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Moins de 2 heures sur marathon, ce n’est pas pour demain

Quel finish pour Bekele vainqueur à Berlin en 2h 03'03''

Quel finish pour Bekele vainqueur à Berlin en 2h 03’03 »

 

Avec 8 coureurs ayant déjà réalisé moins de 2h 04’ sur marathon dont un sous les 2h 03’, il est indéniable que l’étau se resserre autour de la fameuse barre symbolique des moins de 2 heures. Alimenté par la performance de Kenenisa Bekele lors du marathon de Berlin qu’il remporte en 2h 03’03’’, le débat a bien entendu été relancé. Mais à l’analyse fine des statistiques mondiales du demi-fond et du marathon, le premier homme sous les 2 heures, ce n’est pas pour demain, ni pour après demain. Analyse.

 

Kenenisa Bekele vainqueur de Berlin en 2h 03'03''

Kenenisa Bekele vainqueur de Berlin en 2h 03’03 »

Qu’on le veuille ou non, la performance de Kenenisa Bekele lors du récent marathon de Berlin a un petit côté rassurant. L’Ethiopien pour son quatrième marathon, au terme d’une fin de course palpitante, s’est imposé dans le temps de 2h 03’03’’. Il réalise ainsi la seconde meilleure performance mondiale de tous les temps, à seulement sept secondes du record du monde également établi  en 2014 par Dennis Kimetto. Mais à l’analyse de ce chrono, un constat s’impose, les moins de 2 heures sur marathon, ce n’est pas pour demain, ni même pour après demain.

La barrière des 2 heures sur marathon est un grand fantasme comme le furent dans l’histoire de l’athlétisme les moins de 10 secondes sur 100 mètres, les moins de 8’ sur 3000 m steeple, les moins de 13’ sur 5000 m et les moins de 27’ sur 10 000 mètres ou bien encore les 9000 points au décathlon et les 6 mètres à la perche.

Le débat sur ces moins de 2 heures a resurgi dans la communauté des coureurs en 2010 lorsque Geoffrey Mutai réalise à Boston 2h 03’02’’. Ce temps n’était certes pas homologuable car le parcours affiche un profil « descendant » mais il était significatif, qu’en frappant ainsi à la porte des 2h 02’, nous nous rapprochions immanquablement de ce chrono fantasmagorique.

Avec Makau puis Kipsang, c’est l’inverse qui se démontre, l’un comme l’autre n’ont jamais excellé sur la piste

Dans cette quête absolue, Wilson Kipsang donne un tour de clef supplémentaire en 2013. Le profil athlétique de ce coureur kenyan est intéressant car ses succès sur marathon ne s’appuient nullement sur le socle d’une carrière de pistard. C’est même tardivement que cet athlète fait le choix de la route sans avoir démontré ses talents de pistard, 14’20’’8 sur 5000 et 28’31’’5 sur 10 000 réalisés au pays ne sont en aucun cas significatifs du potentiel  «endurance» qu’il va déployer sur la route. En 2013, il bat le record du monde en réalisant 2h 03’23’’ à Berlin, effaçant les 2h 03’38’’ de Patrick Makau établi en 2011. Le doute s’installe car jusqu’alors, avec l’arrivée de Paul Tergat (2h 04’55’’ à Berlin en 2003) puis de Haile Gebrselassie (2h 04’26’’ puis 2h 03’59’’ en 2007 puis 2008) sur la route du marathon, on est presque convaincu que l’avenir du marathon appartient désormais de ce profil de coureur. Avec Makau puis Kipsang, c’est l’inverse qui se démontre, l’un comme l’autre n’ont jamais excellé sur la piste. A 22 ans, Patrick Makau est déjà sur orbite, 58’52’’ sur semi, puis 2h 06’14’’ sur 42 km à Rotterdam deux ans plus tard pour son premier marathon alors qu’il ne vaut que 13’42’’84 sur 5000 m.

Et cela se confirme en 2014 avec Dennis Kimetto, une nouvelle fois sur le parcours canon de Berlin, le Kenyan devient le premier coureur au monde à courir sous les 2h 03’, 2h 02’’57’’. Après Makau et Kipsang, il met une pierre de plus dans le jardin de ceux affirmant que les moins de 2h, c’est pour demain et qu’une carrière de haut niveau en demi-fond n’est pas un critère de base pour réussir sur marathon.  Le « vieux » Kimetto » émerge en effet sur la route sans aucun background de pistard. En 2011, alors âgé de 27 ans, il ne frappe pas les esprits avec ses 28’30’’ sur 10 000. Mais l’année suivante, il embraye sur la route, 59’14’’ sur semi et 2h04’’16’’ sur marathon, la machine Kimetto est lancée avec dans son sillage, son lot de questionnement sur la préparation du groupe Volare. Cette agence de management orchestrée par le Hollandais Gerard Van de Veen, regroupe en effet ce trio « infernal », Mutai, Kipsang et Kimetto qui à tour de rôle font exploser les barrières chronométriques.

Après une carrière en cross et sur piste avec 6 titres aux Mondiaux et 3 lors des J.O.,  Kenenisa Bekele se lançe à son tour sur la route du marathon

Kenenisa Bekele à Berlin en 2009

Kenenisa Bekele à Berlin en 2009

En réalisant 2h 03’03’’ à Berlin, Kenenisa Bekele a ramené le balancier dans le camp de ceux qui affirment qu’on ne peut approcher les 2 heures sur marathon que lorsque l’on possède une vitesse de base sur 5000 – 10 000 de niveau mondial.

C’était déjà le cas avec Paul Tergat (12’49’’87 sur 5000 et 26’27’’85 sur 10 000) et Haile Gebrselassie (12’39’’36 et 26’22’’75), c’est sans aucun doute le meilleur cas de figure que l’on puisse interpréter avec l’Ethiopien déjà détenteur de deux records du monde, 12’37’’35 sur 5000 m à Hengelo en 2004 et 26’17’’53 à Bruxelles en 2005.

Après une carrière en cross (12 titres de champion  du monde entre 2001 et 2008) et sur piste avec 3 titres lors des J.O. assortis de 6 titres aux Mondiaux,  Kenenisa Bekele se lance à son tour sur la route du marathon pour parachever son «oeuvre».  Il réalise un encourageant 2h 05’04’’ à Paris en 2014 lors de ce premier test pour connaître ensuite des préparations tronquées, avortées suite à des blessures à répétition.

A l’automne 2014, après son échec de Chicago et ce pendant trois mois, il s’en remet au vieux Renato Canova, le coach italien qui espère tant bien que mal le remettre sur pied.  Faute d’avoir réussi, il stoppe cette collaboration alors que Bekele essuie un second abandon à Dubaï en janvier 2015. Il l’oriente alors vers l’Ecossais Yannis Pitsiladis. Il s’agit de ce chercheur britannique  qui lançait en 2014 le projet Sub 2 (lire l’article) avec pour but avoué faire tomber la fameuse barrière des 2 heures sur marathon. Et qui mieux que Kenenisa Bekele pour suivre un tel programme basé sur des idées pas toujours novatrices. L’un des axes de recherche est un travail sur les gènes pour concevoir un programme d’entraînement complètement individualisé basé sur la réponse de bio-marqueurs, au moment où le coureur atteint son seuil de lactate. Ou encore de déterminer quels sont les gènes qui signalent la déshydratation ou les dégâts sur les muscles.

Après une année en souffrance, Kenenisa Bekele retrouve ainsi le chemin de la compétition lors du marathon de Londres qu’il dispute, selon Renato Canova, à 90% de son potentiel. Résultat, une réconfortante troisième place en 2h 06’36’’ derrière Eliud Kipchoge et Stanley Biwott. Lors de ce marathon, la performance du kenyan vainqueur en 2h 03’05’’, futur champion olympique à Rio,  confirme une nouvelle fois qu’une base « performance piste » est indispensable pour perfer sur 42 km.  Eliud Kipchoge n’est-il pas l’auteur de 3’33’20 sur 1500, 12’46’’53 sur 5000 et 26’49’’02 sur 10 000 !

Cette performance lui laissait l’amertume et l’énorme regret de ne pas avoir disputé le marathon des J.O. de Rio

Eliud Kipchoge vainqueur à Londres avant son sacre de Rio

Eliud Kipchoge vainqueur à Londres avant son sacre de Rio

Privé de J.O., Kenenisa Bekele poursuit ainsi sa préparation, de mai à septembre 2016, dans le cadre de ce projet SUB 2 aux côtés de Yannis Pitsiladis. Totalement guéri de ses blessures, il arrive à Berlin à 100% de son potentiel. Les conditions météos sont idéales. Sur ce parcours jugé le plus rapide au monde, profil plat puis très légèrement descendant dans la seconde partie et très peu exposé au vent, l’Ethiopien réalise 2h 03’03’’. Cette performance est exceptionnelle mais ses premiers mots au terme de cette folle épopée sont pour exprimer l’amertume et l’énorme regret de ne pas avoir disputé le marathon des J.O. de Rio. Il prouve aux caciques de la fédération éthiopienne qu’ils avaient tort mais son rêve d’épingler le titre olympique sur cette distance après avoir conquis ceux sur 5000 m (Pékin 2008) et 10 000 m (Athènes 2004 et Pékin 2008) et rentrer ainsi au panthéon du marathon ne se réaliseront sans doute jamais.

Venons-en donc aux conclusions. L’avis de Renato Canova compte dans le milieu du demi fond long et du marathon. Ses expertises sont reconnues dans la sphère des coachs internationaux, n’a-t-il pas entraîné Moses Mosop, Wilson Kiprop, Abel Kirui… pour ne citer que ces trois marathoniens de classe mondiale. Après avoir décortiqué la course de celui qu’il juge être un modèle en terme de professionnalisme,  le coach italien estimait qu’avec une course mieux contrôlée en terme d’allure par les lièvres et par Bekele lui-même, celui-ci aurait sans doute approché les 2h 02’.

Mais pour autant, il ne se hasarde pas à prédire l’impossible car la porte des 2h est encore loin d’être franchie. Qu’il s’agisse de Kimetto (2h 02’57’’), de Bekele (2h 03’03’’), de Kipchoge (2h 03’05’’) ou de Kipsang (2h 03’13’’), ils sont encore loin des allures imposées pour réussir une telle performance, soit la moyenne de 2’51’’/52’’ au kilomètre. Dans sa course créditée d’un record du monde, Dennis Kimetto n’a été chronométré  sur ce bon tempo que sur 10 km dont un terrible 30 – 34 km à 2’48’’ de moyenne pour ensuite piocher et conclure à 2’56’’ de moyenne. Quant à Bekele, il s’est approché de cette allure sur deux tranches de 5 km, les 5 premiers à 2’53’’ de moyenne puis la section 20 – 25 km toujours à 2’53’’ de moyenne pour finir en boulet de canon à 2’48’’ de moyenne sur les deux derniers kilomètres. Force est d’admettre que l’homme le plus rapide du monde sur 5000 m et 10 000 m, n’est pas, même avec une plus grande expérience sur cette distance, en capacité de courir le marathon à de telles allures.

Une récente étude statistique a démontré une forte régression des performances sur 5000 m sans doute liée à la chasse à l’EPO

Alors quel peut être le profil de cet extra terrestre susceptible de vaincre une telle montagne? Etre doué d’une vitesse de course 5000 – 10 000 hors du commun, à supposer qu’il s’agisse du critère de base essentiel ? Qui pourrait en douter ! Mais aujourd’hui, plus aucun athlète n’est en capacité de s’approcher des performances de Bekele (pour rappel 12’37’’35 sur 5000 m et 26’17’’53). En effet, une récente étude statistique a démontré une forte régression des performances sur 5000 m sans doute liée à la chasse à l’EPO substance qui a régné en maître dans les années 2000 (lire l’étude). Idem pour le 10 000 m, aujourd’hui la norme mondiale se situe plus sûrement autour des 26’50’’ que des 26’30’’, marqueurs des années Bekele, Gebre et Tergat.

Etre doué d’une vitesse marathon hors du commun ? Les Bekele, Gebre, Tergat, Kipchoge ont démontré qu’avec un temps d’adaptation plus ou moins long, ils avaient tous été en capacité d’acquérir cette allure spécifique, cette économie de course propre au marathon.

De jeunes marathoniens, tels Patrick Makau (2h 04’48’’ à 25 ans), Tesfae Abera (2h 04’24’’ à 24 ans), Ayele Abshero (2h 04’23’’ à 22 ans), Feyisa Lilesa (2h 04’52’’ à 22 ans) ont également apporté la preuve que cette allure longue durée à haute intensité pouvait se dompter, en se spécialisant jeune et sans être passé par une carrière de haut niveau en demi fond. Mais pour autant, tous sont restés à quai loin des 2h, barrés semble-t-il par un indice de vo2 max insuffisant par rapport aux grosses cylindrées de type Bekele, Gebre et Kipchoge.

Depuis 40 ans, les travaux scientifiques ont permis d’améliorer considérablement l’entraînement marathon. Aujourd’hui, la recherche semble s’orienter vers un nouveau champ d’expérimentation, un travail spécifique sur les gènes pour améliorer le coût énergétique, l’économie de course et les apports énergétiques du marathonien de demain. Avec cette interrogation majeure sur cette frontière si fragile entre préparation scientifique et dopage scientifique. Si la lutte anti-dopage n’a pas été en capacité d’enrayer totalement l’invasion de l’EPO, quel sera son rôle pour canaliser cette chasse et cette quête éternelle au record ?

> Texte Gilles Bertrand

 

Dennis Kimetto 2h02’57                                                                           Keninisa Bekele 2h03’03

1 km  2’52’’  2’52’’
2 km  5’46’’  2’54’’
3 km  8’46’’  3’00’’
4 km  11’43’’  2’57’’
5 km  14’41’’  2’58’’ 5 km 14’21’’ 14’21’’   2’53’’ 20,93
6 km  17’36’’  2’55’’
7 km  20’32’’  2’56’’
8 km  23’29’’  2’57’’
9 km  26’28’’  2’59’’
10 km  29’23’’  2’55’’ 10 km 29’00’’ 14’40’’   2’56’’ 20,47
11 km  32’18’’  2’56’’
12 km  35’22’’  3’04’’
13 km  38’21’’  2’59’’
14 km  41’19’’  2’58’’
15 km  44’09’’  2’50’’ 15 km 43’37’’ 14’37’’   2’56’’ 20,53
16 km  47’03’’  2’55’’
17 km  49’59’’  2’56’’
18 km  52’53’’  2’54’’
19 km  55’44’’  2’51’’
20 km  58’35’’  2’51’’ 20 km 58’02’’ 14’25’’   2’53’’ 20,82
21 km  1h01’29’’  2’55’’
SEMI  1h01’45’’  16’’ Semi 1h01’11’’ 03’10’’   2’53’’ 20,85
22 km  1h04’23’’  2’39’’
23 km  1h07’16’’  2’53’’
24 km  1h10’10’’  2’54’’
25 km  1h13’08’’  2’58’’ 25 km 1h12’47’’ 11’37’’   2’59’’ 20,18
26 km  1h16’02’’  2’55’’
27 km  1h18’56’’  2’54’’
28 km  1h21’53’’  2’57’’
29 km  1h24’47’’  2’54’’
30 km  1h27’37’’  2’50’’ 30 km 1h27’30’’ 14’43’’   2’57’’ 20,4
31 km  1h30’23’’  2’47’’
32 km  1h33’09’’  2’46’’
33 km  1h36’01’’  2’52’’
34 km  1h38’49’’  2’48’’
35 km  1h41’47’’  2’58’’ 35 km 1h42’01’’ 14’32’’   2’55’’ 20,66
36 km  1h44’39’’  2’53’’
37 km  1h47’35’’  2’56’’
38 km  1h50’33’’  2’58’’
39 km  1h53’29’’  2’56’’
40 km  1h56’29’’  3’00’’ 40 km 1h56’55’’ 14’55’’   2’59’’ 20,13
41 km  1h59’25’’  2’57’’
42 km  2h02’20’’  2’55’’
FINISH  2h02’57’’  37’’ Finish 2h03’03’’ 6’09’’   2’48’’ 21,45