Aller au contenu

Parler du dopage nuit il à l’athlétisme ?

Faut-il parler dopage au beau milieu d’un championnat du monde d’athlétisme ? Et plus globalement, faire connaître les cas d’athlètes suspendus est-il néfaste à l’athlétisme ? Oui, estiment certains spécialistes surtout désireux de véhiculer une image positive du sport. Pour d’autres, au contraire, la communication autour des sanctions imposées en athlétisme garantit une meilleure crédibilité des performances, et une protection des athlètes scrupuleux.

Les deux histoires de Janat Chemusto, demi-fondeuse d’Ouganda, et d’Issamade Asinga, sprinter du 100 mètres du Surinam, se sont brutalement télescopées à quelques jours du début du Championnat du Monde 2023. Tous les deux ont connu le même destin : une suspension provisoire pour dopage. La porte du Mondial de Budapest s’est fermée brusquement devant eux, et leur carrière est très probablement terminée.

En l’espace de deux mois, leurs noms s’étaient hissés brutalement en haut des tablettes à la faveur de performances très prometteuses. Janat Chemusto avait claqué fin mai 4’01’’79 sur 1500 mètres à Nairobi, soit, à 25 ans, une amélioration de 13 secondes en un an sur son record personnel, et après un dernier tour couru en 59’’8. Issamade Asinga, lui, s’était illustré fin juillet avec un chrono de 9’’89 à 18 ans, nouveau record du monde junior du 100 m. C’était pour lui, un progrès de 55 centièmes depuis l’année 2022 !

Janat Chemusto, le come back dans le camp de Joos Heermens

Des progressions accueillies avec enthousiasme pour les uns, scepticisme pour les autres. Et débutaient aussi les tentatives d’explications « construites » pour les justifier. C’est ainsi que Janat Chemusto était décrite comme un talent précoce de l’Ouganda, mais qui s’était détournée de l’athlétisme, avec d’y revenir au sein du camp créé par Joos Hermens autour de Joshua Cheptegei, et d’y recevoir les conseils d’Addy Ruiter.

Le cheminement d’Issamade Asinga n’était pas aussi tortueux, mais c’est après avoir quitté le Missouri et intégré la Montverde Academy de Floride l’année dernière, et opté pour la nationalité du Surinam, que le jeune sprinter américain d’origine explosait tous ses repères dès le mois d’avril (9’’83 avec vent). Pour devenir fin juillet l’un des sprinters les plus performants au monde.

Norandrostérone et GW 1516, c’est du lourd !

Mais à peine le temps de raconter leurs parcours que le gendarme de l’athlétisme faisait irruption pour distribuer les mauvais points. Janat Chemusto se voyait suspendue provisoirement le 14 juillet suite à un échantillon contenant de la norandrostérone. Et Issamade Asinga suivait le 9 août en raison d’un contrôle positif au GW1516.

OUT donc ces deux athlètes potentiellement médaillables pour le Mondial de Budapest. Et il ne restait plus qu’à constater combien les belles histoires écrites sur ces deux jeunes talents manquaient de clairvoyance et de recul. Au contraire, même, en véhiculant l’idée d’une banalisation des chronos et des progressions accessibles à la faveur de changements d’entraîneurs.

Les suspensions tombent à un rythme effréné

Alors, faut-il taire ces suspensions qui pleuvent sur l’athlétisme à un rythme effréné depuis quelques mois ? Et qui touchent de très grands noms de l’athlétisme, comme Thiago Braz, champion olympique de la perche 2016, Rhonex Kipruto, recordman du monde du semi-marathon, Norah Jeruto, championne du monde du steeple 2022.

Au contraire, il faut se réjouir des annonces de cas de dopage. C’est la position du journaliste irlandais Cathal Dennehy, qui souligne dans IrishExaminer : « Les sanctions pour dopage devraient être accueillis avec enthousiasme, pas avec résignation », et estime que la disparition des stades de ces athlètes dopés garantit un « spectacle » plus fiable aux amoureux de l’athlétisme. Sans oublier aussi que les sportifs scrupuleux bénéficient de la sortie par la petite porte de ces tricheurs qui les ont spoliés. Exemple criant avec le Brésilien Thiago Braz, vainqueur inattendu à la perche devant son public, à Rio.

Autre atout à cette « publicité » sur les sanctions : la valeur d’exemple. C’est le point de vue de nombreux entraîneurs, convaincus qu’il est important que la perspective de sanctions détourne de jeunes athlètes de l’envie de prendre les raccourcis…

Alors non, en matière de dopage, le silence n’est pas d’or !

  • Analyse : Odile Baudrier
  • Photos : D.R.