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Emmanuel Roudolff Lévisse, raconté par son père, Pierre Lévisse

Emmanuel Roudolff Levisse

Emmanuel Roudolff Levisse à son arrivée à St Galmier

Emmanuel Roudolff Lévisse décroche la 3ème place du Championnat de France de cross alors qu’il n’est encore qu’espoir, confirmant ainsi le talent dévoilé dans les catégories cadet, junior. Ce podium chez les « grands » a suscité une belle émotion à Pierre, son père, qui a été l’un des plus brillants athlètes de sa génération, obtenant plusieurs titres de champion de France de cross au début des années 80, et menant une belle carrière sur la route. Pierre Lévisse, omniprésent dans la carrière de son fils, lève le voile sur le duo inédit qu’il forme avec son fils.

Interview réalisée par Odile Baudrier

 

Vous m’avez dit qu’Emmanuel avait eu le goût de la compétition très jeune et un peu dans tous les domaines ?

Oui, j’ai remarqué ça. Emmanuel a commencé à courir très petit, c’est normal quand on a un papa qui fait du sport. J’avais créé une section course à pied jeunes, école de course à Clamart, que j’anime encore. En fait, j’ai pris le contre-pied de ce qui se fait à la fédération, où les jeunes font un peu de tout. J’ai récupéré des jeunes qui ne veulent faire que de la course à pied, et pas faire des lancers ou du saut en longueur. Bien sûr, on ne fait pas que des tours de stade, il y aussi des jeux de course, du sprint, tout ce qui se rapporte à la course à pied. Et par exemple en poussins, Emmanuel devait faire une compétition, il avait vomi toute la nuit, je lui ai dit de rester à la maison, mais il a tenu à y aller. Je pense qu’un autre gamin aurait dit Je reste au chaud. Mais il y est allé, il avait les jambes flageolantes, il a fini 7 ou 10ème, je ne sais plus. J’ai encore cette image. Je vois par rapport à d’autres gamins, jamais, il ne m’a dit « J’en fais assez, j’en ai marre, c’est trop ». En poussin, benjamin, minimes, ce sont des entraînements très contrôlés, il n’y a jamais de grosse charge de travail, mais jamais, il n’essayait de grignoter 1 minute, 2 minutes ou 3 minutes d’entraînement.

Emmanuel aime aussi les challenges dans d’autres domaines, comme en vélo, m’avez-vous expliqué.

Oui, mon état d’esprit est que même s’ils sont jeunes, minimes, cadets, ce n’est pas très utile de faire des longues coupures de 2-3 mois. Ils doivent conserver cette endurance acquise pendant la saison. Alors, j’aimais bien faire du vélo avec lui, même chez les benjamins. On allait souvent à Font Romeu, et il aimait un petit challenge, comme la montée des Bouillousses qui fait 5-6 km. Il essayait de me battre, et de faire des records, encore maintenant. Il sait que Vincent Luis l’a déjà faite, il veut savoir en combien de temps. Il a cet esprit challenge, compétition… Le loisir, ce n’est pas son truc !

Vous vous reconnaissez dans cet état d’esprit ?

Absolument. Là-dessus à 100%. Il y a des choses assez similaires. Et même au niveau de l’entraînement. Il me dit qu’en stage, il n’arrive pas à suivre tel athlète, qu’ils vont trop vite. Moi, ce sont des réflexions que je me faisais, jeune athlète en arrivant en Equipe de France. Pour lui, le résultat en compétition dépasse largement ce qu’on peut espérer avec les séances d’entraînement. C’est vrai qu’il arrive à se surpasser, et à faire des choses intéressantes.

Emmanuel a donc évolué seulement sous votre houlette jusqu’à l’âge de 16-17 ans, et à ce moment-là, il a souhaité se démarquer de l’entraînement avec papa ?

Oui. C’est un âge où on veut prendre son indépendance, où ce que les parents disent n’est pas parole d’Evangile. Alors, il a voulu essayer autre chose. Il est parti à l’Avia Club d’Issy les Moulineaux, avec Jean Baptiste Congourdeau. Ca se passait bien. Mais moi, attention, j’étais toujours là. J’allais le conduire à l’entraînement, je regardais ce qu’il faisait, on discutait, il me disait ça, ça ne va pas, je lui disais qu’il est fatigué, qu’il faudrait faire changer la séance.

A dr. Emmanuel Roudolff Levisse bien calé dans le peloton

A dr. Emmanuel Roudolff Levisse bien calé dans le peloton

Vous êtes tout de même très présent ?

Extrêmement présent. Je ne veux pas non plus m’imposer, faire du passéiste, dire que dans le temps, c’était mieux. Il faut savoir innover, et regarder ce que font les autres. Il y a des choses qui sont vraies. Je crois que j’ai une expérience de la course à pied, j’ai fait certainement des erreurs, et je ne veux pas qu’il renouvelle mes erreurs.

Lesquelles par exemple ?

C’était une époque où on faisait beaucoup de kilomètres, ce n’était pas forcément mauvais, mais aussi beaucoup de compétitions. Sachant qu’à mon époque, on ne faisait pas de seuil, ça n’existait pas, en fait, les compétitions remplaçaient le seuil. Il m’est arrivé d’être champion de France de cross, et d’avoir couru avant 10 compétitions et deux 3000 m en salle. Mais je ne savais pas couper. J’estimais que c’était une perte de temps, donc, je ne coupais pas. Il y a des athlètes qui s’arrêtent 2 mois ou 15 jours. Moi, je ne savais pas rien faire pendant 15 jours. Donc ça me jouait des tours, car j’étais en très grande forme pour un Championnat de France, un championnat du Monde, je valais peut-être 27’30’’, ça se passait bien en avril, mais au moment d’être présent au mois de juin-juillet, j’avais plus de mal.

Le contexte relationnel avec Pascal Machat est très bon, d’après ce qu’il m’a dit. Etes-vous là aussi présent sur les séances ?

Oui, il a changé de Jean Baptiste à Pascal. Il connaissait bien Pascal Machat, dans les stages jeunes, il a voulu changer, j’ai dit oui, il a signé à Amiens. Pascal fait les séances, le programme, on en parle avec Pascal. Cette année, il a un peu changé. On s’est aperçus que c’est un garçon qui a besoin de beaucoup de fraîcheur physique et mentale pour la compétition. Il faut qu’il se réserve à l’entraînement, sans négliger le volume du travail. Mais on donne moins d’importance à l’aspect performance dans l’entraînement. C’est une bonne chose. Sinon, le gamin se dit je fais les 2000 en 5’45’’ alors que l’année dernière, je faisais en 5’40’’. Donc c’est moins important, on regarde aussi la manière, la fraîcheur physique, l’allant. Aussi maintenant, les athlètes font beaucoup d’entraînements derrière le vélo. C’est une certaine facilité, mais il faut savoir être seul dans la compétition, il faut savoir gérer sa course, partir, accélérer, savoir courir au train.

Emmanuel Roudolff Levisse bien calé dans le peloton de chasse (second plan en rouge)

Emmanuel Roudolff Levisse bien calé dans le peloton de chasse (second plan en rouge)

Au niveau tactique de course, évoquez-vous aussi avec lui des stratégies ?

Oui. Avant cette course, on avait parlé un peu. Pascal m’avait dit il y a déjà 15 jours qu’il pouvait finir 3ème. Je n’étais pas trop loin de penser comme lui, à condition que untel et untel soient moyens. Il ne faut pas se leurrer non plus, tous les gars qui sont avec lui, à part Durand qui a couru en 13’17’’ dans le temps, aucun n’a couru en moins de 14’. Emmanuel vaut 14’. Pour lui, c’était tout à fait possible de finir 3ème à condition qu’Amdouni, et Carvalho, les cadors ne soient pas là. Effectivement, on avait parlé tactique. Je lui avais dit que le parcours de St Galmier était un billard, que c’était un 10.000 m et qu’il faut gérer ça comme un 10000 même si tu n’en as jamais fait. A condition que tu sois régulier, que tu fasses attention à ne pas mettre des à coups. Je dois reconnaître qu’il a une bonne maturité au niveau de la gestion des courses, et il sent bien les choses. Et il a bien respecté.

Pour vous, c’est la course parfaite que vous lui avez vu réaliser hier ?

On en a reparlé hier soir. On peut penser que s’il était parti avec Gras, avec son camarade de club Reda, c’aurait été différent. J’ai dit à Emmanuel, tu te rends compte si tu pars avec lui, vous pouvez revenir sur Gras. Surtout qu’Emmanuel avait battu Reda aux inters. Mais bon, Emmanuel voulait vraiment assurer la 3ème place, il se savait meilleur finisseur que les autres du peloton. Il a un bon finish, chose que je ne savais pas faire. Sans valoir 50’’ au 400 m, il a ce petit coup de rein pour finir plus vite. Il a vraiment cherché à assurer sa 3ème place, sans prendre de risques démesurés.

Avez-vous gardé le souvenir de votre première place de 3ème au France de cross (en 1977) ?

Oui, j’avais 24 ans. C’était une période où je commençais à bien marcher. L’année d’avant, j’avais fait 13’46’’ au 5000 m, j’avais augmenté le kilométrage, j’étais arrivé à 600 km par mois, Emmanuel n’en est pas encore là. J’avais gagné les Inter, mais j’allais être confronté à des cadors : Gomez qui avait fait 28’ au 10000 m, Boxberger qu’on ne présente plus. J’ai suivi, et j’ai fini 3ème. Pour moi, et je pense que c’est ce que doit ressentir un peu Emmanuel, c’est une certaine euphorie, c’est le sentiment « Ca y est, j’y suis avec les meilleurs ! »

Sur le plan de votre carrière, la différence significative est que vous avez démarré tard, à 20 ans seulement alors qu’il a démarré très jeune. Cela change-t-il beaucoup les choses ?

Oui, c’est important. J’ai commencé tard, à 20 ans, mais je connaissais mes qualités. J’avais couru en benjamin, j’avais fini 2ème au Championnat de France USGEL en minime. Je savais que j’avais un certain talent en course à pied. Quand j’ai repris à 20 ans, une demi-heure tous les jours, je savais que je pouvais aider le club du coin, que je pouvais faire des choses pas mal, sans me douter que j’aurais pu être Champion de France de cross. Je n’y pensais pas, c’est venu après. Quand vous commencez tard comme ça, le défaut est que vous allez développer l’endurance, mais tout ce travail, de VMA, la cylindrée de l’organisme, vous ne le faites pas quand vous êtes jeune. Des exercices d’école de course, des étirements, je n’en ai jamais fait, même si j’ai fait beaucoup de musculation après. Des foulées bondissantes, non plus. Alors qu’Emmanuel en a fait avec moi, et aussi des exercices pour les sprinters. Et ça lui sert. Il a des séances qui permettent d’améliorer sa foulée, d’être plus technique. Nous on ne faisait pas, on faisait juste 2 lignes droites et cela fait la différence. Mais je l’ai mis en garde, car quand j’étais athlète senior, j’en ai vu des jeunes débarquer, qui avaient des super chronos, cadets, juniors, et le passage en espoir se faisait plus difficile. Je le mets en garde contre la charge de travail importante, et surtout l’intensité des séances chez les jeunes. C’est un défaut que je retrouve dans certains entraînements « modernes », où on n’hésite pas à mettre peu de récupération. Moi, quand j’ai repris, on fait 15 fois 400 ou 10 fois 400, avec 1 tour de récupération. C’était peut-être excessif, le lendemain, je n’étais pas grillé, je pouvais faire autre chose. Là, je vois des plans avec 30 secondes de récupération. Et pour moi, c’est bon pour écoeurer les jeunes.

C’est un peu ce qui vous inquiète dans l’avenir, qu’il se grille trop jeune ?

Non, car il le sait très bien. Il a discuté avec Pascal Machat. Nous, avec Emmanuel, on ne joue pas sur la récupération, sauf cas particuliers. Si on fait des 400 m, séance classique, on ne va pas mettre 3 minutes de récup, mais il sait qu’il ne descendra pas à 45 secondes.

Emmanuel Roudolff Levisse dans la foulée de Freddy Guimard, Benjamin Malaty dans son sillage

Emmanuel Roudolff Levisse dans la foulée de Freddy Guimard, Benjamin Malaty dans son sillage

Vous m’avez dit aussi que sur le plan de la vitesse, il était plus performant que vous au même âge ?

Oui. Il a déjà fait 1’54’’ au 800, il vaut mieux que ça. Il a pris de la puissance qui lui permet de pouvoir faire des chronos sur 800 que je n’aurais pas pu faire. C’est surtout cette faculté de finir vite. L’autre jour, sur une séance de 2000 m, il a fait le dernier 500 m en 1’13’’ en baskets. Ce n’est pas extraordinaire, mais moi, à son âge, je ne faisais pas ça !

Vous avez aussi tous les deux la capacité d’avoir pu gérer des études exigeantes en parallèle de votre carrière.

Moi, c’est un peu différent. Pendant un certain temps, j’étais fonctionnaire, j’avais un travail qui me permettait de m’entraîner deux fois par jour, des facilités pour partir en stage. J’ai repris des études de kiné à 32 ans, cela n’a pas été facile. Pour Emmanuel, ce ne sont pas des études aussi difficiles que kiné, mais il est à l’Université de la Sorbonne, il fait des études de démographie, il a besoin de gérer son travail. Il sait qu’il ne peut pas tout miser sur le sport, qu’il faut un diplôme pour travailler plus tard. C’est aussi un excellent dérivatif. Il y a des moments dans la carrière d’un athlète, où on est blessé, pas vraiment en forme, c’est une façon de s’évader.

C’est un point sur lequel il a fallu argumenter pour qu’il accepte de poursuivre ses études ?

Oh non, pas du tout. Non. Pourtant il se rend compte que s’il veut partir en stage, c’est plus compliqué. On est partis à Font Romeu ensemble en octobre pendant 15 jours, il a manqué l’Université. Mais il sait qu’il faut qu’il trouve un job, qu’il ait un métier, qu’il fasse des études. Mais c’est difficile pour un athlète d’avoir des études très prenantes. Je pense qu’il y a moyen d’y arriver au niveau de l’entraînement, mais il faut que tout soit bien géré, et surtout les déplacements et les entraînements. Ne pas passer 3 heures sur un stade si on peut courir en forêt près de chez soi.

On peut dire que votre carrière a eu deux aspects forts, le cross et la course sur route. Qu’en sera-t-il pour Emmanuel ?

Lui, il est assez endurant, il ne fera pas une carrière sur 800 ou 1500 m. Il n’a pas assez de vitesse, il est plus facile sur le long. D’ailleurs, il y a deux ans, il a fait 1h05’ au semi de Paris, il m’a un peu étonné, je ne voulais pas qu’il le fasse, il l’a fait sans mon autorisation, mais bon, il est majeur ! Il a fait 1h05, ce qui prouve qu’il a des capacités pour courir sur le long, il ne courait que 80 km par semaine à l’époque. Dans un coin de sa tête, il y a le marathon.

C’est quelque chose dont il discute avec vous ?

Vous savez, Emmanuel, ce n’est pas celui qui va venir me voir pour demander « Papa, qu’est-ce que tu en penses ? » C’est plutôt le soir qu’on en parle, quand on est seuls. J’évite à table de parler de ces problèmes de course à pied. Ses sœurs vont dire « On parle encore de sport » Ca les barbe ! Quand on n’est que tous les deux, on en parle. Le marathon trotte dans sa tête. Mais il a le temps. Il faut d’abord qu’il fasse bien les cross, qu’il progresse sur 5000-10000 m.

Le plan de carrière du futur, vous en parlez avec lui, avec Pascal Machat ?

Vous savez, ces jeunes ont besoin de relais de motivation. Avant, il y avait facilement des matchs, on prenait systématiquement les 10 premiers du Championnat de France, et ils allaient au Championnat du Monde chaque année. Maintenant, qu’est-ce qu’il leur reste pour se motiver ? Ils leur mettent des minimas impossibles à atteindre. Vous en avez un certain nombre qui décrochent rapidement. Ces relais de motivation, ce sont les Championnats d’Europe de cross. Il va faire les Espoirs, mais en senior, ce sera rapidement très compliqué. Ce sera peut-être des chronos sur route. Moi, je suis plus favorable qu’il essaie pour l’instant de s’améliorer sur piste. Un gars qui a de chronos en-dessous de 29 minutes sur 10000 m, ça va mieux sur la route.

Hassan Chahdi (à g.) félicite Emmanuel Roudolff Levisse

Hassan Chahdi (à g.) félicite Emmanuel Roudolff Levisse

Avec le rêve qu’il atteigne le record de France comme vous ?

C’est possible. Ce n’est pas interdit. Enfin, le record de France que j’ai fait, pas le record de France actuel, qui est plus bas. Un jour, il peut arriver à faire moins de 28 minutes. Ce sont des passages obligés. Mais il y a beaucoup de choses pernicieuses, où certains pensent qu’ils peuvent s’en sortir avec 60 km par semaine. C’est faux. Un coureur de 5000 m avec moins de 500 km par mois ne peut rien espérer. Moi, les meilleures années, c’était 650 km en décembre, car je relâchais pour les fêtes, 730 km en janvier, et 650 km en février, pour le Championnat de France de cross. C’était le passage obligé. Il n’en est pas encore là.

Il est à quel volume actuellement ?

Il est à 120. Emmanuel était encore persuadé il y a quelques mois qu’avec 80 km par semaine, on peut s’en sortir. La différence par rapport à l’année dernière est qu’il commence à faire du biquotidien. Avant, c’était un peu une contrainte. Maintenant, il le fait naturellement. Ca vient progressivement. Ca ne peut pas venir d’un seul coup. On ne peut pas passer de 400 à 600 km d’un coup. C’est la meilleure façon de se blesser, et surtout de ne pas progresser. On est écoeurés, l’organisme est bridé. Le plan de carrière pour Emmanuel a des passages obligés. Chaque année, il progresse sur piste, des petites progressions, 5 ou 10 secondes. L’année dernière, on a changé, il a fait du 1500 m. j’en avais parlé avec Pascal, c’était ma propre expérience, j’en avais fait et j’arrive sur 5000 m, je fais 13’46’’ en me baladant.

Et vous-même, aviez-vous un entraîneur pendant votre carrière ?

Au début, je n’avais pas d’entraîneur, mais j’avais un bon entourage au club, des athlètes qui valaient 4 minutes au 1500 m, qui avaient de bonnes idées pour l’entraînement. Je suivais un peu leurs conseils. Je voyais ce que faisaient les autres, quand j’allais en stage, les Boxberger et autres… Je me faisais ma propre salade et ce qui me convenait. A l’époque, l’entraînement, c’était simple, Mardi des 400 m. Mercredi le circuit de côtes. Jeudi de la VMA longue. Footing prolongé le samedi. Et compétition le dimanche. On ne parlait pas de seuil, pas de 30-30. J’avais une assez bonne idée de ce qu’il fallait faire. Mais on a besoin d’un œil extérieur, il y avait Gérard Martin, qui était une sorte de sparring partner et prenait les chronos. C’est bien d’avoir quelqu’un sur le bord de la piste qui prend les chronos, qui vous rassure. Mais j’avais cet esprit d’indépendance. J’aurais bien aimé m’entraîner avec Jacques Darras, qui avait une grande expérience. C’est un peu le regret de ne pas avoir pris un grand entraîneur comme Jacques Darras. Et d’avoir su l’écouter, car ce n’était pas facile. Surtout quand vous avez 30-32 ans, de vous dire je m’en remets à un entraîneur extérieur. Il faut être humble.

Et ça, vous n’avez pas voulu le faire ?

Non, c’était trop tard. Les courses sur route sont arrivées. C’était un cheminement personnel, de m’entraîner tout seul, de voir ce qui se faisait.

Le championnat du Monde de cross a été un moment exceptionnel pour vous, avec la médaille d’or par équipe, très rapidement dans votre carrière. Pour lui, il n’est pas certain qu’il soit retenu. Est-ce qu’il n’y aura pas un peu d’amertume de voir qu’il ne peut pas aller à ce grand rendez-vous ?

Oui, c’est une amertume. Parfois, on a du mal à comprendre la position de la tête de la Fédé ; Maintenant, c’est une politique de la médaille. Mais permettre à des jeunes, il n’est pas le seul, d’aller disputer de tels évènements leur permet d’acquérir de l’expérience. Moi, la première fois, j’avais fini 3ème au France, j’ai disputé le Championnat du Monde, j’avais été très heureux. Même si je n’avais pas été très bon, c’était une expérience. Il y a des erreurs que vous ne refaites pas.

Avez-vous le sentiment de revivre votre carrière à travers Emmanuel ou bien essayez-vous d’éviter cette attitude ?

(Il réfléchit longtemps). Depuis 2 ou 3 ans, ce n’est pas que je revis ma carrière, c’est un prolongement. Je ne revis pas ma carrière. Il fait son truc. Il a mes cahiers d’entraînement. Parfois, il les regarde. Il ne va pas les copier, mais je crois qu’il jette un coup d’œil de temps en temps négligemment, on ne va pas en discuter une soirée. Il veut faire sa propre carrière, il est assez indépendant. Moi, mon rôle consiste à lui faire part de mon expérience avec prudence, ce n’est pas à moi de lui dicter sa conduite. Car c’est la meilleure façon qu’il se braque et qu’il m’envoie promener. S’il fait des erreurs, je vais lui dire. Mais je ne revis pas ma carrière. J’ai aussi eu une carrière qui a duré sur 20 ans. Ce n’est pas comme on le voit avec des athlètes qui ont fait 2-3 ans, se sont blessés, et avec leurs poulains, ils prolongent une nouvelle carrière.

Votre carrière a été comblée. Donc il n’y a pas besoin de la revivre ?

Oui, elle a été comblée. Il s’est fait des erreurs. Comme ne pas savoir préparer des objectifs. Autrement j’aurais pu participer à d’autres JO, je n’ai fait que Montréal. Les minimas étaient plus durs après, mais c’était possible. Mais souvent j’arrivais en été, j’étais cuit. Je faisais des bons temps que lorsque j’étais blessé l’hiver

Hier, vous lui avez dit à l’arrivée « Tu m’as fait vibrer ». Est-ce que vous aimez toutes ces émotions qui remontent à travers ses réussites ?

Quand votre enfant fait une compétition, au départ, il y a une tension. Je suis tendu, et j’évite de le montrer au gamin. J’essaie de rester calme, je suis avec lui, je donne 2-3 conseils, mais il ne faut pas que je montre cette nervosité. L’athlète a besoin de quelqu’un de reposant à côté de lui. Comme hier, je suis là, derrière la ligne de départ, il sait que je suis là s’il a besoin de moi. J’ai été athlète, je connais ses besoins. Il n’a pas besoin de stress supplémentaire. Je ne dois pas montrer mon stress. Il y a beaucoup beaucoup d’émotions à l’arrivée. Le gamin est bon, je sais la souffrance que ça peut occasionner en course. Parfois, il faut je me calme ! Il faut cacher son jeu pour rester calme. C’est mon expérience. Au début, j’étais assez nerveux en compétition. Après, je me suis aperçu que si on veut faire une performance, il faut être concentré de l’intérieur, et décontracté de l’extérieur. Sans faire des grandes paroles, se foutre de tout, et rigoler avec tout le monde. Mais il faut rester zen.

> Photos Gilles Bertrand