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Marathon de Londres, la bombe Mary Keitany

Mary Keitany

 

Alors que depuis plusieurs mois, on ne parle que du premier homme sous les 2 heures au marathon, ce sont finalement les femmes qui mènent la danse sur cette distance. A Tokyo, à Paris, à Boston et à Londres, ce sont les marathoniennes qui enflamment les chronos. Dernière en date, Mary Keitany vainqueur à Londres pour la troisième fois dans le temps de 2h 17’01’’, nouveau record du monde du marathon « only women ».

 

Quatre marathoniennes sous les 2h 22’, dans l’ombre des arrivées du Marathon de Paris, nous étions à nous interroger sur la validité de tels résultats, Gianna DeMadonna le manager italien, posant les mêmes interrogations sur cette explosion soudaine de performances féminines.

Nous listions alors des noms avec un questionnement ciblé selon le profil de chacune quand est venu le tour de Mary Keitany. La question fut simple : « peux-tu être sûr des performances de Mary Keitany ? » La réponse de l’ancien marathonien reconverti en agent d’athlètes dès le début des années 90 fut sans appel « à 100 pour  100 ».

Alors pourquoi de telles certitudes en cette période si troublée sur fond de suspicion généralisée ?

Mary Keitany est un talent pur, certes sans passé athlétique sur piste, car ce bout de chou pas plus haut qu’un épi de maïs, passe directement sur la route dès ses premières foulées en 2006. Pour son premier semi-marathon à Los Palacios en Espagne, elle réussit 1h 09’06’’, «un temps extraordinaire, tu étais dans les trois – quatre meilleures mondiales. Maintenant, tu es dans le top 30 » juge le manager.

C’est à peine si elle peut exprimer tout son potentiel qu’elle interrompt sa carrière. En 2008, elle donne naissance à son premier enfant. Et c’est en 2009, qu’elle reprend la route pour réussir 1h 06’36’’ à Birmingham en passant au 10 km en 31’04’’.

Mary Keitany est une athlète professionnelle dotée d’un sens aigu de ce que signifie conduire une carrière longue

La route du marathon comme terre promise s’ouvre à elle. Le drapeau flotte à l’horizon de New York, sa première tentative en 2010 où elle réalise 2h 29’02’’. Elle a déjà 28 ans, il n’y a plus de temps à perdre.

Pour autant, ce n’est pas une boulimique de compétitions avec de rares mais juteuses apparitions pour témoigner d’une combativité hors du commun. En 2012, l’année des J .O. pour lesquelles sa fédération ne la sélectionne pas, elle réalise 2h 18’37’’ avec une seconde partie en 1h 08’. Ce qui fait dire à Gianni De Madonna « Ce jour-là, s’il y avait eu des lièvres (ndlr : femmes) pour pousser jusqu’au 30ème kilomètre, elle aurait couru en 2h 17’50’’- 2h17’40’’, elle aurait battu le record du monde « only women ».

Mary Keitany est une athlète professionnelle dotée d’un sens aigu de ce que signifie conduire une carrière longue. Mais pour autant, elle n’oublie pas de construire une famille, 2013 est une nouvelle année off pour donner naissance à son second enfant.

On pourrait craindre qu’avec deux enfants sur les bras, la petite fée du marathon puisse se laisser aller à son rôle de mère comme le veut la société patriarcale au Kenya. Il n’en est rien. Mary Keitany est bien le « chef de famille » qui fait bouillir la marmite. Entourée de Charles, un mari lui-même athlète, mais désormais totalement dévoué à son épouse et d’un coach Gabriele Michele, l’entraîneur attitré du groupe De Madonna, la marathonienne retrouve au plus vite sa place dans les hautes sphères du marathon mondial en alignant trois victoires de suite à New York, la seule à réaliser cet exploit avec Grete Waitz en d’autres temps.

Même les affaires de dopage qui ont entaché l’image du Kenya, n’ont jamais perturbé la motivation et la préparation de cette athlète. Voici le point de vue de son manager « Mary est souvent testée, elle n’a jamais eu une seule erreur. Jamais. Quand tu es clean, tu ne vas pas avoir peur. Mary a toujours couru avec sa force. Si elle devient vieille, elle est vieille. Une carrière d’une athlète est une carrière, elle se termine un jour, il faut l’accepter ». Même l’absence de son coach auprès d’elle en 2016, n’a pas d’incidence sur sa préparation.  Nullement inquiété dans les affaires de dopage, Gabriele Michele quitte néanmoins le Kenya pour éviter toutes accusations arbitraires. Mary Keitany pour préparer New York 2016, s’entraîne ainsi à distance, son mari comme lièvre. L’avis de Gianni sur les compétences du mari : « Charles, son mari, est un coureur, il connaît l’entraînement. Il fait toujours le lièvre pour elle, et cette fois, il a fait le lièvre et l’entraîneur ».

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Mary Keitany à New York en 2016

Avant le marathon de New York, Gianni di Madonna ne dissimulait pas que les négociations avec les organisateurs étaient pour le moins rudes, la porte demeurait alors fermée pour sa protégée, mais sa performance new yorkaise la sortait de son strapontin.

Bien en prit à l’équipe de Londres, où Mary Keitany a démontré dans une course hystérique qu’elle était bien, du haut de son mètre cinquante, la grande prêtresse du marathon mondial. Une course suicidaire, le qualificatif n’est pas trop fort pour définir ce marathon disputé sur des allures « roulette russe ». La Kenyane s’est mise elle-même le doigt sur la détente. Les kilomètres défilent 15’31’’ aux 5, puis 31’17’’aux 10 et enfin 1h 06’54’’ au passage du semi soit un temps inférieur à 2h 14’, soit 1’30’’ d’avance sur le record du monde mixte vieux de 14 ans déjà et 2’40’’ sur le record solo femmes. Les comptes twitter s’égosillèrent à en perdre la voix pour commenter cette course dingo. Paula Radcliffe, la reine mère, allait-elle tomber de sa statue ?

Au final, Mary Keitany coince au 30ème kilomètre, la balle est dans le barillet, prête à chauffer le canon. 1h 36’05’’ au 30ème kilomètre, elle bat au passage le record du monde, mais la moyenne s’effondre brutalement. Entre le 35ème et le 40ème, elle tombe à 3’24’’ au kilomètre contre 3’10’’ dans les 15 premiers de cette épopée qu’elle conclut au final en 2h 17’01’’, record du monde solo femmes mais à 1’36’’ de l’intouchable Radcliffe.

Pour cette troisième victoire à Londres, la petite Mary gonfle son compte en banque de 300 000 $US (sans compter la prime accordée par son équipementier). Ce qui laisse dire à son manager à la pragmatique mais lucide sur la façon de mener une carrière au long court « l’argent n’est pas une chose  à prendre en compte quand tu cours : tu dois penser à courir vite, et l’argent vient après. Si tu penses à gagner l’argent dès le départ, tu as terminé ta carrière. Tous les athlètes que j’ai connus qui ont fait ça ont terminé leur carrière. Tu dois toujours être motivé pour courir vite ! Car l’argent arrive à la fin de la course ». A Paris, Gianni De Madonna avait donné le bon pronostic en commentant les résultats femmes de cette épreuve : « si ces marathoniennes sont capables de courir en 2h 20′, alors Mary va courir à Londres en 2h 17 ». Mission accomplie.

> Texte Gilles Bertrand avec Odile Baudrier