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Julien Rancon, j’ai le minimum pour vivre

Julien Rancon

Julien Rancon

 

Julien Rancon, malgré un extraordinaire palmarès en course de montagne et en trail court, n’aime pas qu’on le mette dans une seule case. Il se veut coureur complet, curieux et avide d’exprimer des qualités physiques qui lui permettent d’être polyvalent. A Paris, à 37 ans, il ajoute une corde à son arc en participant à son premier marathon et en réussissant 2h 20’47’’ . Portrait.

 

Avec son petit air de Pierrot assis sur son croissant de lune, voilà comment Julien Rancon borne son grand jardin, les  jambes dans le vide, style… Allez viens me chercher, allez viens m’attraper ! Il vous accroche par ces mots « Je n’aime pas que l’on me mette dans une case ».

Voilà, c’est dit, car mine de rien, Julien Rancon défend bien son image, son identité, ce mot lui convient mieux. Il ajoute même, comme s’il pointait du doigt, la Grande Ourse ici, ou Betelgeuse, la lointaine étoile d’Orion « je vois la course à pied multiforme » même s’il nuance « la course nature, c’est ce que j’aime ».

La course nature, ce fils d’agriculteur de la Haute Loire ne pouvait guère y échapper. C’est un raccourci facile mais il ne le renie pas. Pas question de boucher le sillon. Petit détour, non loin du Mont Mézenc, sur ces collines du Haut Lignon, à 900 mètres d’altitude, pour étalonner les lieux. C’est là que le jeune Rancon arpente, bois, champs et vallons. Il ne rechigne pas aux travaux de la ferme « c’est le travail, la rigueur, des choses simples comme faire les foins, une vie pas facile, contraignante. Nous ne partions qu’une semaine en vacances par an, on allait voir le Tour de France ». Il insiste « moi, je faisais ces travaux. Je suis resté longtemps à la ferme ». La ferme de Laniel, un lieu dit, à une portée de voix de Tence par la D 103, une trentaine de vaches laitières dans l’étable, et ce qui étonne dans les environs, un père coureur à pied, coureur loisir « lui courait les courses de villages, moi je faisais les courses enfants. Il s’entraînait peu, une fois par semaine. Il a même disputé plusieurs marathons, Albi, Lyon, Millau. Mais sa course, c’était les 15 km du Puy ». On sent une petite pointe de fierté dans la voix lorsqu’il précise « une course qu’il a même couru en une heure ».

C’est finalement un copain qui lui met le nez dans la pente. Il s’agit de Cyril Merle, originaire lui aussi de la Haute Loire. En 1995, les Mondiaux sont organisés à Edimbourg en Ecosse. L’époque où les Italiens sont dominateurs, où la Française Isabelle Guillot taquine les sommets. Cette année là, la France s’en sort bien, trois médailles au tableau, Cyril Merle est médaillé de bronze avec l’équipe juniors. Julien Rancon se souvient « cela m’a donné envie de faire cela ».

Cela lui fait dire « la course de montagne, c’est ce qui a fait mon palmarès »

Avec le bonheur que l’on connaît puisque ce fils de paysan, laboureur de grands champs et d’alpages, débute en 1999 un véritable tour du monde. Premières escarmouches, le coq ébouriffé, pour les Mondiaux de montagne, disputés cette année-là, sur les pentes du Mont Kinabalu en Malaisie,  il accroche par la suite  25 autres sélections internationales à sa page Wikipédia, trails courts et longs confondus. Son meilleur souvenir,  sa  médaille de bronze en solo, à Upice en République Tchèque en 2006, une médaille cliquetant aux côtés de 26 autres. Il est sacré trois fois champion de France de montagne et médaillé de bronze lors des Mondiaux de trail en 2013. Julien Rancon aime la course nature, qui en douterait ?! Cela lui fait dire « la course de montagne, c’est ce qui a fait mon palmarès ».

Julien Rancon

Julien Rancon heureux à son arrivée

On en vient donc rapidement à la question qui, ces dernières semaines, lui a été posée à maintes reprises. Lui l’adepte de la montagne sans tire fesses ni remonte pente, pourquoi l’envie subite de courir un marathon ? Explication : « Je tournais autour. Déjà l’an passé, j’ai hésité. Mais des fois, tu as des envies, tu sens que c’est le moment. Quand tu vieillis, tu as envie de faire des choix rapidement. A l’automne, j’en ai parlé à Clément Couzon, il a record à 2h 25’. On s’est motivés tous les deux »

Julien Rancon aime l’intensité. Depuis ses années steeple (9’01’’59 en 2004), cela ne l’a jamais quitté « c’est dans mon tempérament ». Il aime tout simplement « courir vite ». C’est peut être ce qui explique ses orientations en trail « je me suis toujours limité à du raisonnable». Le trail long, ça l’ennuie «je me lasse, c’est plus de la gestion. En plus je déteste marcher ». Il ajoute « c’est pour cela que je n’aime pas le KM Vertical. Je ne me vois vraiment pas marcher avec des bâtons sur 1000 mètres positifs. J’aime tout simplement courir ».

Pour préparer Paris, il met du cross dans le moteur, jusqu’au France, 88ème à St Galmier avec une douleur au mollet persistante « c’est Mathieu, un kiné, organisateur de trail qui était présent à St Galmier comme spectateur qui m’a débloqué. Il m’a relâché une tension ». La page hivernale tournée, il ne reste qu’un mois pour se préparer, pas une séance n’est à écorner. Sur sa route, il rencontre lors du France de semi-marathon, Nicolas Navarro ancien cycliste au format grimpeur qui, chez les jeunes à l’ES La Garde, dans le pays varois tombe les vitesses pour aligner plus de 40 victoires. Julien le termine en 1h 07’15’’, l’Aixois en 1h 06’48’’. A quelque chose près, ils ont le même niveau pour envisager courir Paris ensemble, sur le même tempo, soit un temps espéré de 2h 25’, en rêvant secrètement d’un 2h 22’. Julien est novice. Quant à Nicolas, il a déjà été crédité de 2h 28’42’’ à Montpellier en 2013 puis 2h 32’58’’ à Paris l’année suivante. Son troisième marathon, ce fut à Marseille, en mars de cette année pour mettre des bornes dans une préparation débutée en janvier.

nicolas paris 2017

Julien s’est préparé avec Clément Couzon du côté de Grézieu la Garenne aux pieds des Monts du Lyonnais où il réside désormais, Nicolas avec Sébastien Bazeille animateur de Marathomaniak, 2h 26’ à Londres l’an passé et engagé sur Boston cette année.

Bien leur en prend de courir ensemble, accompagnés dans leur dévalade parisienne de Julien Masciotra. Au cœur du spectacle, sous l’œil des caméras de France TV filmant la course féminine. Julien Rancon de dire : « c’était beau, nous étions aux premières loges. Elles mettaient des à coups, on voyait qu’elles étaient à la bagarre ». Le tempo est excellent 1h 10’19’’ au semi « nous en avions discuté le matin avec Marc Lozano, le coach de Fred Bouvier le pacer. Bouvier connaît le travail. A un moment, j’ai même arrêté de regarder ma montre. Franchement, je m’attendais à plus souffrir ». Temps final, 2h 20’11’’ pour Nicolas Navarro, 2h 20’47’’ pour Julien Rancon.

Jamais en 17 ans de carrière, Julien Rancon, le coureur, n’avait été ainsi exposé médiatiquement. Antoine Berthoud, responsable des partenariats chez Hoka One One, lui avait dit « moi, ce que je veux, c’est que tu fasses du Julien Rancon ». Courir les courses que bon lui semble, revenir aux Templiers ou non, courir un second marathon ou non, simplement vivre une passion qu’il partage avec sa compagne Julia Combe, également coureuse de montagne « je suis coach sportif. Je conseille 25 à 30 coureurs. C’est un équilibre. J’ai le minimum pour vivre. Je gère mon temps comme je le veux, cela n’a pas de prix ».

Le matin du marathon de Paris, Monsieur Rancon, a pris ses chaussures. Il s’en est allé par monts et par vaux. La montagne était belle, les vaches déjà à ruminer dans l’herbe fraîche. Par les bords du Lignon, par le château de Joux, par l’étang de Bathelane. Le bonheur était dans le pré. Pour Julien, sur le pavé.

> Texte et photos Gilles Bertrand