La création des Enhanced Games, les Jeux Augmentés en Français, suscite depuis près de deux ans beaucoup de questionnements, et encore plus depuis que ce projet, qui autorisera le dopage de ses participants, a annoncé son implantation officielle à Las Vegas au mois de mai 2026, avec l’appui officiel du fils Trump. Pour SPE15, le chercheur Fabien Gargam, professeur à l’Université Renmin en Chine, en collaboration avec Yuzhen Xie (écrivaine, conférencière en Chine) analyse tous les détails de cette initiative incroyable, qui veut s’opposer aux Jeux Olympiques, jugés « hypocrites et corrompus ». Trois épreuves d’athlétisme sont prévues au programme de cette compétition.
Le nom propre Enhanced Games, que l’on peut traduire par Jeux Augmentés en français, crée des remous dans le monde sportif, un milieu stable et établi de longue date. Depuis l’annonce de la création des Enhanced Games le 20 juin 2023[1], des centaines d’articles ont été écrits principalement dans les médias anglo-saxons[2]. La revue de presse internationale réalisée par les deux auteurs montre que le projet Enhanced Games représente un ovni dans le monde sportif alors que ce type de projet est courant dans le monde des affaires. Pour le saisir, il convient donc d’employer une grille de lecture issue du monde des affaires. De cette manière, il est possible de le définir, de comprendre ses fondements, de décrire son état actuel, de conceptualiser sa nouvelle réalité et d’explorer son évolution future.
1. À quoi s’apparente le projet Enhanced Games ?
Il s’agit d’un projet entrepreneurial porté par l’Australien Aron D’Souza[3]. Ses déclarations officielles laissent apparaître au fil du temps le caractère évolutif et la grande ambition de son projet d’abord pour le monde sportif puis pour l’humanité. Dans les deux domaines, le maître-mot se nomme disruption.
Primo, disrupter le modèle sportif traditionnel en proposant une solution complémentaire – Enhanced Games – aux Jeux Olympiques[4] que Aron D’Souza juge « hypocrites, corrompus et dysfonctionnels »[5].
Secundo, disrupter le modèle de l’industrie médicale en proposant une solution complémentaire – Human enhancement[6] – à l’approche curative où seules les personnes malades sont soignées[7]. Cela sous-entend que le projet Enhanced Games symbolise la petite partie visible d’un énorme projet qui reste majoritairement confidentiel à ce jour. Pour mener à bien ce mouvement sportif, technologique et scientifique, Aron D’Souza s’appuie sur une équipe expérimentée, des investisseurs renommés en capital-risque[8], une commission médicale, une commission scientifique et une commission des athlètes[9]. Tous les collaborateurs partagent la vision du fondateur[10] qui s’appuie sur l’innovation, le financement privé, la rentabilité et la non-mobilisation de l’argent public[11]. Après avoir analysé tous les documents à leur disposition, les deux auteurs catégorisent Aron D’Souza et son projet Enhanced Games comme un ‘upstart’. Par ce terme anglais, il faut entendre « une personne, une entreprise, etc. qui vient de réussir. Une personne qui a récemment commencé une activité, connu le succès, etc., et qui ne respecte pas les personnes plus âgées et plus expérimentées ou la manière établie de faire les choses. ». Cette définition date de 2017 et provient de l’ouvrage du journaliste états-unien Brad Stone intitulé The Upstarts: How Uber, Airbnb, and the Killer Companies of the New Silicon Valley Are Changing the World[12]. Il n’est donc pas étonnant que Aron D’Souza associe les Enhanced Games à Uber et les Jeux olympiques aux taxis[13].
2. Quels sont les fondements du projet Enhanced Games ?
À plusieurs reprises, Aron D’Souza a mentionné l’origine de son inspiration mais sans la préciser pour autant[14]. En recoupant diverses informations, les deux auteurs sont parvenus à identifier la source unique qui a fondé le projet Enhanced Games. Il s’est en fait inspiré de l’article académique intitulé ‘Why we should allow performance enhancing drugs in sport’ publié en 2004 par trois chercheurs[15] dans la revue British Journal of Sports Medicine[16]. Aron D’Souza a puisé toute l’essence de cet article de cinq pages pour bâtir son projet entrepreneurial. C’est la raison pour laquelle il n’est pas possible de comprendre voire de critiquer le projet Enhanced Games sans avoir lu et assimilé au préalable son contenu. La proposition de valeur des Enhanced Games repose principalement sur trois points[17]. Ces points caractérisent les avantages que cet événement offre aux sportifs par rapport à la concurrence. Il convient donc de comparer chacun d’entre eux avec l’offre des Jeux olympiques pour évaluer le niveau d’attractivité des Enhanced Games.
2.1. L’augmentation des performances en assistant les sportifs au niveau physiologique et éventuellement au niveau technologique
Avec en toile de fond sa source d’inspiration académique, Aron D’Souza s’est rendu compte que la lutte contre le dopage ne fonctionne pas. Il a donc décidé d’apporter une solution à ce problème en autorisant le dopage au lieu de le diaboliser[18]. De son côté, le Comité international olympique (CIO)[19] soutient « une politique de tolérance zéro »[20] envers le dopage physiologique. Dans la même veine, l’Agence mondiale antidopage (AMA) prétend « protéger les droits de tous les sportifs de pratiquer leur sport sans dopage »[21]. Concernant le dopage technologique (ou fraude technologique), les fédérations sportives sont censées le combattre elles-mêmes.
2.2. La sécurité des sportifs en garantissant un suivi médical moderne et rigoureux
Avec en toile de fond sa source d’inspiration académique, Aron D’Souza insiste sur le fait que son événement ne sera pas une foire d’empoigne pour le dopage car son équipe instaurera un contrôle clinique des participants lors de leur préparation[22]. De son côté, le CIO se donne « pour mission de protéger et de promouvoir la santé des athlètes »[23].
2.3. La rémunération des sportifs en offrant des droits, des primes et des récompenses
Avec en toile de fond sa source d’inspiration académique, Aron D’Souza souligne que les participants à son événement ne représenteront pas leur pays mais eux-mêmes. En se donnant tous les moyens pour obtenir d’excellentes performances et battre des records du monde, ils seront très bien rémunérés pour cela[24]. De son côté, le CIO stipule que les athlètes qui concourent aux Jeux olympiques représentent des Comités Nationaux Olympiques (CNO)[25]. Par ailleurs, le CIO ne verse aucune prime financière aux médaillés olympiques[26].
3. Deux expérimentations réalisées : un échec et une réussite
Aron D’Souza considère la performance sportive comme un marché à part entière et il tente d’exploiter les faiblesses des Jeux Olympiques comme n’importe quel entrepreneur le ferait pour pénétrer un nouveau marché. Avant le lancement des Enhanced Games, son entreprise a effectué une expérimentation grandeur nature pour tester et valider le bien-fondé de son projet. Leur documentaire intitulé 50 Meters to History: The First Superhuman[27] retrace en 1h01mn03s les entraînements et les tentatives de deux nageurs – James Magnussen (3.1.) et Kristian Gkolomeev (3.2.) – pour battre le record du monde du 50 mètres nage libre. Ce documentaire tourné aux États-Unis pendant six mois est saisissant parce qu’il dévoile ouvertement l’envers du décor avec la prise de substances améliorant les performances et le suivi médical.
3.1. James Magnussen : un échec
Le premier à se lancer dans le grand bain fut James Magnussen. Il est même devenu la tête d’affiche du projet Enhanced Games puisqu’il fut le premier athlète à se porter volontaire contre rémunération en février 2024[28]. Né en 1991, ce nageur australien a participé à deux olympiades[29] et compte à son actif 12 médailles mondiales[30]. Retraité des bassins depuis 2018, James Magnussen s’est pourtant lancé le pari fou de battre le record du monde de la distance reine du sprint. Pour ce faire, il fut coaché par l’entraîneur australien Brett Hawke, mis à disposition et payé par les Enhanced Games. Ses tentatives eurent lieu au centre aquatique de Greensboro en Caroline du Nord. Malgré toutes les conditions mises en œuvre et l’appui de ses proches sur place, il échoua de très loin. Après ses tentatives ratées, James Magnussen vanta les nombreux bénéfices des substances améliorant les performances sans dévoiler précisément le protocole qu’il avait suivi. À ses yeux, le seul point noir fut sa prise de masse musculaire qui s’avéra handicapante pour lui[31].
3.2. Kristian Gkolomeev : une réussite
Après l’échec de James Magnussen, Kristian Gkolomeev se lança aussi à l’assaut du record du monde du 50 mètres nage libre. Né en 1993, ce nageur grec d’origine bulgare a participé à quatre olympiades[32] et compte à son actif sept médailles mondiales[33]. Toujours en activité, il a terminé cinquième aux Jeux olympiques de Paris 2024 sur la même distance en 21.59 secondes. Kristian Gkolomeev fut également coaché par l’entraîneur australien Brett Hawke, mis à disposition et payé par les Enhanced Games. Ses tentatives eurent aussi lieu au centre aquatique de Greensboro en Caroline du Nord. Il s’attaqua d’abord au vieux record du monde détenu par le Brésilien Cesar Cielo en 20.91 secondes et il réussit l’exploit de le battre en 20.89 secondes en portant une combinaison non homologuée, comme à l’époque du record en 2009. En guise de récompense, il reçut sur place un chèque d’un million de dollars des mains du vice-président des Enhanced Games, Maximilian Martin, en février 2025. Dans l’histoire de cette distance, seuls trois athlètes ont brisé le mur des 21 secondes : Frédérick Bousquet en 20.94, Cesar Cielo en 20.91 et désormais Kristian Gkolomeev en 20.89. Il continua sur sa lancée en s’attaquant à l’autre record du monde, plus récent, détenu par l’États-unien Caeleb Dressel en 21.04 secondes et il réussit aussi l’exploit de le battre en 21.03 secondes en portant une combinaison homologuée en avril 2025. Les temps des deux nouveaux records du monde sont valides puisque la piscine, le chronométrage et les officiels étaient certifiés. Cependant, ils ne seront pas reconnus par World Aquatics parce que Kristian Gkolomeev a bénéficié de substances améliorant les performances[34]. Après sa double réussite, il déclara qu’une année fructueuse aux Enhanced Games pouvait lui faire gagner autant que ce qu’il aurait gagné en presque 10 carrières au sein du circuit traditionnel[35].
4. Qu’implique cette expérimentation réussie au niveau conceptuel ?
Comme le titre du documentaire le mentionne, Kristian Gkolomeev est devenu le premier ‘superhuman’[36] (surhomme ou surhumain) des Enhanced Games. Dans le monde sportif, cette nouvelle réalité ne peut pas et ne doit pas être ignorée. Pour l’aborder objectivement, les deux auteurs suggèrent de conceptualiser les Enhanced Games et les Jeux olympiques autour du thème central du dopage. Le tableau récapitulatif qui suit compare les deux organisations sportives à ce propos.

Tableau comparatif entre les Enhanced Games et les Jeux olympiques autour du dopage.
4.1. Les Enhanced Games conceptualisés
Cette organisation sportive recrute, investit et mise sur les athlètes augmentés avec le support de producteurs d’athlètes augmentés. Les deux forment ensemble l’entreprise augmentée en vue de délivrer les meilleures perfs augmentées possibles. De façon détaillée, les athlètes augmentés incarnent des athlètes déjà compétitifs qui décident d’améliorer leurs performances en étant assistés physiologiquement et éventuellement technologiquement tout en étant suivis médicalement. Pour parvenir à leur fin, ils collaborent avec des producteurs d’athlètes augmentés comprenant entre autres des médecins, des scientifiques et des entraîneurs. L’entreprise augmentée délivre ainsi des perfs augmentées dont le but ultime est de battre des records du monde. Lorsqu’un athlète augmenté bat un record du monde, il intègre le cercle des ‘superhumans’ (surhommes ou surhumains).
4.2. Les Jeux olympiques conceptualisés
L’autre organisation sportive, connue de tous en raison de son existence centenaire et planétaire[37], est dans les faits mal connue. Tout le monde sait plus ou moins que les Jeux olympiques rassemblent des athlètes intègres et des athlètes dopés mais très peu de gens ont une idée de l’ampleur du dopage en son sein. C’est pourquoi il est essentiel d’élucider cette zone d’ombre. L’article académique intitulé ‘Pourquoi la régulation du dopage doit-elle subir une thérapie de choc ?’ publié en 2024 par le premier auteur avec l’éclairage du second auteur dans la Revue interdisciplinaire droit et organisations[38] a analysé ledit sujet. Cet article de 26 pages démontre que la régulation du dopage est mal définie du fait de la polysémie, de l’insolubilité et de l’ambivalence du dopage. De plus, elle est en situation d’échec permanent en raison de la prévalence élevée du dopage chez les sportifs et de la détection extrêmement faible de sportifs dopés. Dans ces conditions, le dopage sportif matérialise une aubaine, et non un fléau.
Pour y remédier, l’article prescrit entre autres une nouvelle approche lexicale composée de quatre concepts : les fake performeurs, les producteurs de fake performeurs, l’entreprise du raccourci et les fake perfs. Voici leurs définitions respectives :- Les fake performeurs sont des sportifs qui trichent en utilisant des substances et/ou des méthodes dopantes interdites. Ils peuvent enfreindre les règles en vigueur au-delà de l’aspect physiologique en mobilisant exclusivement ou en complément l’aspect technologique.- Les producteurs de fake performeurs sont des individus et/ou des organisations qui favorisent d’une manière ou d’une autre la production des fake perfs en assistant les fake performeurs en amont et/ou en aval des compétitions sportives.- L’entreprise du raccourci est un processus dévoyé permettant la production de résultats sportifs plus rapidement ou hors d’atteinte naturellement, à savoir les fake perfs. Les parties prenantes impliquées dans l’entreprise du raccourci comportent les fake performeurs et les producteurs de fake performeurs.- Les fake perfs sont des performances sportives apparemment valides mais en réalité acquises en trichant par le biais de moyens physiologiques (substances et/ou méthodes dopantes) et/ou de moyens technologiques interdits.
Dans le tableau ci-dessus, les deux auteurs font la distinction entre ces quatre concepts détectés et ces quatre concepts non détectés. C’est ici que se situe le point critique des Jeux olympiques car les fédérations sportives communiquent volontiers sur les athlètes intègres, évoquent difficilement les fake performeurs détectés et passent sous silence les fake performeurs non détectés. Force est de constater que l’histoire du sport regorge de fake perfs non détectées et entérinées comme des performances intègres étant donné que leur caractère artificiel et illicite n’a pas été suffisamment démontré ou n’a pas été décelé à temps. Et elles sont majoritaires par rapport aux fake perfs détectées.
5. Que réserve l’avenir au projet Enhanced Games ?
L’expérimentation réussie à travers les deux records du monde battus par Kristian Gkolomeev projette les Enhanced Games dans un avenir fait de menaces et d’opportunités. Ces prochaines occasions défavorables et favorables sont exposées selon trois niveaux de temporalité : court terme, moyen terme, long terme.

Capture d’écran sur X (ex-Twitter) du commentaire du fondateur des Enhanced Games.
5.1. L’avenir à court terme
L’Agence mondiale antidopage (AMA) évoqua pour la première fois, en date du 27 mars 2025[39], le projet Enhanced Games. Dans ce communiqué, le directeur général de l’AMA, Olivier Niggli, condamna ce projet et appela à une opposition ferme de la part des fédérations sportives internationales, des gouvernements, des organisations nationales antidopage et des athlètes. Cette évocation tardive fut relayée par le premier auteur sur X (ex-Twitter) et Aron D’Souza commenta directement ce message : « Il est amusant de constater qu’il leur a fallu deux ans pour nous prendre au sérieux. » (voir image ci-dessus). Suite à l’appel lancé par l’AMA, une vague d’opposition et de condamnation du projet Enhanced Games se répandit dans les médias à l’échelle internationale et elle ne faiblit toujours pas aujourd’hui. Dernièrement, le Comité International Olympique (CIO) s’est montré incisif en mettant en exergue les conséquences mortelles de l’utilisation des substances améliorant les performances[40] pour tenter de contrer son concurrent. World Aquatics, quant à elle, a pris une mesure radicale en instaurant une nouvelle règle qui bannira tous ceux qui participeront aux Enhanced Games[41]. Aron D’Souza répliqua immédiatement par l’intermédiaire d’un communiqué sur le site internet de son organisation[42]. Selon lui, la décision de World Aquatics vise à protéger son monopole dépassé. Il s’est donc engagé à soutenir sur le plan juridique tout athlète souhaitant participer aux Enhanced Games contre World Aquatics en cas de contestation de leur part.
Par ailleurs, le fondateur des Enhanced Games a annoncé le lancement durant l’été 2025 d’une plateforme de télésanté aux États-Unis où les consommateurs auront accès à une gamme de produits allant des suppléments avancés aux thérapies médicalement supervisées pour démocratiser l’augmentation de l’être humain[43].
5.2. L’avenir à moyen terme
Le 21 mai 2025, l’entreprise Enhanced annonça en direct[44] que la première édition de leur événement se tiendra finalement à Las Vegas du 21 au 24 mai 2026. Trois sports individuels figurent au programme incluant pour chacun plusieurs épreuves :
– Natation : 50 m nage libre, 100 m nage libre, 50 m papillon, 100 m papillon.
– Athlétisme : 100 m, 100 m haies, 110 m haies.
– Haltérophilie : l’arraché, l’épaulé-jeté.
Chaque épreuve sera dotée de 500 000 dollars dont 250 000 dollars pour le/la gagnant(e). Les athlètes qui y participeront recevront diverses primes et celui/celle qui battra le record du monde du 50 m nage libre et du 100 m se verra remettre un chèque d’un million de dollars. Toutes les épreuves se dérouleront dans un complexe sportif élaboré pour l’occasion au sein du Resorts World Las Vegas. Celui-ci comprendra une piscine de 50 mètres à quatre couloirs, une piste de sprint à six couloirs et un stade d’haltérophilie. L’événement sera intégralement diffusé en ligne dans un format novateur pour attirer le public et satisfaire l’audience.
La direction des Enhanced Games a convié les athlètes augmentés et les athlètes non augmentés à venir concourir ensemble. Il est prévu qu’une centaine d’athlètes y participent dont quatre nageurs : le Bulgare Josif Miladinov, le Grec Kristian Gkolomeev, l’Ukrainien Andrii Govorov et l’Australien James Magnussen[45]. Le fondateur des Enhanced Games, Aron D’Souza, est australien, était basé en Angleterre et s’est finalement posé aux États-Unis. La décision d’implanter les Enhanced Games aux États-Unis est relativement récente. En effet, l’ancien locataire de la Maison-Blanche – Joe Biden – n’était pas favorable à la tenue des Enhanced Games sur le sol états-unien[46] mais l’arrivée au pouvoir de Donald Trump rabattit les cartes. L’actuel président des États-Unis et son fils Donald Trump Jr. apparaissent dans un clip promotionnel de l’événement et ce dernier, en tant qu’investisseur, a déclaré : « Les Enhanced Games représentent l’avenir – une vraie compétition, une vraie liberté et de vrais records battus. Il s’agit d’excellence, d’innovation et de domination américaine sur la scène mondiale – ce que le mouvement MAGA a à cœur. »[47].
Le fait que les Enhanced Games aient lieu à Las Vegas aux États-Unis s’avère cohérent. Les Enhanced Games correspondent à un spectacle sportif et Las Vegas incarne la capitale mondiale du divertissement. Les Enhanced Games valorisent des individus qui ne représentent qu’eux-mêmes et qui désirent battre des records du monde rapidement, et les États-Unis possèdent une culture orientée vers l’individualisme et le court-termisme[48].
5.3. L’avenir à long terme
En acceptant que les Enhanced Games s’établissent chez eux, les États-Unis vont être confrontés à un dilemme de taille. Le Comité International Olympique (CIO) leur a accordé l’organisation des Jeux Olympiques de LA28[49] qui auront lieu du 14 juillet au 30 juillet 2028 ainsi que ceux de Salt Lake City-Utah 2034[50] qui se tiendront du 10 février au 26 février 2034. C’est dans cette optique que le président de l’Agence mondiale antidopage (AMA), Witold Bańka, a exhorté les États-Unis à trouver des moyens légaux pour bloquer la tenue des Enhanced Games.
Il a également demandé à l’Agence antidopage états-unienne – USADA – d’intervenir pour bloquer cet événement. Le patron de l’USADA, Travis Tygart, lui répondit de manière lapidaire : « L’indignation de Bańka équivaut à sa désinformation ou à son ignorance sur le fonctionnement des sociétés et des marchés démocratiques libres. »[51]. Cet accrochage public entre les deux hommes révèle que les intérêts des uns ne sont pas les intérêts des autres et surtout que la lutte contre le dopage est fracturée de l’intérieur[52]. Sous réserve que les Enhanced Games se pérennisent, cette entreprise prévoit d’accueillir également des sports collectifs[53]. En outre, le possible succès de ce pionnier éveillera l’appétit d’autres acteurs à faire de même aux États-Unis et ailleurs dans le monde.
L’arrivée prochaine des Enhanced Games sur le marché de la performance sportive est massivement critiquée et rejetée en bloc. Ce n’est d’ailleurs pas surprenant pour un nouvel entrant qui ambitionne de disrupter le modèle sportif traditionnel. Cette concurrence à venir dérange les acteurs établis parce qu’elle va modifier les règles du jeu et ils devront s’adapter. Le cas du nageur australien Kyle Chalmers l’illustre clairement. Il espère que les Enhanced Games forceront World Aquatics à mieux rémunérer les nageurs intègres[54]. Ces changements vont révéler de nombreuses réalités que peu de gens connaissaient auparavant. Certaines réalités sont avouables et d’autres non.
Pour visualiser cet état de fait, prenons l’exemple des trois meilleurs temps de l’histoire sur le 50 m nage libre. Ils furent tous réalisés sous la houlette de l’entraîneur australien Brett Hawke : Kristian Gkolomeev en 20.89 secondes, Cesar Cielo en 20.91 secondes et Frédérick Bousquet en 20.94 secondes. Le meilleur temps, non homologué par World Aquatics, appartient à Kristian Gkolomeev, un athlète augmenté, ce qui signifie qu’il s’est dopé ouvertement. Le deuxième meilleur temps, homologué par World Aquatics, appartient à Cesar Cielo, un athlète dit intègre alors que durant sa carrière il fut contrôlé positif au furosémide et non suspendu[55].
Le troisième meilleur temps, homologué par World Aquatics, appartient à Frédérick Bousquet, un athlète dit intègre alors que durant sa carrière il fut contrôlé positif à l’heptaminol et suspendu[56]. Cette réalité peu glorieuse explique en partie pourquoi Kristian Gkolomeev a décidé de franchir le pas et de devenir un athlète augmenté. Il pense effectivement avoir concouru contre des nageurs dopés aux Jeux olympiques : « J’avais des soupçons, mais on ne sait jamais, je ne peux pas le prouver…Mais nous, les athlètes, nous comprenons parfois quelque chose de louche. »[57]. En confrontant la réalité naissante des Enhanced Games à la réalité ancienne des Jeux olympiques, les deux auteurs pensent que les deux organisations sont grandement améliorables. D’un côté, les Enhanced Games affichent une transparence partielle. Le dopage est certes autorisé mais les substances et les protocoles sont pour le moment tenus secret. Jusqu’où les Enhanced Games vont-ils aller ? Qui va les réguler ? De l’autre côté, les Jeux olympiques affichent une opacité partielle. Le dopage est certes interdit mais l’entreprise du raccourci prospère. Quand la lutte contre le dopage va-t-elle sérieusement réguler le fléau des fake perfs ? Quoi qu’il en soit, cette nouvelle concurrence replace les athlètes au centre du jeu car ils ont désormais le choix.
Analyse : Fabien GARGAM et Yuzhen XIE
[1] https://www.prnewswire.com/news-releases/athletes-unite-to-create-the-enhanced-games-a-competitor-to-the-olympic-games-the-first-global-sports-event-without-drug-testing-301854542.html
[2] https://www.enhanced.com/newsroom/launch-news-articles
[3] https://arondsouza.com/index.html
[4] https://www.enhanced.com/newsroom/enhanced-games-president-call-for-reform-amidst-wada-s-crisis-of-trust
[5] https://www.reuters.com/sports/enhanced-games-out-disrupt-old-slow-olympics-with-doped-up-athletes-2024-02-14/
[6] Human enhancement veut dire augmentation de l’être humain en français.
[7] https://www.enhanced.com/newsroom/the-first-conference-on-human-enhancement
[8] https://www.enhanced.com/series-b. Ils sont au nombre de six pour le moment : Peter Thiel, Balaji Srinivasan, Christian Angermayer, Omeed Malik, Chris Buskirk et Donald Trump Jr.
[9] https://www.enhanced.com/the-team
[10] https://www.bbc.com/sport/68672104
[11] https://www.enhanced.com/newsroom/seed-funding-announcement
[12] https://www.amazon.fr/Upstarts-Airbnb-Companies-Silicon-Changing/dp/0316388394
[13] https://www.reuters.com/sports/enhanced-games-out-disrupt-old-slow-olympics-with-doped-up-athletes-2024-02-14/
[14] https://www.insidethegames.biz/articles/1153340/enhanced-doping-games-billions-to-watch
[15] Julian Savulescu, Bennett Foddy et Megan Clayton.
[16] https://bjsm.bmj.com/content/38/6/666
[17] https://www.enhanced.com/company
[18] https://www.lbc.co.uk/news/sport/doping-friendly-olympics-will-watched-billions-enhanced-games-founder-claims/
[19] Le CIO exerce depuis Lausanne une grande influence sur la lutte contre le dopage dans le monde : https://www.olympics.com/cio/lutte-contre-le-dopage
[20] https://www.olympics.com/cio/lutte-contre-le-dopage
[21] https://www.wada-ama.org/fr/qui-nous-sommes
[22] https://www.reuters.com/sports/enhanced-games-out-disrupt-old-slow-olympics-with-doped-up-athletes-2024-02-14/
[23] https://www.olympics.com/cio/sante-medecine-et-sciences
[24] https://www.reuters.com/sports/enhanced-games-out-disrupt-old-slow-olympics-with-doped-up-athletes-2024-02-14/
[25] https://www.olympics.com/cio/faq/vivre-les-jeux-de-l-interieur/combien-d-athletes-et-de-pays-participent-aux-jeux-olympiques
[26] https://edition.cnn.com/2024/07/16/sport/olympics-athletes-compensated-medal-spt-intl
[27] https://www.enhanced.com/media/50-meters-to-history-the-first-superhuman-enhanced-games-documentary
[28] https://www.dailymail.co.uk/sport/othersports/article-13063315/James-Magnussen-high-profile-Australian-Olympian-volunteer-steroid-games-athletes-dope-want.html
[29] https://www.olympics.com/en/athletes/james-magnussen
[30] https://www.worldaquatics.com/athletes/1005527/james-magnussen/medals
[31] https://www.insidethegames.biz/articles/1153804/magnussen-reveals-doping-made-too-big
[32] https://www.olympics.com/en/athletes/kristian-gkolomeev
[33] https://www.worldaquatics.com/athletes/1019694/kristian-gkolomeev/medals
[34] https://www.bbc.com/sport/swimming/articles/c629996lnkro
[35] https://7news.com.au/sport/swimming/four-time-olympian-kristian-gkolomeev-becomes-instant-millionaire-after-bettering-world-record-on-drugs-c-18775364
[36] https://www.enhanced.com/media/50-meters-to-history-the-first-superhuman-enhanced-games-documentary
[37] https://hal.science/hal-05104248v1
[38] https://www.revue-rido.com/articles/pourquoi-la-regulation-du-dopage-doit-elle-subir-une-therapie-de-choc/
[39] https://www.wada-ama.org/en/news/wada-executive-committee-sets-working-group-contaminations
[40] https://www.dailymail.co.uk/sport/olympics/article-14801849/IOC-issue-death-warning-Enhanced-Games.html
[41] https://edition.cnn.com/2025/06/04/sport/world-aquatics-enhanced-games-ban-spt-intl
[42] Ce communiqué intitulé ‘Standing With Athletes: Why World Aquatics’ Ban Misses The Mark’ et publié le 04 juin 2025 fut retiré du site internet des Enhanced Games peu de temps après sa publication.
[43] https://www.enhanced.com/newsroom/enhanced-games-announce-host-city-and-dates-breaks-swimming-world-record
[44] https://www.youtube.com/watch?v=n1YPtk6d4pA
[45] https://www.enhanced.com/events
[46] https://www.prnewswire.com/news-releases/enhanced-games-respond-to-white-house-deep-concern-invite-collaboration-with-ioc-302091826.html
[47] https://www.enhanced.com/series-b
[48] https://www.amazon.com/Cultures-Organizations-Software-Mind-Third/dp/0071664181
[49] https://www.olympics.com/cio/la-2028
[50] https://www.olympics.com/cio/jeux-olympiques/salt-lake-city-utah-2034
[51] https://www.independent.co.uk/news/world-antidoping-agency-las-vegas-switzerland-lausanne-travis-tygart-b2768125.html
[52] https://www.wada-ama.org/en/news/statement-wada-president-politicization-anti-doping-united-states
« À ce jour, 90 % des athlètes américains ne bénéficient pas des protections prévues par le Code mondial antidopage (Code). Cela est dû au fait que les principales ligues professionnelles et associations universitaires refusent d’être intégrées dans le système supervisé par l’USADA. » (Witold Bańka)
[53] https://www.reuters.com/sports/enhanced-games-out-disrupt-old-slow-olympics-with-doped-up-athletes-2024-02-14/
[54] https://www.straitstimes.com/sport/kyle-chalmers-hopes-enhanced-games-leads-to-improvement-in-prize-money-for-clean-swimmers
[55] https://www.france24.com/fr/20110721-natation-bresilien-cesar-cielo-evite-suspension-dopage-championnats-monde-shanghai
[56] https://www.lemonde.fr/sport/article/2010/10/20/frederick-bousquet-suspendu-deux-mois-pour-dopage_1428506_3242.html
[57] https://7news.com.au/sport/swimming/four-time-olympian-kristian-gkolomeev-becomes-instant-millionaire-after-bettering-world-record-on-drugs-c-18775364