Depuis 20 ans, Pierre Faucheur est l’un des meilleurs mondiaux sur 800 m et 1500 m avec à son actif des dizaines de titres nationaux et internationaux. Samedi, qualifié avec un temps de 2’16’’ réalisé cet hiver à l’âge de 60 ans, il sera en lice pour disputer le 800 m Masters inscrit au programme des Mondiaux en salle à Portland. Témoignage.
En arrivant à Portland, Pierre Faucheur osa demander : « Demain, il y a des visites de programmées ? Comment ça s’organise ? ». La réponse du chef de délégation ne fut guère argumentée : « Mais pas du tout ». « Là, j’ai compris que je n’étais pas dans le même monde. Du tourisme, je vais le faire tout seul ».
Pierre Faucheur, c’est le seul athlète masculin engagé en demi-fond et figurant sur la liste officielle des sélectionnés pour le Mondial en salle qui aura lieu cette fin de semaine à Portland dans l’Etat de l’Oregon. Un voyage surprise aux côtés des Lavillenie (mais voyageant en business), Campaoré, Gomis, ce dernier de lui dire : « Mais non tu n’es pas le vieux, tu es l’ancien ».
Pierre Faucheur, c’est à 40 ans qu’il se prend au jeu des Masters. Une porte s’ouvre, l’heure a sonné. Avant cela, cet ingénieur en informatique au Ministère de l’Ecologie bricolait sur la piste, d’un niveau régional dont il n’a pas à rougir, côtoyant de près et de loin la génération Pascal Thiébaut, Didier Bégoin, Philippe Dien. Avec un faible pour le 15 non dissimulé, mais en admiration pour Sebastien Coe sur le 8 « Mon idole, j’adorais le voir courir. Quelle force dans les jambes, avec un rapport poids – puissance incroyable ». Il cite un chiffre : « Il faisait des squats à 200 kg alors qu’il pesait 57 – 58 kg ».
Les podiums, l’hymne national, le drapeau, ce protocole n’a plus de secret pour lui
Ainsi pendant 20 ans, Pierre Faucheur écume le circuit des VH. De M40 à M60, raflant tout sur son passage, par tranche de 5 ans en 5 ans, vaillant et conquérant. A ne plus compter le nombre de titres et de médailles, par dizaines, dont il peut se revendiquer autant en France que sur le plan européen et mondial. Les podiums, l’hymne national, le drapeau, ce protocole n’a plus de secret pour lui. Avec un pic de performance enregistré à M50 lorsqu’il devient cinq fois champion du monde et lorsqu’il établit deux records du monde sur 15, été et hiver avec 4’04’’ et 4’08’’. Grâce à une méthode, un mélange de bon sens et d’empirisme mais aussi et surtout grâce à l’expérience d’un autre M40, Sami Parkoo un préparateur physique encore saignant sur 8 avec 1’56’’ à 40 ans. Explication du miler vétéran : « Avant, je m’entraînais mal. Souvent, j’arrivais au stade et je faisais la séance des autres. Didier Bégoin me disait : « Aujourd’hui, je fais 4 x 500. Tu m’accompagnes ? ». J’ai dû me réadapter ».
Plus exactement, s’adapter pour permettre à ce corps longiligne de supporter les contraintes d’un entraînement encore basé sur la vitesse spécifique à ces deux distances, le 800 et le 1500. Travailler la force, gérer le lactique mais sans illusion manifeste, il précise pour éviter tout quiproquo : «Finalement, depuis 40 ans, je n’ai rien changé, je m’entraîne toujours 4 à 5 fois par semaine. Les meilleurs de ma génération, eux, ont tous arrêté, moi non. Je ne dirais donc pas que je suis un sportif de haut-niveau ». Il ne manque ni d’humour, ni de recul pour ajouter : « Je suis dans le folklore. Je suis lucide. Mais attention, je fais cela sérieusement. Pour nous les Masters, c’est la hiérarchie d’un moment ».
Ancien pistard donc, Pierre Faucheur l’est resté comme aimanté à cet anneau. En orbite, dans cet accéléromètre « le marathon ce n’est pas assez tactique, moi, j’aime les sensations de vitesse ». Pourtant, au club, le CS Bourgoin Jalieu, on le snobe. Les cadets – juniors, dans le couloir 1, il se frotte à eux. Quant aux dirigeants, il confirme sans prendre de gants : « ils ont le même âge que moi, mais ils ne comprennent pas que je pratique encore à mon âge ». Nul n’est prophète en son pays, c’est bien connu. C’est sa liberté de vivre ainsi, même s’il avoue qu’entre boulot, famille et entraînement, l’équilibre est fragile. Il confirme « Je cours partout » et ajoute sans ciller « j’ai une obsession, c’est mon hygiène de vie ».
« Je suis moins fort dans le spécifique 1500. Aujourd’hui, la VMA me fait plus souffrir »
Le matin, la première pensée de Pierre Faucheur, lorsqu’il pose le pied par terre, c’est « qu’est ce que j’ai prévu à l’entraînement ? ». Pour adapter celui-ci à ses humeurs, ses sensations, à la météo. Il dit : « J’adapte ». Adapter pour éviter la blessure, il n’a pas été épargné, surtout ces cinq dernières années avec deux opérations aux tendons d’Achille et des mollets qui hurlent souffrance sur les séances rapides : « On soutient moins l’effort. Je suis moins fort dans le spécifique 1500. Aujourd’hui, la VMA me fait plus souffrir. Je suis mieux sur le court comme avec des 5 x 150 m, des 200, des côtes courtes«. Mais en gardant des séances de raison, vélo (il fut un excellent duathlète), natation et travail en salle même s’il en est venu à détester soulever de la fonte. Il précise dans un langage codé : « Je sais que la chaise arrive, allez Pierre, il faut que tu y ailles ». Il décrit avec une précision d’informaticien cette séance « haine et amour ». Un travail de force articulé autour de trois cycles enchaînés lourd, moyen et léger en demi-squats qu’il termine par un sprint de 50 mètres. Il jubile en précisant : « On va du statique au dynamique. Le dernier 50 mètres, on est bien, je ne sais pas si ca va vite, mais on est léger, on a l’impression de voler ».
Pour ce Mondial de Portland, Pierre Faucheur s’est qualifié sur 800 en réalisant à Lyon, 2’16’’ et 2’17’’ temps suffisants pour disputer cette épreuve exhibition qui aura lieu samedi au milieu des séries de 800 «Nous voulons montrer ce que c’est de courir un 800 à 60 ans avec ce côté ludique, ce côté incertain. On se prend au jeu ». Une course très indécise car les six coureurs engagés se tiennent tous à une seconde près. La dernière séance de Pierre Faucheur ne fut guère convaincante à son goût, seul dans le froid pour exécuter 500 – 300 et 200 en 1’26’’ – 52’’ et 33’’5. Il analyse lucidement et sans amertume : « Les années pèsent lourd. J’ai fait le tour de la question. Mais j’y trouve encore du plaisir ».
> Texte : Gilles Bertrand
> Photo Nico la Clusaz