qu’ils n’ont pas vu que leurs athlètes ont pris de l’EPO !

Oui, ça se voit. J’étais énervé. Je voulais repartir trop vite pendant la récup. Je me suis renseigné sur le produit, la substance active était de la pseudo-éphédrine. Cela ne m’est plus jamais arrivé depuis !

Tu as le sentiment qu’on vous laisse trop isolé face à ces problèmes ?

Oui, et le pire est que sur les compétitions, des gens peuvent nous approcher. Une année, au cross de Gujan, un Marocain m’a dit : « Tu es bon. Je sais ce qui te manque pour aller plus vite. Viens t’entraîner avec moi. » Je ne le connaissais pas.

Vous les athlètes, vous êtes des cibles finalement ?

Oui, on est des cibles. D’un côté, on est des victimes d’un système dans une certaine mesure car on a toujours le choix. Pour certains, le bon choix est plus facile à faire et pour d’autres c’est plus difficile de part leur condition de vie mais cela ne justifie pas le dopage notamment en France…

Interview réalisée par Odile Baudrier