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Pascal Thiébaut, « j’étais un coureur de salon »

Pascal Thiébaut place Stanislas à Nancy

Pascal Thiébaut place Stanislas à Nancy

 

Los Angeles, Séoul et Barcelone, avec trois sélections olympiques, Pascal Thiébaut, l’héritier de Jean Wadoux,  fut le leader du demi-fond français de 1984 à 1992 sur 1500 m puis sur 5000 m, distance sur laquelle il fut recordman de France avec 13’14’’60. Aujourd’hui, organisateur d’évènements dans sa ville natale de Nancy depuis plus de 20 ans, il croque la vie en se forgeant une réputation d’épicurien. Rencontre sur un coin de…bonne table.

 

Place Stanislas, le pavillon de l’Opéra, le pavillon Jacquet, l’Arc Héré, étincelants de lumière. Pascal Thiébaut a traversé cette place d’un bon pas, la veste ouverte, les mèches grisonnantes dans le vent « on prend l’apéro ?».

Nous nous sommes assis à l’une de ces terrasses où des serveurs distingués, de noir vêtus, tournent élégamment le plateau à la main. L’un d’entre eux nous apporta un verre de jus de tomate et un Perrier. Pascal Thiébaut s’est calé, comme un Parisien dès le premier rayon de soleil printanier, le dos au siège, le visage relevé, le museau pointé au zénith comme pour capter cette énergie venue du ciel. « Tu te rends compte à Rome, il faisait 27° ».

Pascal Thiébaut revenait juste de Rome, la veille au soir, quelques jours dans la cité impériale, à virevolter au milieu des Vespas dans les ruelles de la ville antique, le long du Mur Aurélien, aux abords du Colysée et du Mont Palatinum. A jouer le « petit futé », pour trouver le petit restau chic-routard, à dénicher un vieux glacier « j’ai emmerdé tout le monde avec ce glacier mais j’ai fini par le trouver ».

La place Stan, c’est la fierté des Nancéens, c’est le QG de Pascal Thiébaut lorsqu’il revêt l’habit de grand ordonnancier. Lors des foulées de la St Nicolas, d’Octobre Rose et lors du semi, cette immense cour carrée s’offre aux coureurs « tu vois, ils arrivent de cette grille et finissent sous l’Arc de Triomphe ». Il n’y a pas d’autre explication à donner, le cadre est majestueux.

Puis nous avons filé au restaurant les Nouveaux Abattoirs, à deux encablures du canal et de la Meurthe et à un jet de javelot du stade. L’établissement est tenu par un ami de Thiéb, un costaud au crâne rasé. Thiéb embrasse la famille, son épouse, son serveur, il lâche « je reviens de Rome, il faisait 27°. La semaine prochaine, je pars en Espagne ».

Ici, la spécialité, c’est tête de veau sauce gribiche. Le serveur nous glisse par dessus nos épaules « on en passe 120 kilos par semaine ». Pascal interroge « tu aimes la viande ? ». Les tables sont nappées d’une toile cirée à carreaux rouges. Nous n’avons pas pris de vin. Il était 13 heures. Entretien.

 

. Récemment tu déclarais avoir été flambeur, joueur, même déconneur. Aujourd’hui, cette image qui colle encore à la peau de Pascal Thiébaut comme une marque de fabrique, est-ce du passé ?

J’ai toujours été un coureur de salon. Non plus sérieusement, je faisais partie des athlètes qui avaient besoin de s’amuser. Lorsque j’allais à Font Romeu, il fallait bien que je craque un soir pour faire la java de temps en temps…. Non, ça fait partie du personnage sinon j’aurai fait une dépression nerveuse. Mais attention, ce n’était pas le même athlétisme, on avait moins la pression que maintenant. On s’arrêtait quatre semaines, on allait en vacances, on faisait les 400 coups. Maintenant c’est plus compliqué, c’est plus professionnel, même si on était professionnel, aujourd’hui on n’a plus droit à l’erreur. Même quand j’étais athlète, j’aimais la vie, j’étais épicurien. Et peut-être encore plus aujourd’hui. Je ne me prive de rien, c’est ma force, avec mes copains, avec mes partenaires, on passe un bon moment. Bien vivre, bien boire, bien manger avec des gens que j’aime. Il n’y  a rien de plus. C’est ce qui guide ma vie et être heureux.  Moi, je suis dans l’excès, je suis quelqu’un de passionné. Quand j’aime, j’aime, quand ça me gonfle, ça me gonfle, quand je suis bien, je suis bien. Je fais tout par passion. Maintenant j’ai la chance d’avoir des amis qui me correspondent, ce n’est pas par hasard. On passe des bons moments, on se retrouve tous les week-end pour courir, on part en vacances ensemble, on fait des marathons ensemble, on fait des chouilles ensemble. Et même si on a chacun notre vie, on a un point commun, un trait d’union, c’est l’amitié. Je suis quelqu’un de fidèle là-dessus. Nancy, c’est ma ville, j’ai besoin d’aimer et j’ai besoin d’être aimé.

 

Pascal Thiébaut à Barcelone

Pascal Thiébaut à Barcelone

. C’est un peu une énigme, mais avec cette vie là, comment arrive-t-on à se sélectionner trois fois pour les Jeux Olympiques ?

Le haut niveau, c’est Jacques Darras qui le disait toujours et je le répète à mes amis chefs d’entreprise « le haut niveau, c’est détail plus détail plus détail ». Jacques Darras m’a appris cela. Il m’a beaucoup appris. Je pense que j’avais un peu de talent. Il en faut. La classe aussi, la vitesse aussi. Mais il me manquait dans certains détails le mental. J’ai fait une analyse, une démarche par rapport à cela. Car quand tu pars en championnat mais qu’en fait tu as envie de te sauver et de te faire une entorse ? Dès qu’il y avait de la pression, je me chiais dessus, je ne dormais plus, je « déchirais les draps », ça m’est arrivé des nuits. J’étais un baliseur. Quand j’étais largué, je n’étais pas accroché, il m’en restait toujours sous la pédale car je n’étais pas quelqu’un qui savait se défendre.

 

. Mais il y a bien eu dans ta carrière des courses parfaites ?

L’une des rares fois, c’est quand j’ai battu le record de France du 5000 à Oslo. Je réalise 13’14’’60 et là, j’utilise le maximum de mes possibilités. Sur 1500, je pense que j’aurai dû battre le record de Jean Wadoux en 92 à Monaco le jour où Tony Martins bat mon record du 5000 de 13 centièmes. Je suis sur la piste d’échauffement lorsqu’il bat mon record. Mon 1500, c’était juste en suivant. Ca fait bizarre, c’est dur à gérer. En course, Sebastien Coe s’écarte, il y a un tampon, je le vois, je le bute, ça me ralentit, je ne peux pas passer. Là, je pense que le record serait tombé (ndlr : il réalise 3’34 »08). L’histoire aurait été belle. Mais un record, il faut le mériter et pour le mériter il faut des couilles. J’ai manqué un peu de panache, un peu de volonté. Je n’étais pas un tueur, j’étais un gentil, j’aime trop les gens. Je n’ai jamais voulu marcher sur les autres, même encore aujourd’hui. Pour le haut niveau il faut vouloir manger les autres, être méchant. Et ça, je ne savais pas le faire.

 

. Tu as marqué ton époque avec ta fameuse ligne droite, était-ce la marque de fabrique de Pascal Thiébaut ?

Il ne fallait pas rester avec moi au sprint. Là c’était le coup de révolver. La ligne droite, j’adorais cela, le virage, se décaler, tu déboîtes, c’est jubilatoire, c’est grisant quand tu sais que tu as quelque chose sous le pied. Comme à Oslo lorsque je bats Ngugi et Ondieki. Je dois faire un dernier 400 en 53’’ et 12’’00 dans la dernière ligne droite. Ce soir-là, je fais 13’17’’ mais je valais 13’05’’. Moi, j’ai connu la fin d’une période, l’époque des Coe – Cova, celle des matchs internationaux, des courses normales, des courses tactiques, où seule la place comptait. Je suis arrivé trop tard, car là, j’aurais été le roi du monde. J’aurais eu une toute autre carrière. Puis on a basculé dans la période des meetings, avec de l’argent, des lièvres, des courses au train. Je suis né peut-être un peu trop tard mais c’est bien car j’ai connu les deux systèmes. Et j’ai bien vécu des deux.

 

. Tu as été fidèle toute ta carrière à un seul entraîneur, Roger Habemon. Quelles ont été ses qualités pour expliquer une telle fidélité ?

C’est un homme fabuleux, un animateur extraordinaire (il répète le mot…), comme tu rencontres peu dans les clubs d’athlé. Lui, il s’en moquait d’avoir un Thiébaut, d’avoir un Zilliox, un Gérard Philippe. Tout le monde n’y a pas trouvé son compte, moi si, car j’étais capable de me prendre en main. Ce qu’il ne me donnait pas, j’étais capable de le faire moi-même. Je me suis beaucoup rapproché de Jean-Michel Dirringer. Je l’avais souvent au téléphone. Mes séances, je les analysais, je les décortiquais avec lui. Il m’a beaucoup apporté et je pense que je lui ai beaucoup apporté car c’était pour lui le début du haut niveau. Avec Roger Habemon, l’été pendant 2 mois, j’étais seul. Par exemple, Roger n’est jamais venu me voir, l’été, sur un championnat de France, il partait faire de la planche à voile. Alors les Camille Viale, Georges Gacon, Jean Pierre Darras, des passionnés, des gars qui passaient du temps, ont également beaucoup compté pour moi. Mais grâce à Roger, j’ai eu une carrière longue, je n’ai jamais été blessé. Ca compte beaucoup. Je le respecte pour cela.

 

Pascal Thiébaut à Narbonne en 1992

Pascal Thiébaut à Narbonne en 1992

. Fidèle à un entraîneur, mais aussi fidèle à une ville, Nancy ?

C’est facile de rester. J’étais le champion de l’Est Républicain, quand je pissais c’était marqué dans le journal. Pascal Thiébaut à Nancy ça fait partie du patrimoine. Les partenaires, c’était facile, cette partie, c’était déjà moi. Je faisais déjà des conférences de presse. J’invitais déjà les journalistes au restaurant. On faisait une bouffe, on faisait la pub des partenaires derrière. En plus L’Est Républicain et le Républicain Lorrain se tiraient la bourre. C’était à celui qui sortirait le plus beau papier. Je jouais sur la concurrence. Je leur expliquais ma saison et je mettais Roger Habemont à mes côtés. C’était déjà professionnel. Je savais me vendre. Je me souviens à Rome en 1987, je suis minable alors que je venais de battre le record de France du 5000. Les journalistes m’attendaient pour me flinguer. J’ai pleuré, j’ai été spontané. Et bien, ce sont eux qui m’ont trouvé presque des excuses. Voilà, il faut être honnête, on a des droits et des devoirs. Si tu es bon, il faut aller voir les journalistes mais quand tu es mauvais, il faut aller les voir aussi. Ca fait partie de la règle. Il ne faut pas fuir. Je suis respectueux de ces principes.

 

. Pascal Thiébaut au milieu de sa cour, cela explique-t-il que tu ne sois pas parti de ta ville ?

Partir ? Roger Habemont m’a toujours dit « demain je suis prêt à te donner à n’importe qui ». Mais il ne l’a jamais fait. Et moi je n’ai jamais eu le courage de partir. J’étais bien chez moi. J’étais le champion de Nancy, ma petite cour, une belle vie. Partir ce n’est pas simple, cela m’a convenu. Mais Habemon m’a accompagné longuement. Même à la fin il ne m’entraînait plus, je m’entraînais moi-même, personne ne le savait. Mais Roger me chronométrait toujours. C’est mon père spirituel. Je suis un des rares à le vouvoyer avec Frédéric Fiabani  qui est coach chez nous. Il y a un respect. C’est un sacré bonhomme.

 

. Tu as croisé le fer avec Sebastien Coe. Un fait d’arme qui est d’ailleurs curieusement marqué sur ta fiche Wikipedia. Est-ce une anecdote ou une rencontre qui a compté ?

A mon époque, j’ai eu la période Coe – Owett. Ils m’ont fait rêver. Moi, j’arrivais juste. Fatalement, je me sentais plus proche de Coe, parce que c’était le petit Lord, le jeune premier, un côté dandy. Ca faisait penser au duel Jazy –  Bernard. Owett disait toujours bonjour alors que Coe ne calculait pas. Il était froid. Je me souviens un jour, je gagne la Coupe d’Europe à Gateshead. Je faisais un papier avec Françoise Inizan de l’Equipe. A l’époque, c’était important la Coupe d’Europe, ça n’avait lieu que tous les deux ans et jamais un Français n’avait gagné le 1500. Il n’y avait pas les meetings comme maintenant, tu devais y être pour être le patron de ta distance, on voulait tous y être. Coe venait toujours manger à la fin des courses. Et là, je le croise, je le regarde comme cela, et il revient sur ses pas. Il m’appelle, il me félicite, parce que j’avais niqué les Anglais au finish chez eux. Il était content. Mais bon, aux J.O., j’ai battu Coe parce qu’il s’est relâché, et c’est tout. Ensuite en demi-finale, je n’ai rien fait, j’avais perdu mon accréditation et comme il m’en fallait peu pour me déstabiliser, je suis passé à travers.

 

. 1984 premier titre de champion de France…il coupe pour dire « moi je ne sais pas, tu sais mieux que moi », à cette époque, quel est ton statut ? Es tu déjà professionnel ?

Avant de partir à l’armée, j’étais déjà semi professionnel. J’avais été 6 mois facteur, pas vraiment facteur mais rouleur, j’ouvrais les sacs de courrier, je le triais, et lorsqu’il manquait quelqu’un, je bouchais le trou et je partais en tournée. Dans la cité du Haut du Lièvre à Vandoeuvre. J’étais débrouillard, j’aimais bien. Mais là, j’ai failli décrocher puis on m’a planqué. On m’a détaché au bureau des sports de l’ASPTT.

 

. Tu étais donc sportif d’Etat !

Oui tout à fait, comme dans les Pays de l’Est, sauf que nous avions le système privé et que moi j’ai su en jouer.

 

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Pascal Thiébaut à Narbonne en 1992

. Et toi tu as été un parfait autodidacte pour apprendre ce métier de coureur professionnel…Un serveur nous interrompt « vous prendrez un dessert ? » Pascal Thiébaut choisit un café gourmand. L’entretien se poursuit….

Nancy est assez grand pour être connu et assez petit pour être tranquille. C’était un bon compromis. Je savais faire. J’ai toujours eu un côté séducteur. Séduire les partenaires, je savais jouer le jeu. Je savais mettre la pression sur les concurrents. C’était inné, instinctif. Naturel. Tu as la bosse ou tu ne l’as pas. Je le dis toujours, j’étais un coureur de salon, j’aimais bien être dans les réceptions. Lorsque j’étais chez Adidas, j’adorais aller à Landersheim, parce qu’on allait manger à l’auberge du Kochersberg. Je connaissais Bill le sommelier, j’allais avec lui voir les bonnes bouteilles. J’achetais VO2 et j’achetais la revue des Vins de France. J’ai failli avoir des accidents avec la Revue des Vins de France mais jamais à cause de VO2… Ca je te le promets. J’étais dans l’excès, j’achetais des vins et aujourd’hui je bois les bouteilles pour oublier que je gagne moins d’argent. Si j’ai appelé ma fille Margaux, ce n’est pas pour rien.

 

. En même temps alors que tu as une carrière internationale, tu t’engages déjà dans l’organisation. Pour quelles raisons ?

Le business se met donc en place et j’ai commencé par monter le meeting Stanislas. En trouvant les sponsors, en invitant les gars. On a même fait un 2000 pour la première édition pour que je puisse battre le record de France de Michel Jazy. Je n’ai pas réussi de 5 dixièmes. Il y avait Carlier, Prianon, Mahmoud, tous les meilleurs Français. Je me souviens d’une année où Mahmoud n’a pas failli franchir la ligne d’arrivée, les 1500 spectateurs étaient sur la piste, il faisait des zigzagues pour passer la ligne. Nancy, c’est une petite ville. Dans la vie, il faut savoir donner et quand tu donnes, tu reçois. Je fais partie de ceux qui ont pas mal donné à leur ville. Je suis un mec fidèle, un seul entraîneur et 48 ans de licence dans le même club. Ca me correspond. J’ai eu une certaine droiture. On pouvait compter sur moi.

 

. Etait-ce l’athlé des copains ?

Oui, on avait la même culture. On se marrait. On était joueur. Il y avait des personnalités, des Chauvelier, des Mahmoud, des duos comme Debacker – Mahmoud. On arrivait à mélanger le marathonien avec le coureur de 800. On était en osmose. On dit souvent « de mon temps c’était mieux » mais je comprends qu’on dise cela car il y avait moins de pression. Quand on arrivait quelque part, il fallait qu’on drague les filles, on marquait notre territoire. Des jeunes coqs, et moi, j’étais un jeune coq qui n’était pas marié donc on pouvait me laisser en liberté. Mais on faisait le boulot, on ne ratait jamais une séance. Après les meetings, souvent on se lâchait pour faire profiter les autres. Etre généreux.

 

. Avec un esprit très solidaire pour cette équipe de France que l’on retrouve d’ailleurs aujourd’hui autour du DTN actuel

J’ai été plusieurs fois capitaine de l’Equipe de France. J’étais fier de cela. Moi, pour ma première sélection, je me vois encore siffler la Marseillaise. J’étais junior (ndlr, il termine 40ème), les Français remportent le titre de champion du monde par équipe de cross à Glasgow en 1978. C’est inspirant. Je me suis dit « je veux faire comme eux ». Il y avait Levisse, Bouster, Watrice. C’était beau, un grand moment de sport. Et j’ai réussi à boucler la boucle en 1992 en terminant 21ème au Mondial de cross à Boston avec une bande de copains. Et là aussi, c’est un grand moment de sport. Un grand moment de partage. J’avais une âme de capitaine, de rassembleur, j’étais joueur. Moi je suis allé vers l’athlétisme car je voulais jouer à Jazy. J’étais épais comme une arbalète, à l’école quand je jouais aux gendarmes et aux voleurs, quand j’étais voleur, personne ne me rattrapait et quand j’étais gendarme, je rattrapais tout le monde. C’était un moyen d’exister. J’étais tout fluet, tout maigrichon. Fils unique, le sport, c’était une revanche pour moi. On n’a pas eu à me pousser. Je voulais jouer à la course à pied.

 

. Pascal Thiébaut le flamboyant, comment as-tu abordé cette fin de carrière, un passage parfois délicat pour certains athlètes de haut niveau ?

Je me suis dit « Ce n’est plus toi, tu es un autre. C’est plus toi, c’est fini ».  Tu n’existes plus, mais il faut le prévoir. Je m’étais déjà organisé. J’ai monté le meeting Stanislas, j’avais la chance d’avoir l’ASPTT, on m’a laissé faire ce que je voulais. Au fur et à mesure j’ai monté des organisations, des courses sur route qui sont devenues incontournables sur l’agglomération. Puis j’ai monté ma propre structure pour quitter le sérail de l’ASPTT. J’ai pu rester à Nancy car les politiques m’ont accompagné. Car je suis l’enfant de Nancy. J’étais Pascal. Ici, j’ai toujours été accompagné par le Maire de Nancy, André Rossinot, sans jamais m’utiliser, sans me demander quoi que ce soit. Je n’ai jamais fait de politique. Je ne suis pas une pleureuse. Je suis fils unique, mes parents étaient des ouvriers. J’ai habité 20 ans, cité des Provinces. C’est un côté que je ne renie pas. Je n’oublie pas d’où je viens. Ca m’a construit. J’ai toujours été à gauche. On m’a proposé aux dernières élections le poste d’adjoint aux sports mais j’ai refusé.

Pascal Thiébaut à Boston en 1991

Pascal Thiébaut à Boston en 1992

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Pascal Thiébaut 21ème au Mondial de cross en 1992

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L’équipe de France médaillée d’argent au Mondial de cross en 1992

 

. Pour les élus, l’image du fils ouvrier, du self made man qui réussit, cela a-t-il joué ?

Pour moi oui, ça m’a permis d’offrir une maison à mes parents. J’en suis fier. J’ai pu vivre cela grâce à l’éducation de mes parents qui m’ont élevé comme un fils de bourgeois, ils m’ont appris des principes, des valeurs. Ils m’ont fait apprécier certaines choses de la vie. Je me suis construit. Attention, ce n’était pas Zola, j’étais chouchouté. Parfois je m’arrête, je me promène là où j’ai vécu. Je ne suis pas du genre à regarder mes perfs, ma carrière, mais là, je n’oublie pas. J’ai pris un risque, j’ai fait de la course à pied mon métier mais je suis arrivé à la bonne période. Une génération qui a gagné beaucoup d’argent.

 

. Sous la carapace, il y a un côté très sensible chez Pascal Thiébaut. Comment expliques-tu cela ?

Tu es pro, tu symbolises quelque chose, tu brilles un peu mais en fait, tu es un mec affectif. Tu ne montres pas ta faiblesse. J’ai un masque sinon tu te fais transpercer. Mon côté grande gueule, oui, mais quand je vois un film, je peux chialer, je suis très sensible. Je suis un paradoxe avec ce côté en moi de très sensible et de l’autre tu dois montrer que tu existes. Par exemple, porter le maillot de l’équipe de France, j’avais peur, j’avais du mal à assumer. Quand tu es un champion, il faut l’assumer, le grand stade, la foule. J’ai réfléchi à cela car ça te poursuit toute ta vie. J’ai fait une démarche d’analyse pour comprendre ce côté paradoxe. J’avais deux personnages en moi avec ce côté sensible, féminin. Je suis autre chose qu’un champion. Je le dis souvent «  Le champion doit rattraper l’homme ».

 

Pascal Thiébaut aux J.O. de Barcelone en 1992

Pascal Thiébaut aux J.O. de Barcelone en 1992

. Tu es né en 1959, pour ta génération, la soixantaine arrive à grands pas. Est-ce une crainte ?

Non, il me tarde d’avoir 60 ans. Pour faire la bringue. Faire une fête chez moi. J’aime les gens, j’aime la vie. J’aime bien manger. J’ai mes repères, j’ai mes marques. Je n’ai pas peur de l’âge. C’est dans la tête. Parfois certains à 20 ans, ils sont vieux. Il faut être bon et au bon moment. Certains athlètes, je ne les vois plus car je n’ai peut-être pas été bon au bon moment. On est dans un monde d’égoïstes. Moi, je reste dans le milieu de la course à pied par rapport à mes manifs, mon meeting. Je reste dans ce milieu car ce milieu m’a beaucoup donné. Tout en gardant une certaine distance. C’est un choix de famille, j’ai envie de profiter de ma famille, de mes enfants, sinon, j’aurais eu la valise devant la porte. Je connaissais la fin du film. J’ai fait un choix de qualité de vie. Je vis bien. Je me fais plaisir avec les manifs que j’organise. Ca me donne des coups de stress, ça me fait du bien. Et j’ai une certaine liberté.

 

. Pour revenir à l’athlé pur et dur, le Meeting Stanislas est-ce une prise de risque ?

Oui car au début, il faut trouver les partenaires. Mais maintenant, ça fait partie de l’histoire. Là je me pose des questions pour l’année prochaine car les collectivités locales se désengagent. Il faut être lucide. Si ce n’est pas mes copains, les partenaires ne viennent pas. On le voit avec Paris qui a du mal à remplacer Areva. Alors imagine ici avec le stade Raymond Petit qui porte bien son nom. Nancy ne sera jamais Zurich. Donc il faudra être prudent mais ça ne me fait pas peur. Il faut se bagarrer. Le meeting, c’est bien, c’est la Ligue Pro, il y a Canal+, mais c’est très fragile. Mais je comprends. Je ne vais pas râler, il faut peut-être donner l’argent pour ce qui est utile car le sport, ça reste secondaire par rapport à des gens qui souffrent. J’ai envie de redistribuer. J’ai besoin de cela pour bien vivre avec mes copains. Ce sont des épicuriens, le plus important, c’est de jouir de la vie. Même quand j’étais athlète. J’étais le meilleur du monde avec les perfs que j’avais et la vie que je menais. J’étais costaud. J’aime la séduction. Aimer et être aimer. Je n’appartiens à personne et personne ne m’appartient. La course à pied m’a fait grandir dans le bon sens. Mais si on gratte bien, je joue un jeu.

 

. Et finalement Nancy, n’est ce pas ton théâtre ?

Avec la place Stanislas c’est grandiose.

 

> Texte et photos Gilles Bertrand