Viktor Chegin, l’entraîneur phare de la marche en Russie depuis le début des années 2000, a beau avoir été suspendu à vie pour son implication dans le dopage massif des marcheurs russes, il continue à entraîner des marcheurs de l’équipe nationale… Une sacrée provocation au moment où Sebastian Coe et le Ministre des Sports de la Russie discutaient de la réintégration de l’athlétisme russe au niveau mondial.
Des années durant, Viktor Chegin a été présenté comme la référence mondiale en matière de marche athlétique, cité en référence dans les grands championnats où ses élèves raflaient médaille sur médaille.
Mais à mesure que les athlètes n’ont plus bénéficié de la protection des membres des hautes sphères de l’IAAF, Lamine Diack, Docteur Gabriel Dolle, et des méthodes frelatées du Professeur Rodchenkov, le voile s’est levé sur les véritables pratiques de Viktor Chegin, et l’école russe n’est apparue que comme une vaste tromperie, et le centre de Saransk en Mordovie, comme le fief d’un dopage massif.
En quelques années, ce sont 30 athlètes qu’il avait amenés au plus haut niveau, qui se sont retrouvés sanctionnés pour dopage, majoritairement en raison de leur passeport biologique douteux, révélant en particulier l’utilisation d’EPO.
Les plus grands noms de la marche russe, Valeriy Borchin, Sergey Bakulin, Olga Kaniskina, Sergey Kirdyapkin, Olimpiada Ivanova et Elena Lashmanova, champions olympiques ou du monde, ont ainsi été balayés des tablettes, et Viktor Chegin s’est vu suspendu à vie au printemps 2016 par l’Agence Anti-Dopage de Russie.
Mais Viktor Chegin n’a visiblement cure d’une telle décision, et ce printemps, il fait sa réapparition parmi les marcheurs russes. En cette fin avril, le journaliste allemand Hajjo Seppelt, qui avait déjà filmé en 2016 l’entraîneur interdit, caché dans une camionnette pour coacher des athlètes, a été informé que Viktor Chegin avait été présent en mars à Cheboksary durant un stage de l’équipe nationale de Russie.
Sergej Shirobocov, vice-champion du monde 2017, et conseillé par Viktor Chegin ?
Puis c’est très officiellement l’agence anti-dopage russe, la RUSADA, qui a lancé l’alerte sur la présence de Viktor Chegin dans la ville de Karakol in Kyrgyzstan où il travaillerait à nouveau avec des marcheurs de l’équipe nationale de Russe, et en particulier Sergej Shirobocov, vice champion du monde 2017.
La RUSADA a annoncé officiellement l’ouverture d’une enquête sur ces faits, particulièrement graves pour les marcheurs concernés. Les règles de l’anti-dopage sont en effet très explicites, elles interdisent toute collaboration d’un sportif avec un coach suspendu, avec le risque d’une suspension en cas de transgression.
Le cas de Sergej Shirobocov sera particulièrement intéressant à suivre. A 19 ans, le jeune homme incarnait la relève de la marche russe, décimée par le dopage. Il comptait parmi la poignée d’athlètes russes autorisés par l’IAAF à concourir au niveau international, en dépit du boycott conservé à l’encontre de la Fédération d’Athlétisme de la Russie. Et pour prendre sa décision, la TASK FORCE avait bien pris soin de demander à la Fédération Russe de s’assurer que les athlètes russes ne s’entraînaient plus avec Viktor Chegin…
Tous ces éléments laissent à penser que la dérive dopante n’a pas disparu au sein de l’athlétisme russe, et les conséquences pourraient être lourdes au moment même où le Ministre des Sports de Russie, Pavel Kolobkov, rencontrait Sebastian Coe à Monaco pour disputer de la réintégration de la Fédération de Russie.
L’athlétisme demeure le seul sport où la Russie demeure l’objet d’un boycott, décidé en novembre 2015, avec seulement une poignée d’athlètes russes autorisés par l’IAAF à disputer les championnats et compétitions internationales. Début mars, Sebastian Coe avait même haussé le ton en menaçant d’exclure toute participation russe dans le futur. Ensuite, diverses personnalités, de l’AMA, comme du CIO, avaient appelé à une certaine modération de la position de l’IAAF, en invoquant les efforts de normalisation effectués en Russie.
Mais l’insolence de Viktor Chegin vient maintenant brouiller les cartes…
- Texte : Odile Baudrier
- Photo : D.R.