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Pascal Zilliox, pour un brin de muguet

Pascal Zilliox lors du Marathon de Paris en 1992, où il réalise 2h 11'11''

Pascal Zilliox lors du Marathon de Paris en 1992, où il réalise 2h 11’11 »

Fils de mineur, Pascal Zilliox échappe à la mine en devenant l’un des meilleurs marathoniens français de la génération 90. Il dispute les trois grands championnats, les Europe à Split en 1990, les Mondiaux en 1997 à Athènes mais surtout entre les deux, les J.O. de Barcelone après s’être qualifié en réalisant 2h 11’11’’ à Paris en 1992. En 2000, à l’âge de 38 ans, alors qu’il tente un come back sur la route, il choisit de quitter un monde de souffrance qu’il ne supportait plus. Retour en Lorraine.

 

« L’image que je garde de Zibi » ? Dominique Chauvelier n’a pas à se frotter les tempes pour répondre : «C’est à Split. Je le revois encore. On était dans la même chambre. Il restait comme un mort, allongé sur le dos à regarder le plafond». Split, les championnats d’Europe, nous sommes donc en 1990, une fin d’été, sur les bords de l’Adriatique, dans une Yougoslavie qui vit les dernières heures d’un socialisme désavoué. « Moi je faisais un peu de tout, même dans les jours précédant le marathon. Un peu de plage, je plongeais, je faisais trois brasses, un peu de soleil aussi. Je m’entraînais cool et j’allais voir les compétitions». Et lorsque Dominique Chauvelier rentrait le soir, Zibi n’avait pas bougé, sans doute à construire des stratégies de course, des scénarios de vie aussi fragiles que des châteaux de carte «j’avais envie de lui dire « mais bouge».

Zibi, c’est le surnom que portait Pascal Zilliox. Les origines de ce curieux petit nom plein d’affection, il faut demander au marquis de Nancy, Pascal Thiébaut, le copain, l’ami, le confident de Zibi. Avec son bagou de joyeux loulou distingué, il raconte : «A l’époque, il y avait un Polonais qui jouait à la Juventus, Zbigniew Boniek. Zbigniew…Zibi, voilà c’est venu comme cela. Car Pascal, portait toujours le même maillot, rouge et blanc, les couleurs de la Pologne. C’était son maillot fétiche qu’il portait même sous le maillot de club. Et comme il avait cette gueule taillée au couteau, une gueule de Polonais, tout blanc comme un cachet, tout maigre….un vrai de vrai ».

Zibi est né le 19 juin 1962 à Créhange, une commune du bassin mosellan adossée à la mine de charbon de Faulquemont. Le père prénommé Simon, y est d’ailleurs mineur de fond, une famille ordinaire dans ce bassin minier où les gamins devenus ados n’ont qu’un seul espoir, ne pas descendre au fond du puits même si dans ce complexe industriel aux allures carcérales, les cadres de l’époque cherchent à former une « élite industrielle ». On y embauche tous les jeunes garçons qui se présentent, fils de paysans, fils d’immigrés polonais ou nord africains. A leur arrivée, ils sont fixés : « Tu seras ce que tu pourras. Ca ne dépend que de toi (*)».

« Et bien lui, vous ne savez pas ? Non ? Il fait demi-tour pour aller le chercher. Il était trop honnête »

Zibi échappe à ce destin, très vite repéré dans un premier temps par un certain Schmidt puis par Serge Bord alors conseiller technique. Celui-ci l’oriente vers l’ASPTT Nancy. « Tu seras ce que tu pourras. Ca ne dépend que de toi», Pascal Zilliox n’a pas entendu cette phrase mais inconsciemment, elle le guide pour devenir coureur à pied sous l’aile protectrice de Roger Habemont, l’animateur fétiche du club. Du 800 au marathon, ce prof d’EPS chargé de la formation au CREPS, boulonne et charpente une solide équipe de crosseux et de demi-fondeurs dont les Martin, Allé et Pascal Thiébaut en majordome. Les temps heureux. L’entraîneur, aujourd’hui âgé de 80 ans se souvient : «Je l’ai vu arriver en junior. Je me souviens de lui à La Grande Motte, il manque de peu l’équipe de France de cross. C’était un gars gentil, obéissant. Je me souviens aussi de lui à Chartres. Il perd son dossard en course. Et bien lui, vous ne savez pas ? Non ? Il fait demi-tour pour aller le chercher. Il était trop honnête ».

Pascal Zilliox, second à Paris en 1992, son plus bel exploit

Pascal Zilliox, second à Paris en 1992, son plus bel exploit

Zibi, le fils de mineur, trouve ainsi, grâce au club, emploi à l’imprimerie des PTT, un petit chez soi dans un foyer de jeunes postiers et des heures de liberté pour s’entraîner. « Vraiment, il aimait courir. Vous savez, bon, vous l’avez connu, il n’était pas épais, il était plus apte aux longues distances». Roger Habemont le décrit également du genre « à ne pas se plaindre, c’était un Mosellan, c’était un taiseux ».

Zibi se cale également sous l’aile protectrice de Pascal Thiébaut. Allez savoir pourquoi et comment Thiéb le flamboyant, le déconneur, le flambeur, le joueur, c’est ainsi qu’il se décrit, tend la main à ce gringalet, émacié, sombre et triste comme une assemblée de bigotes un jour de Toussaint : « C’était une crème, je me suis battu pour le faire grandir. Même pour aller faire une prise de sang, il fallait le tirer. Il était très influençable, il ne parlait pas. Combien de fois j’ai couru avec lui en posant les questions et en faisant les réponses. Finalement, manger, courir, dormir, cela lui suffisait ». Le souvenir le plus vif de cette amitié basée sur le silence, les non dits, les regards qui ne disent pas tout, Pascal Thiébaut le raconte : «J’avais invité Sergueï Bubka au meeting de Nancy et on décide d’aller au restaurant. C’était à l’Aquarium et Zibi vient avec nous. J’essayais toujours de l’associer. Nous n’étions que cinq – six. Il lui a juste dit bonjour et le reste du repas, il est resté silencieux. A la fin, il est venu me voir pour me dire : « Tu m’as offert le plus beau Noël de ma vie ».

Les deux Pascal sont alors indissociables. Comme s’ils avaient signé ensemble un pacte secret, poignet contre poignet ensanglanté, pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur ? Les 2h 11’11’’ que Zibi réalise lors des sélections olympiques organisées dans le cadre du Marathon de Paris en 1992, second derrière Luis Soarès. Le Thiéb lui tombe dans les bras : « Putain, tu me fais chialer. Maintenant, c’est à moi de me qualifier pour les Jeux». Non loin, dans l’émotion d’un tel exploit, il y a Marie Christine, l’épouse, qui n’a pas mis longtemps à se faire connaître dans le milieu de la course à pied « on m’appelait la mère Zizi. A oui, on m’entendait sur le bord de la route pour l’encourager». Interrogée sur cette union, elle confirme « j’étais tout à la fois, la mère, le coach, le manager » et même le chauffeur à bord de la Rover 7 places pour se déplacer de course en course «C’est moi qui conduisait car il n’avait pas le permis». Elle porte également ce jugement sur Zibi l’époux, le coureur : « C’était quelqu’un de très réservé. Il ne montrait rien. Il avait tout pour réussir. Toutes les conditions étaient réunies mais il avait un mental fragile». Les raisons ? Qu’ils s’agissent de l’entraîneur, de l’épouse, du Thieb l’ami, tous remontent sans hésiter au décès tragique de la mère pour expliquer les racines à vif d’un tel mal de vivre. Une histoire comme tant d’autres dans ces cités minières rongées par la misère. Comme toutes les nuits, où le père descend au fond de la mine, le petit Pascal a la charge de surveiller une mère souffrant gravement d’insuffisance respiratoire. Une nuit d’effroi, à ses côtés, elle ne se réveille pas. Au petit matin, le décès est prononcé, mort par asphyxie. Le père purge vite son chagrin en se remariant sans tarder avec une très jeune femme, Micheline, âgée seulement de 21 ans alors que Simon convole sur ses 55 ans et un troisième mariage. Quant à Pascal, tout juste 10 ans, une vie de culpabilité, de vide et de manque se consume déjà sous ses pas, dans le noir, dans l’opaque des fumées de la mine de Faulquemont. Le ciel peut-il s’éclaircir ? Fuir à Nancy devient donc un salut.

»Pour eux, pour lui, il rêve d’un joli pavillon, d’un « sam’suffit », d’un chez soi, à soi. Il voit beau et grand.

Pascal Zilliox se construit ainsi une vie de marathonien. Gagne plus que trois sous, 4000 euros à Londres en 1990 pour sa 14ème place, presque autant à Caen en 1991 pour sa seconde place, 26 000 pour finir second à Paris en 1992, sans oublier les 700 euros de contrat annuel avec Adidas, le quotidien s’améliore. Les enfants grandissent, Sébastien qu’il adopte et Dorothée, Florian et Aurélie qu’il aura avec Marie Christine. Aurélie sa fille cadette se souvient du meilleur : « Il adorait la pêche. Il aimait bien écouter Renaud. En famille, il n’était pas le dernier à faire le pitre, à amuser la galerie ». Pour eux, pour lui, il rêve d’un joli pavillon, d’un « sam’suffit », d’un chez soi, à soi. Il voit beau et grand mais les banques l’étranglent, le début d’une descente lente vers le noir obscur. En réalité, les parties de pêche sur les bords de la Meurthe non loin de Art, c’est pour s’isoler, pour oublier. Renaud, c’est pour écouter « mon bistrot préféré ».

L’ami René Fallet me parle de ces touches
Qui le font frissonner quand il pêche à la mouche
Et du vin et des femmes et surtout des copains
Qui font la vie plus belle, le désespoir plus loin

Pour Zibi, le désespoir ne recule pas car le couple, et ce n’est plus un secret, est au bord du vide, disloqué, déchiré. 1996, nouvelle année olympique, Pascal Thiébaut se souvient : « Il cherchait à se reconstruire, à se qualifier, il m’a appelé pour me dire : « Je me suis planté, c’est fini ». Il pleurait ». Pour autant, il rebondit car fin de saison, le Marathon des Hauts de Seine lui sourit, dixième en 2h 14’43’’ et sur cette lancée, il réussit une très belle saison 97, douzième à Paris en 2h 16’22’’, une qualification pour le Mondial d’Athènes et une victoire symbolique au marathon de Toul, 2h 18’52’’ en voisin.

A Split lors des Europe 90, Pascal Zilliox, second à droite,  Dominique Chauvelier premier à gauche (photo JPR)

A Split lors des Europe 90, Pascal Zilliox, second à droite, Dominique Chauvelier premier à gauche (photo JPR)

A Londres en 1991 lors de la Coupe du Monde, Pascal Zilliox second à droite dans le peloton

A Londres en 1991 lors de la Coupe du Monde, Pascal Zilliox second à droite dans le peloton

Puis l’enfer ouvre ses portes. Un vent mauvais l’aspire. Sur les côtés, les volets claquent. Plus rien ne le retient. Renaud chante Brassens « Les illusions perdues, l’Orage, Oiseaux de passage… ». Zibi touche même du doigt l’éternel. « Suis-je un oiseau de passage ? » On le récupère par des mots, errant sur un quai de gare et il accepte de se soigner à Jeanne D’Arc, un établissement spécialisé. Pascal Thiébaut est le premier ami à lui rendre visite. Il se souvient : « C’était un premier mai, j’étais venu avec ma femme et mes enfants. En fait, j’étais mort de trouille. Il me dit : « Mais ils sont tous fous ici ». Je lui ai offert un brin de muguet ».

Dans les couloirs de cette institution, Zibi se lie d’amitié avec une petite brunette mince et blanche comme un fil de nylon. Comme lui, elle marche sur la pointe des pieds au milieu de cette vaisselle cassée. Dans ce sombre obscur, dans ce fracas, des sourires, des mots, de la réserve, de la timidité, tous les deux se confient et finalement s’amourachent l’un à l’autre. Lorsque ces deux oisillons sortent respectivement de leur cure, ils se mettent en ménage, à Maxiville, dans un petit deux pièces, un coin de vie modeste. Isabelle est étudiante en psycho, Zibi redevient coureur avec ce style inimitable, le buste droit, les deux bras collés le long des côtes « comme s’il avait coincé le journal l’Equipe d’un côté et une baguette de pain de l’autre ». L’image est de Pascal Thiébaut, le confident, le grand frère. Le Thieb décide même de l’entraîner. Il avoue «Je n’ai pas eu le choix sinon il arrêtait tout ». On le croit sauvé, Isabelle le pense, même si les huissiers le prennent encore en tenaille. Dorothée, Aurélie, Florian, Sébastien, les enfants passent les vacances dans ce nouveau foyer. Ils reprennent eux aussi espoir. Les perfs ? Ce n’est pas encore ça, 62ème à Carhaix lors du France de cross, 25ème à la corrida d’Heillecourt et quelques victoires ici et là dans ce coin de Lorraine et aux confins des Vosges. Pascal Thiébaut le pense relancé : «Depuis qu’il voyait un psy, en footing, parfois, c’est lui qui faisait les questions et les réponses, ça ne l’arrêtait pas. Il avait même eu son permis de conduire, moi qui m’était battu pour qu’il le passe. On avait même prévu des parties de pêche ensemble».

Pascal Zilliox à Athènes en 1997 lors du Mondial

Pascal Zilliox à Athènes en 1997 lors du Mondial

Le 30 juillet, il remporte sa dernière course, dans les Vosges, Isabelle, Dorothée, Aurélie, Florian, sont là pour cet instant fugace d’un bonheur fragile. Aurélie se souvient : « le 22 juillet, c’était mon anniversaire, il m’avait offert une paire de basket ». Le 3 août, alors que le club se prépare à se rendre au France Elite à Nice où se déroulent les sélections olympiques pour Sydney, Zibi demande à Frédéric Fabiani, le directeur sportif du club « tu n’oublies pas de me faire inscrire pour le Marathon de Berlin ! ». Le 4 août, il réalise une grosse séance. Il met une grosse « branlée » à des copains de cendrée. Il dit même en les chambrant : « Vous voyez les gars, je fais du Thiébaut ».
Le 5 août, Pascal Thiébaut, de retour d’Espagne, a justement rejoint Frédéric Fabiani et Mohamed Belabbes à Nice. La nouvelle de son suicide tombe alors qu’ils sont sur le terrain d’échauffement. Mohamed tourne au loin à quelques minutes de sa finale. Lorsqu’il revient, il s’interroge : « Eh les gars, ça ne va pas ?». Pascal, submergé par l’émotion, lui répond en retenant ses larmes : «Je ne peux rien te dire. Je te demande juste une chose, aujourd’hui, tu dois gagner ». Mohamed Belabbes remporte le titre, à l’arrivée Pascal le rejoint : « Ecoute, Zibi est mort ». Le steepleur s’effondre à genou, Pascal ajoute : « quelle putain de journée ».

Seize ans plus tard, les enfants de Zibi portent encore le deuil. Dorothée explique d’une voix affirmée : « Lorsqu’il y a un marathon retransmis à la télévision, on regarde, on pense à lui. Il est encore vivant. La douleur est toujours là car on cherche toujours à comprendre. Il cachait tout ». Chacun a gardé un maillot mis sous verre, Aurélie la montre chrono de son père comme porte-bonheur et dans la famille, on se partage le petit caillou que Pascal Zilliox avait serré dans sa main lors du marathon d’Athènes pour éviter un point de côté. Quant à Pascal Thiébaut, Isabelle lui a remis, plié dans un petit sachet plastique, le brin de muguet séché qui avait été caché dans le pli d’un livre.
Neuf mois après le décès de Zibi, une petite fille naissait. Comme un brin de muguet.

> Texte et photos Gilles Bertrand

> * Une nouvelle cité minière en Lorraine : les charbonnages de Faulquemont. Etude de C. Voilliard