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Hassan Chahdi, l’envol

Hassan Chahdi se libère dans la ligne droite le conduisant à la victoire

Hassan Chahdi se libère dans la ligne droite le conduisant à la victoire

Hassan Chahdi signe en deux week end un parcours sans faute. Après avoir été sacré sur 3000 mètres en salle à Aubière, il remporte enfin le titre champion de France de cross chez les seniors.

 
« Elle est belle la France, je le dis tout le temps ». Monsieur Chahdi attend son fils, les deux coudes sur une barrière, au pied d’une tente où ça piaille comme dans une basse-cour. Sous son bonnet, il y a un petit air de famille avec son fils Hassan qui ne trompe pas. Son sourire est discret. Il parle doucement, très intimidé. Il cache sa joie par pudeur. Comme s’il y avait pêché à dire trop, à s’extasier, à se fendre d’un éclat de rire trop appuyé. Il met ses deux mains dans les poches de sa parka, il se raconte : «Je suis originaire de Taza. Je suis arrivé en 1984 en France ». Les phrases sont courtes pour dicter l’itinéraire d’un jeune Marocain venu fondre une famille en Haute Savoie où la future épouse a déjà franchi le détroit de Gibraltar. Il hésite à se raconter plus, il cherche ses mots, se ravise et poursuit par l’essentiel. L’essentiel, c’est fonder une famille, ils auront deux filles et deux garçons, l’essentiel, c’est nourrir cette famille, le père sera mécanicien chez Bosch avant de s’installer à son compte comme artisan carreleur. La maman quant à elle, élève ses enfants et cumule les petits boulots en agence d’intérim. Pas de complainte : « Moi, je voulais faire ma vie sans histoire, tranquille ». Il rajoute : « Jamais d’histoire ». Pour mieux s’intégrer dans la zone grise d’une France de moins en moins tolérante, pour donner du sens à sa vie de famille, pour que les enfants soient éduqués. La politique, ça ne le regarde pas. Le mot l’effraie, il recule d’un pas.

C’est l’affaire d’une vie. C’est spontané, ça crie plus que cela ne parle, c’est bon

Son cercle, c’est donc la famille. Celle-ci vient de s’agrandir depuis les fiançailles d’Hassan le 13 février dernier. Une grande salle a été louée, les deux familles se sont retrouvées. Musique, tambourins, repas traditionnel, pâtisseries et au cœur des cœurs, Hassan et Sonia, l’heureuse élue. Le père est fier. Ca pétille dans ses yeux. Le gamin fait le bon chemin : « Hassan, il est gentil à l’intérieur et à l’extérieur. Je voulais qu’il fasse des études. Il fait des études ».

Les fiançailles le 13, Aubière le 20 et ce titre sur 3000, Les Mureaux la semaine suivante, Hassan n’est plus en marge de sa vie. Dans les hésitations d’un passé récent, dans ces brinquebalements qui déstabilisent lorsqu’il faut assumer sa vie d’homme. Sortir du cocon familial pour prendre enfin sa destinée. La silhouette d’Hassan se distingue à deux pas du papa, à travers les vitres plastifiées d’une tente où l’excitation redouble. Une quinzaine de filles attend de monter sur le podium pour les médailles par équipe. C’est l’affaire d’une vie. C’est spontané, ça crie plus que cela ne parle, c’est bon.

Hassan se change. « Ma récup. ? Attends, c’est moi qui décide, on verra ça demain ». Un bénévole chargé du contrôle anti-dopage boit ses paroles. Il touche le champion, dans l’intimité du médaillé d’or, un privilège. L’ingratitude d’être bénévole est parfois récompensée. Lorsque Hassan parle de Sonia, sa fiancée, il se permet de dire : « Mais il est trop curieux celui-là ». Sonia, elle est étudiante en ergothérapie, comme lui. Ils se sont rencontrés il y a deux ans dans l’amphi de l’école lyonnaise. Hassan déclare : « Ces fiançailles, cela montre mon engagement, ça montre que c’est sérieux ». La semaine entre Aubière et Les Mureaux, Hassan est redescendu en Savoie. Il a besoin de ce retour régulier, de cette ambiance apaisée, dans ce petit village de Aÿse. Pour être chouchouté par une mère qui se met aux fourneaux. L’entraînement fut relax, 20 minutes à 3’ au kilo. Il ajouta même une petite série de 200 pour faire tourner les jambes. Pas plus.

« Hassan, il est fait pour la route »

Depuis janvier, il s’est libéré. A Aubière sur un tourniquet, aux Mureaux sur un anneau de verdure, il s’est volatilisé. Jean Claude Vollmer, l’entraîneur, a ouvert la cage. Responsable du haut niveau à l’INSEP, l’ancien coach de Bouabdellah Tahri et de Nadir Bosch a ressorti ses vieux cahiers et a racheté un nouveau calepin. Sa mission, chaperonner Mourad Amdouni, Bryan Cantero et Hassan Chahdi. Quel trio ! Trois gros talents qui, au gré des saisons, ont connu le pire comme le meilleur. Ils auraient pu chavirer, ils ont trouvé une bouée de sauvetage dans ce gros navire de la porte de Vincennes. Mais attention, celui qui porte une barbe de marin de chalutier et des lunettes d’horloger, est formel : « Tout reste encore à faire et à concrétiser ». «Hassan, j’aime quand il court, car son vrai niveau, c’est en compétition qu’il se révèle. Il aime la compétition. C’est là qu’il est capable d’élever son niveau. Hassan, son potentiel, je ne l’ai pas encore totalement cerné ». Lui aussi le confirme, c’est en janvier que tout a basculé, les signaux étaient là avec notamment des allures de footing qui augmentent naturellement. Jean Claude Vollmer l’affirme : « Hassan, il est fait pour la route ».

Hassan, c’est un taiseux, un jeune homme discret, introverti. Comme son père, il prend la mesure des mots pour ne pas dire trop. Juste l’essentiel. Il a moins peur de vous regarder dans les yeux. Dans la ligne d’arrivée, au bord d’un lac balayé par les vents, sa timidité a volé en éclats. Des mains se sont tendues. Hassan a pris le temps de communier. Passé la ligne, les deux hommes tombent chacun dans les bras. L’instant est bref, charnel, ils se disent merci. Jean Claude Vollmer s’excuse : « J’ai passé l’âge de l’émotion ». Pas si sûr.

> Texte et photo Gilles Bertrand