Aller au contenu

Elaine Thompson, la Jamaïcaine bientôt en 10’’60 ?

En deux saisons seulement, et à 24 ans, Elaine Thompson est devenue le poids lourd du sprint mondial avec l’argent au Mondial de Pékin sur 200 mètres, le double titre de championne olympique du 100 m et 200 m, et des chronos exceptionnels, un record à 10’’70 en juillet et encore 10’’72 pour son dernier meeting à Bruxelles. La sprinteuse a fait irruption en deux saisons, modelée par Stephen Francis, l’autre coach de référence en Jamaïque, qui lui a déjà prédit un chrono à 10’’60.

 

Elaine Thompson

Elaine Thompson

Après la splendeur olympique, un peu partout dans le monde, l’heure des bilans est arrivée. Et les règlements de comptes suivent avec leurs lots de ruptures athlètes-coachs. En France, c’est le duo Vicault-Ontanon qui explose après 8 années de collaboration. En Jamaïque, Shelly Ann Fraser Price a signifié à Stephen Francis sa volonté de prendre de la distance après plus de 10 années en commun.

SAFP, comme on dénomme Shelly Ann Fraser Price, a tout juste attendu la fin de ses Jeux Olympiques pour informer de son départ celui qui l’a entièrement formée pour l’amener à 5 titres mondiaux et 2 titres olympiques. Une décision qu’elle motive par son absence de progression dans ces dernières saisons, bloquée sur des records (10’’70 et 22’’09) remontant maintenant à 2012.

Et même son 4ème titre mondial sur 100 mètres conquis à Pékin en 2015 n’a pas suffi à calmer cette sprinteuse encore avide de réussite à 30 ans. SAFP sait qu’elle a pu briller à Pékin parce que Stephen Francis l’avait en quelque sorte protégée, en interdisant à Elaine Thompson de disputer les trials jamaïcains sur cette distance, pour la limiter au 200 mètres, où elle s’adjugeait la médaille d’argent. Les calculs du vieux briscard s’étaient révélés payants, il était reparti de Pékin avec deux médailles mondiales sur sprint, et deux athlètes satisfaites…

Elaine Thompson, le doublé 100-200 comme Florence Griffith Joyner

Un an plus tard, les donnes ne sont plus les mêmes. Elaine Thompson conclut son olympiade par un doublé 100-200 qui n’avait plus été réalisé depuis 1988 et Florence Griffith Joyner. Shelly Ann Fraser Pryce quitte Rio avec une modeste 3ème place sur 100 mètres, peu en relation avec ses deux titres de Pékin et Londres.

Dès lors, il devenait inenvisageable pour SAFP de retrouver au quotidien sa dominatrice. D’autant que les médias du monde entier s’emballent déjà pour désigner Elaine Thompson comme la future relève d’Usain Bolt, après sa retraite programmée pour Londres 2017.

Encore lors de la conférence de presse du meeting de Bruxelles, la jeune sprinteuse s’est vu interpellée d’un « Etes vous le prochain Usain Bolt ? » auquel elle a rétorqué vivement : « Usain est Usain, il est unique. Laissez-moi être la « prochaine » Elaine Thompson ».

Une réponse réaliste à l’image d’une athlète qu’il sera difficile de muer en icône. Ce n’est pas un bandeau coloré autour de ses cheveux ou une multitude de boucles d’oreille et colliers autour du cou qui suffiront à lui donner une once de l’aura dégagée par Usain Bolt, et cela dès son explosion au plus haut niveau, à seulement 21 ans.

Elaine Thompson, de 11’’17 à 10 »70 en 2 saisons

Il a été finalement plus facile à son coach, Stephen Francis, de la transformer d’une sprinteuse très banale en un avion de chasse, l’amenant en deux saisons de 11’’17 à 10’’84 puis 10’’70. En deux décades, ce vieux briscard est devenu un habitué de ces métamorphoses d’athlètes jamaïcains, qu’il propulse au plus haut niveau. A l’image de Brigitte Foster, Melanie Walker, Shirone Simpson, Shericka Williams. Tous retenus pour intégrer son groupe alors qu’ils ne brillent pas par des performances de pointe en jeunes catégories. Ou plutôt ELLES ne brillent pas. Car la méthode Stephen Francis a particulièrement réussi avec les femmes, avec l’exception d’Assafa Powell, auteur de plusieurs records du monde. C’est sous son giron que celui-ci subira son contrôle positif en 2013, pour lequel il incriminera un produit diététique.

Cet intérêt inhabituel pour les « moins » doués fait partie intégrante de la démarche de Stephen Francis, qui clame à tout va dès 2009 : « On adore travailler avec des outsiders. On aime prendre des athlètes dont les gens pensent qu’ils ne sont pas bons ». Cette propension à provoquer des progrès fulgurants chez ses protégés ne peut qu’engendrer une réputation un tantinet sulfureuse à ce coach, qui aime également jouer les provocateurs avec sa Fédération.

Comme en 2009, où il refuse de suivre le schéma fixé par la Fédération de Jamaïque, et opte pour un camp d’entraînement en Italie, amenant ses athlètes à des suspensions levées presque immédiatement.

10’’72 pour sa dernière course de la saison, une marque atteinte par seulement 5 sprinteuses

Cet été, il s’est attaqué à un nouveau bras de fer avec la JAAA, en retirant à quelques heures de leur finale des trials, Janieve Russel, spécialiste de 400 m haies, et Elaine Thompson, arguant d’un problème de blessure. Il répète ainsi le scénario écrit pour Usain Bolt par son entraîneur Glen Mills, le grand ennemi de Stephen Francis.

Elaine Thompson obtiendra ainsi à « l’arraché » sa sélection sur le 200 mètres, et elle se présentera à Rio après six semaines sans aucune compétition. Mais il en faut visiblement bien plus pour dérégler cette athlète dégageant dans l’effort une époustouflante impression de facilité, même si elle court en 10’’70 début juillet lors des Trials Jamaïcains ou en 10’’72 sur la piste de Bruxelles début septembre.

Elle a beau y égaler ainsi le record du meeting que détenait justement Shelly Ann Fraser Pryce, et réaliser une performance qu’elle n’est que la 5ème sprinteuse au monde (*) à atteindre, elle accueille ce résultat avec un visage impassible. Il est vrai que Stephen Francis lui a prédit à sa portée un chrono de 10’’60, et qu’elle n’attend plus que l’occasion d’atteindre une telle marque hors normes…

 

  • Texte : Odile Baudrier
  • Photo : Gilles Bertrand

(*) Florence Griffith Joyner – Marion Jones – Carmelita Jeter – Shelly Ann Fraser Pryce