Ce sont les noms d’environ une centaine de sportifs allemands suspendus pour des faits de dopage qui ont été dissimulés par l’Agence Anti-Dopage allemande depuis 2020. Ceci dans une volonté d’appliquer de manière très stricte les règles de la protection des données de la vie privée qui sont applicables dans toute l’Europe. Parmi eux, des sportifs de renom, issus de 18 sports olympiques, et le premier nom révélé est celui du canoiste Martin Hiller, champion du monde et d’Europe. Les identités des athlètes concernés restent encore à découvrir.
Le choc a été énorme en Allemagne de s’apercevoir que depuis 2020, les noms des athlètes suspendus pour des faits de dopage sont en réalité dissimulés par l’Agence Anti-Dopage. Cette pratique douteuse a été découverte ce printemps par l’équipe ARD d’Hajjo Seppelt, le réputé journaliste anti-dopage, habitué à révéler des scoops sur le dopage à travers le monde entier.
C’est à la faveur du cas de dopage du spécialiste de canoë, Martin Hiller, que le pot aux roses a été révélé. Le champion du monde et d’Europe a été suspendu pour 4 ans à la mi-février 2025, suite à des contrôles positifs à trois anabolisants. Mais surprise, la NADO, l’Agence Anti-dopage Allemande (équivalent de l’AFLD) n’a pas publié son nom.
En creusant l’histoire, l’équipe de l’ARD a finalement compris que ce cas n’était pas isolé, au contraire, puisque depuis 2020, la communication n’existait plus sur les sanctions prises.
Ce culte du secret est-il légal ?
Pas du tout, puisque le Code Mondial Anti-Dopage prévoit expressément la publication des cas jugés, en nommant les sportifs. Mais la NADO a choisi de se taire afin de respecter les règles de la protection des données de la vie privée des sportifs, applicables dans toute l’Europe. Ceci suite à une plainte déposée par un cycliste amateur qui protestait contre la publication de sa suspension. Et la NADO a décidé d’ouvrir grand le parapluie pour éviter toute action en justice, donnant la priorité aux protectionnistes des données.
Depuis, elle s’est simplement contentée de confirmer les cas lorsqu’elle était interrogée. Comme par exemple, pour Sara et Sofia Benfares. Les contrôles positifs des deux jeunes athlètes françaises, licenciées en Allemagne, ont été largement relayés dans la presse par la NADO. Il semble pourtant que des sportifs très titrés, en athlétisme, et natation, ont reçu, eux, un traitement nettement plus « soft »…
Pourquoi cette méthode est-elle passée inaperçue ?
L’un des points étonnants dans cette affaire est que depuis près de 5 ans, personne ne s’est aperçu de cette dérive. Or chaque année, la NADO, comme les autres agences anti-dopage, publient leurs statistiques annuelles. Il était alors facile pour un observateur avisé de constater une distorsion entre le nombre de décisions de suspensions et les noms de sportifs suspendus connus.
Justement, Hajjo Seppelt n’a pas éludé cette interrogation grave : « Il y a une question centrale dans cette affaire : comment est-ce possible que pratiquement personne n’ait été au courant. C’est une question que les politiciens du sport et les officiels doivent se poser à eux-mêmes, mais bien sûr, nous, les journalistes de sport, devons aussi nous interroger. Avons-nous pas regardé ou écouté d’assez près ? »
Et la question ne peut que déranger pour ce journaliste si réputé, qui a couvert les méfaits du dopage en Russie, au Kenya, au Maroc, en Chine, et constamment à la pointe des nouvelles affaires ou des scandales. Mais dans son propre pays, Hajjo Seppelt apparaît finalement avoir baissé la garde…
L’Allemagne et le dopage, une relation tellement ambigüe
Le paradoxe est d’autant plus grand que l’Allemagne a entretenu tant d’années des relations très complexes avec le dopage après que la partie Allemagne de l’Est ait été si active pour déployer des protocoles de dopage très sophistiqués et mis en place par l’Etat. Les tensions entre les deux pays réunifiés après la chute du mur ont été fortes sur ce sujet, et il semblait que l’Allemagne comptait plutôt comme les pays forts en matière de lutte anti-dopage.
En réalité, la tricherie était énorme, et l’argument avancé pour protéger les sportifs dopés apparaît très faible. Les règles de protection de la vie privée concernent l’Europe toute entière, mais seule l’Allemagne a eu cette interprétation qui a permis à une centaine de sportifs (selon les calculs menés par l’ARD) de s’en sortir la tête haute, en invoquant par exemple une blessure pour justifier leur absence en compétition
En France, les cas anonymes sont strictement encadrés
C’est au mois de juin 2022 qu’apparaît sur le site de l’AFLD, l’Agence Française de Lutte Anti-Dopage, une sanction de 4 ans pour prise d’EPO, et la mention Anonyme. Mais un incroyable loupé se produit alors au niveau de l’Athletics Integrity Unit, qui publie sur sa liste mensuelle cette suspension, et le nom du coureur, F.E. Quelques heures plus tard, la liste est modifiée, et la suspension de F.E. n’apparaît plus. Et depuis cette date, plusieurs décisions sont apparues sous couvert d’anonymat. Encore tout récemment, une suspension de 4 ans en date du 10 avril 2025 apparaît anonyme, elle concerne un athlète positif aux anabolisants, stanozolol, et mesterolone.
Mais ces décisions sous X sont strictement encadrées, à la fois par le Code Mondial du Sport et par l’AFLD. Pour l’AMA, la règle est la publication des noms, avec deux exceptions : les mineurs et les récréatifs. Et l’AFLD a précisé fin 2020 les règles lui permettant d’appréhender la qualité de « récréatif » : ne pas avoir été un sportif de niveau international, ou national, et ne pas avoir participé à un championnat de France, dans les 5 années précédentes.
Un cadre précis pour éviter les dérapages, même si dans le premier cas apparu, au printemps 2022, le coureur F.E. était tout de même un habitué des podiums des courses régionales !
- Analyse : Odile Baudrier
- Photo : D.R.