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Les diurétiques, pourquoi est-ce un produit interdit PAR l’ANTI-DOPAGE?

L’affaire Stian Angermund a donné un focus sur l’interdiction des diurétiques par le Code Mondial Anti-Dopage. Pourquoi sont-ils présents sur cette liste ? Nullement pour leur capacité à accroître les performances sportives. Mais pour leur efficacité pour diluer le volume des urines du sportif, et donc à dissimuler la prise de produits interdits, en les éliminant plus rapidement. Les sanctions prononcées sont contrastées selon les sports et les pays.

Analyse : Odile Baudrier

C’est du chlorthalidone, produit de la famille des diurétiques qui a été découvert dans l’échantillon de Stian Angermund prélevé à son arrivée victorieuse à l’OCC à Chamonix en août dernier. Le palmarès de Stian Angermund, avec quatre titres de champion du monde, incluant deux titres sur le Mondial de Trail court, dans une discipline très médiatisée et en plein bouleversement, a apporté un focus sur ce produit.

Pourquoi utiliser un diurétique dans une optique de dopage ?

Surtout pas pour espérer obtenir une amélioration de ses performances sportives. Mais tout simplement parce que c’est une méthode efficace pour éliminer très vite les traces de produits dopants utilisés pour booster ses résultats. Epo, stéroïdes anabolisants, hormones de croissance, et aussi les corticoïdes…. Tout cet arsenal bien connu des sportifs douteux « bénéficiera » de l’effet dilution des urines apporté par un diurétique. L’échantillon devient alors moins susceptible de « parler » pour révéler ces produits illicites.

Avec bien évidemment un risque majeur : celui que le diurétique soit, lui, découvert dans l’échantillon au laboratoire anti-dopage. D’autant plus que les règles fixées par la WADA, l’agence mondiale anti-dopage, sont claires : une simple trace du produit suffit à déclarer le contrôle positif, sans prendre en compte la quantité.

Pourquoi une telle rigueur ? Pierre Sallet, spécialiste anti-dopage, explicite : « Très concrètement, pourquoi pas de seuil ? Parce que l’interprétation d’un seuil est difficile. Si je trouve une valeur de 1 (quelle que soit l’unité) d’un diurétique, est-ce parce que j’ai pris 100 il y a un mois, et qu’après la dégradation, j’arrive à 1 aujourd’hui. Ou bien ai-je pris 2 ce matin ? et j’arrive à 1 aujourd’hui. On ne le sait pas. » D’où la position simple choisie par le WADA : « une simple trace et tu es positif, à toi de monter ton dossier pour te défendre. »

Et il s’ajoute aussi un autre élément important : les méthodes de détection s’améliorent, et on peut trouver actuellement des traces dans des fenêtres de détection qu’on n’aurait pas trouvées il y a 10 ans.

Les diurétiques, un produit souvent découvert dans les échantillons

Quelques recherches dans la base de données Anti Doping Database confirment que les sportifs sont nombreux à avoir été suspendus pour l’utilisation de diurétiques. Cette base, gérée en Norvège par le journaliste Trond Huso, recense l’ensemble des sanctions prises à travers le monde entier depuis 20 ans, avec 12.000 athlètes enregistrés (à noter qu’un tel outil ne pourrait exister en France en raison des règles imposées par la CNIL qui exigent qu’aucune liste de personnes suspendues ne puisse être établie).

Et il s’avère que plus de 1000 sportifs ont fait l’objet de sanctions pour dopage aux diurétiques. Parmi eux, 13 l’ont été pour utilisation de Chlorthalidone. Les sports concernés sont divers, de l’haltérophilie à l’athlétisme en passant par la gymnastique rythmique. Et les suspensions sont également très contrastées : simple avertissement pour l’haltérophile américain Mariah Park, 18 mois pour le russe Konstantin Shikhov, joueur de hockey paralympique.

La contamination par les compléments alimentaires et les médicaments.

Pourquoi de telles distorsions dans les sanctions ? En raison des arguments de défense présentés par les sportifs et leurs avocats. Car les diurétiques présentent un atout très particulier pour se défendre : celui d’une possible contamination par un produit exogène, et à l’insu donc du sportif.

Pierre Sallet explicite : « Des diurétiques peuvent être présents dans des compléments alimentaires, pour la perte de poids. Idem pour les produits pour prendre de la force, qui intègrent des stéroïdes. Les produits sont insérés pendant la fabrication par les manufacturiers, mais ils ne sont pas indiqués sur la composition. »

Autre origine possible pour cette contamination : les médicaments. Une étude publiée dans « Frontiers » en novembre 2021, réalisée par des chercheurs de l’agence anti-dopage américaine de Colorado Springs, a levé le voile sur cette problématique. Leur recherche s’appuyant sur neuf cas de contrôles positifs aux USA démontre que des médicaments génériques, utilisés par les sportifs sur prescription médicale, peuvent contenir de très petites quantités de diurétique.

Deux réalités scientifiques évidemment porteuses d’espoir pour tout athlète positif aux diurétiques, mais qu’il faut pouvoir prouver devant les instances anti-dopage. Et là, les choses se corsent : la preuve doit être apportée sur une base tangible. Comme l’explique Pierre Sallet : « Comme dans un dossier d’expertise judiciaire, il faut balayer toutes les ressources possibles, il faut pouvoir valider et documenter les datas rentrées dans le dossier. Il est obligatoire d’obtenir une data validée et sourcée, une boîte, un lot. Une déclaration d’un athlète n’est pas validée et sourcée.»

Les contaminations et des sanctions deux poids, deux mesures ?

D’une manière plus générale, les cas de contamination par des produits exogènes sont bels et bien une réalité : la base antidoping recense 199 cas de dopage où la contamination a été avérée. Pour autant, des sanctions ont souvent été prononcées. Au nom de la règle qui impose qu’un sportif est strictement responsable de tout ce qu’il absorbe. La négligence peut conduire à une sanction, comme dans le cas du cycliste Brian Abers, vétéran américain âgé de 56 ans, et interdit pendant 1 an suite à un échantillon positif à l’ibtamoren. Pourtant, une analyse avait bien démontré qu’il était contenu dans son complément alimentaire.

A l’opposé, la demi-fondeuse américaine Brenda Martinez s’est vue exonérée de toute sanction, après qu’il ait été reconnu que l’hidrochlorothiazide détectée dans son échantillon provenait d’une contamination par un médicament autorisé qu’elle prenait au moment de son test, comme l’avait validé le laboratoire après analyse des plusieurs comprimés de ce médicament.

Autre cas, celui de la triple sauteuse jamaïcaine Sabina Allen, qui a fourni des échantillons d’un complément souillés par un stéroïde anabolisant. L’agence américaine anti-dopage (statuant car Sabina Allen avait été contrôlée lors d’un meeting aux Etats Unis) a démontré qu’il y avait eu en fait non pas une contamination, mais une manipulation de l’échantillon de complément alimentaire, et n’a donc pas retenu ce faux argument, avec à la clef, une suspension de 4 ans.

La traileuse Allison Ostrander, suspendue 4 mois

C’est également pour un contrôle positif à un diurétique qu’Allison Ostrander a été suspendue quatre mois au printemps 2023. L’échantillon prélevé hors compétition avait révélé la présence de canrenone, de la famille du spironolactone. La traileuse américaine avait fait valoir l’utilisation d’une crème contre l’acné, contenant du spirnolactone, qu’elle utilisait sur prescription médicale. Toutefois, elle se voyait sanctionnée pour n’avoir pas demandé une AUT au préalable.

Les cas de Mariane Beltrando et Mickael Hessman restent à statuer

La Française Mariane Beltrando, spécialiste de BMX, s’est vue, elle aussi, mise en cause pour la présence de chlorthalidone. Son échantillon prélevé lors d’un stage national en novembre 2022 avait été déclaré positif en décembre 2022, et une procédure lancée par l’AFLD. Mariane Beltrando n’avait pu trouver aucune origine possible pour une contamination. Elle s’était soumise à une analyse de cheveux, technique développée par le Français Pascal Kintz, et souvent utilisée aux Etats-Unis dans les expertises. En novembre 23, la commission des sanctions de l’AFLD décidait de ne pas la sanctionner. Mais la présidente de l’AFLD n’a pas accepté cette mansuétude et a fait appel devant le Conseil d’Etat, et la décision finale n’est pas encore connue.

Autre cas « emblématique » : celui du cycliste allemand Mickael Hessman, également positif à la chlorthalidone en juin 2023. Le verdict demeure encore en attente, mais son équipe, la Jumbo Vista, l’avait immédiatement suspendu.

Stian Angermund, des pistes de défense très ténues

Les donnes s’avèrent donc complexes concernant le cas de Stian Angermund, qui a affirmé durant son interview à NRK qu’il n’avait absorbé aucun complément ou médicament. Il reste à explorer pour son avocat américain, Paul Greene, deux pistes encore plus délicates : l’analyse de l’ADN et la contamination par une personne interposée.

A noter que Stian Angermund aurait pu poursuivre sa saison en parallèle de la procédure en cours puisque la suspension provisoire n’est pas obligatoire dans ce cas. Mais comme le précise l’Agence Française Anti- Dopage : « Le sportif a lui-même demandé à être suspendu provisoirement par l’Agence, comme l’y autorise l’article L. 232-23-4 du code du sport, alors qu’il a été contrôlé positif à une substance spécifiée qui n’entraîne pas de suspension provisoire automatique. Ce choix ne préjuge évidemment pas de la suite de la procédure. »

En clair, la demande d’une suspension provisoire ne signifie pas une quelconque reconnaissance de culpabilité de la part du trailer norvégien. Dans le cas où il se voit suspendu dans les mois à venir, elle permet de gagner du temps pour reprendre la compétition à la fin de la sanction et évite aussi de voir les résultats acquis durant cette période être annulés par la suite. Mais dans le cas contraire, ce sera évidemment autant de mois perdus.

En tout cas, et c’est très rare dans les affaires de dopage, Stian Angermund a opté pour une certaine transparence dans cette affaire, acceptant une interview filmée du média NRK, et assumant officiellement cette suspension provisoire.

  • Analyse : Odile Baudrier
  • Photos : D.R.