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Driss EL Himer, « je suis né au Mans »

Driss El Himer était à nouveau présent pour le Cross Ouest France du Mans, qu’il a disputé pour la première fois en 1997. Cette épreuve a marqué le début de sa réussite en cross, il deviendra 9 fois champion de France de cross, et réalisera aussi 2h06’48’’ sur marathon. Aujourd’hui, à 42 ans, Driss El Himer, père de famille de deux enfants de 8 et 6 ans, s’est mué en coach professionnel à Strasbourg, et ne dissimule pas l’extrême reconnaissance qu’il voue à la Légion Etrangère.

Driss El Himer

Driss El Himer

Tu es présent pour la 20ème fois au Cross Ouest France du Mans. Pourquoi aimes-tu tant revenir ici ?

Je me sens un petit peu chez moi. C’est l’endroit où tout le monde a découvert Driss El Himer à l’époque, en 1997, il y a 20 ans. Personne ne me connaissait, et je finis 5ème. Malgré les années, je suis toujours là, et ça fait toujours plaisir de revenir, de revoir du monde ici.

Tu connais toute l’équipe d’organisation ?

Pratiquement. Il y a les anciens et les nouveaux. Mais il y a plus d’anciens que de nouveaux. Ca fait toujours plaisir. Ca fait chaud au cœur de croiser tout ce monde.

Quels ont été tes résultats ici après ta 5ème place en 1997 ?

J’ai gagné 3 fois, j’ai fait pas mal de podiums aussi. Je détiens le record de victoires avec Vincent Rousseau.

1997, c’était donc tes débuts en France ?

Je suis arrivé en France en 1996. Ma première participation était en 1997, avec la Légion. Je ne connaissais pas du tout le cross, j’étais engagé avec la section de la Légion Etrangère. C’est là où j’ai démarré ma carrière. Je peux dire que c’était comme une naissance ici. Quand on blague, je dis parfois, je suis Né au Mans ! Sur l’acte de naissance, je peux mettre le Mans…

Driss El Himer Cross Ouest France

Driss El Himer dans la course des AS au Ouest France

Ensuite ta carrière s’est déroulée un moment au sein de la Légion Etrangère

Oui, j’ai fait 5 ans à la Légion, de 1996 à 2001. Après j’ai dû quitter, car j’ai déménagé en Alsace. Je suis tombé amoureux d’une Alsacienne ! J’ai continué ma carrière ensuite. Et je suis revenu au Mans chaque année. J’ai gagné en 1999, en 2001 et en 2008. Je pense que c’est la dernière victoire française ici.

Tu as toujours été un professionnel de la course à pied, même encore actuellement ?

Exactement. Je vivais de ça. Je touche du bois, je me considère comme un rescapé de l’ancienne génération. Je gagne encore ma vie grâce à ça, Dieu Merci. J’essaie de rester dans le milieu, j’ai passé mon diplôme d’Etat pour être coach, et j’ai monté une petite société de coaching qui marche pas mal. Sur la région de Strasbourg. Il y a des entreprises, et des messieurs tout le monde, des gens qui viennent pour leur bien-être. J’entraîne dans une structure privée, et aussi en club, dans Strasbourg Agglomération Athlétisme. Je suis plus de 200 personnes, je propose aussi des plans par mon site.

Quel est ton entraînement actuellement ?

Parfois, je cours avec les clients. En-dehors, je m’entraîne aussi. C’est vrai que j’ai beaucoup moins de temps pour moi. Je m’entraîne 5 à 6 séances par semaine, parfois 4 quand il n’y a pas beaucoup de temps. J’essaie de m’entretenir et de prendre du plaisir aussi.

En dehors du cross, fais tu d’autres compétitions ?

Des petites courses sur route, pour moi, et parfois, j’accompagne ma femme aussi, qui court (elle a terminé 2ème du 10 km du Mans). Surtout, je n’ai plus rien à prouver, je n’ai pas de prétention de faire quoi que ce soit. J’essaie de prendre du plaisir, et entretenir mon corps.

Penses-tu que ta période dans la Légion a contribué à ta réussite ?

Oui. Ca m’a surtout permis de m’acclimater et de m’intégrer facilement dans la société française. En fait, ça m’a facilité l’intégration. Dans la section, on faisait des services comme tout le monde, mais ça nous a un peu facilité la tâche. Surtout pour les déplacements, les stages de préparation. Oui, ça a un peu contribué à ma réussite dans la course à pied.

Cette équipe de la Légion est devenue de plus en plus forte au fil des années. Trouves-tu que cette initiative était intéressante ?

Oui, c’était une initiative intéressante. Surtout le but était de redorer l’image de la Légion Etrangère. Car quand on parle de la Légion, cela fait toujours peur, les gens se disent que ce sont des malfaiteurs, des anciens prisonniers. Ce n’est pas du tout ça. Ce sont des gens qui s’engagent, des gens qui ont des métiers aussi. Le général de la Légion de l’époque, Christian Piquemal, était un cousin de Piquemal qui avait été aux JO dans les années 60 ou 70. Il avait eu l’idée de créer cette section pour redorer l’image de la Légion Etrangère, et ça a très très bien marché un certain temps, où il y avait des résultats au niveau national et international. On avait des médias qui débarquaient presque toutes les semaines pour faire des reportages sur cette section.

On fait souvent le parallèle entre la Légion et les athlètes turcs, qui sont d’origine kenyane et souvent naturalisés très rapidement. Trouves-tu que c’est comparable ?

La Légion, c’est une autre méthode. On est engagés. Même si on est étranger, on est dans la Légion, on représente la France. S’il y a une opération, une guerre, on représente l’Armée Française. Dans le cas de la Turquie, c’est autre chose. Ce n’est pas le même but. Et c’est plutôt naturaliser des gens juste pour ramener un max de médailles, et ça, ça va tuer le système aussi. Je parle du championnat d’Europe par exemple. Si tout le monde fait la même chose, il faut tout changer, les lois au niveau de l’IAAF. Je ne sais pas, faire des quotas, pour un nombre de personnes naturalisées dans l’année. Ils ont créé ces championnats d’Europe, c’est pour donner une chance aux Européens. Après, quand on regarde les Turcs, c’est dommage. Moi, à mon niveau, je ne peux rien changer, je parle, mais je ne peux rien changer… Il y a des instances qui doivent faire quelque chose.

Toi-même, au bout de combien de temps étais-tu devenu Français ?

Au bout de 2 ans. J’ai été naturalisé en mars 1998.

Tu conserves des liens avec le Maroc. On peut voir qu’il y a beaucoup d’affaires de dopage dans ce pays. Qu’en sais-tu ? Qu’en penses-tu ?

La lutte commence. Je me suis renseigné un peu sur ça. Car je suis marocain d’origine. Le dopage touche malheureusement tous les sports, et tous les pays. Sauf dans certains pays, on n’ose pas en parler. Il y a une sorte d’hypocrisie des instances.

Des instances marocaines ou françaises ?

Je ne vais pas dire françaises. Si tout le monde faisait le même travail que celui que la France a effectué depuis une dizaine d’années, je pense qu’il y aurait plus d’athlètes propres que de tricheurs.

Tu trouves que la France a fait beaucoup ?

La France est un exemple. Je sais de quoi je parle, je suis passé par là. C’est un exemple.

Par les contrôles ? Par la prévention ?

Par les contrôles et par la prévention. Il y a un système de localisation. On a une agence qui fait un super boulot. Pour moi, aujourd’hui, et depuis 15 ans, un athlète français qui cherche à tricher joue avec le feu. Il sait très bien qu’il va se faire pincer. Il y a un gros travail qui est fait là-dessus, et je suis content.

Et du point de vue du Maroc, tu penses qu’il y avait un laisser aller ?

A un moment, oui. Maintenant, ils ont commencé. Ils ont été avertis par les instances internationales. Je pense que ça bouge à ce niveau. Il y a plus de contrôles. Il y a encore du travail, mais ils ont commencé à bouger.

En France, on a eu plusieurs cas d’athlètes marocains licenciés dans des clubs français qui ont été suspendus pour dopage. Que penses-tu des clubs qui intègrent des athlètes dont ils ne savent pas grand-chose ?

Ce n’est pas vraiment la faute des clubs. Si quelqu’un triche, on ne peut pas le savoir à l’avance. Ce sont des athlètes qui viennent du Maroc ou d’ailleurs pour entrer dans ces clubs, ou ils ont été recrutés par ces clubs, mais le club n’y est pour rien. Même si c’est mieux de savoir qui on y fait rentrer…

Comment s’était effectué ton recrutement dans la Légion ?

Je suis arrivé en France pour courir à droite à gauche, pour gagner ma vie. Il y avait une course à Marseille, un 10 km. Un groupe de la Légion Etrangère participait à cette course. Le général Piquemal était présent. C’est lui en personne qui m’a demandé si je pouvais rejoindre la Légion Etrangère. Je ne connaissais pas du tout. Je lui ai demandé de me laisser ses coordonnées, et d’avoir une semaine de réflexion. Après une semaine, j’ai décidé d’intégrer la section. Franchement, sans savoir ce qui m’attendait. Après, on fait les classes comme tout le monde. Manier des armes, on fait des marches, des combats. La Légion, c’est une bonne école de vie. J’ai gardé des bonnes relations avec le Général. Il me considérait un peu comme son fils. J’avais des résultats, j’ai tout gagné ! On se voyait, on discutait ensemble, de la section. Je suis reconnaissant. Si j’en suis là aujourd’hui, c’est en partie grâce à lui.

As-tu suivi que le Général Piquemal avait fait les gros titres de l’actualité pour être intervenu pour protester à Calais sur le problème des réfugiés ?

Je ne le savais pas. Je l’ai appris il y a un mois. Quelqu’un m’en a parlé, comme quoi, il a été destitué de son grade. Mais franchement, je ne connais pas l’histoire.

As-tu été surpris qu’il prenne partie de cette manière ?

Peut-être il est sensible à ce sujet. Mais j’ai été un peu surpris de la part d’un haut gradé militaire. Même si on est à la retraite, je pense qu’on reste à l’écart de la politique.

Lui es-tu reconnaissant de son action de création de la section sportive ?

Oui, toujours. Je l’ai appelé il y a un mois. Je ne lui ai pas parlé de ce problème. Quelqu’un me l’a appris.

Le groupe a parfois été critiqué, car il avait une trop forte suprématie. Il y avait pas mal de critiques par rapport au fait que ce système permettait de naturaliser des gens trop rapidement. As-tu été sensible à ces critiques à l’époque ?

Ce n’est pas le but de la Légion de naturaliser les gens. Mais un Légionnaire, quand il y un combat, une guerre quelque part, quand il part combattre à l’étranger, il a un passeport français, on ne sait pas s’il été naturalisé ! Quand il combat, il est Français. Et quand il court comme athlète, on n’accepte pas de le voir comme Français. Quand il va mourir pour la France, il est Français. J’ai du mal à l’accepter. Il y a une sorte d’hypocrisie là-dessus.

Conserves-tu des contacts avec les autres athlètes de la section de l’époque ?

On se marre un petit peu quand on se voit. On était une petite famille ensemble. On passait pratiquement 24 heures sur 24 ensemble. On a gardé des très bons souvenirs de cette période. Il y avait Mohamed Ouaadi, Luis Soarès, Tijani Errahmouni, un Ukrainien Rouzoum, Lyes Ramoul, Ibrahim Fouli. On était une bande de potes. On s’entendait bien.

Grâce à la Légion, on peut dire que tu es devenu un Français bien intégré, comme tu l’as dit tout à l’heure.

Je ne me vois pas ailleurs. J’ai même eu des propositions de pays du Golfe, pour porter d’autres couleurs. Franchement, la France, je l’ai en moi. Quand il y a la Marseillaise, j’ai la chair de poule. C’est en moi. La France, c’est mon pays. Je mourrai pour ce pays. Même si j’ai des racines au Maroc, je me considère français à part entière…

 

  • Interview réalisée par Odile Baudrier
  • Photo : Gilles Bertrand