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Dopage : l’étude banalisant l’EPO, une sacrée erreur, et un vrai danger!!

L’EPO n’améliore pas les performances sportives, et son action n’est que psychologique. Ce sont les conclusions d’une étude hollandaise, très relayée par les médias du monde entier, à quelques jours du début du Tour de France. La communauté scientifique se montre hostile. Pierre Sallet, spécialiste de l’anti-dopage, dévoile le biais existant dans cette étude, qui a conduit l’équipe de chercheurs à cette grossière erreur d’interprétation. Sciemment ou pas ???

Odile Baudrier avec Pierre Sallet

ESSAI 3 DOPAGE a

L’EPO, un consensus scientifique sur ses effets

Cette étude ne m’était pas inconnue, sans être moi-même par choix présent sur les réseaux sociaux, j’avais pu suivre néanmoins sur Facebook «l’appel à candidatures», ou plutôt cette demande de recherche de sujets pour une inclusion dans une recherche biomédicale.

Quelques mois plus tard, en voyant apparaître dans les médias la conclusion que l’EPO n’améliore pas la performance, je me dis « Où est l’erreur ? » Il y a plusieurs possibilités : soit c’est une mauvaise transcription par les médias, soit il y a un biais dans l’étude, soit c’est un résultat qui dérive par rapport au consensus scientifique autour de cette substance.

Il est exact qu’il arrive que des médicaments, en France ou ailleurs, sortent par exemple des circuits de remboursement en raison d’une absence d’effets thérapeutiques qui peut être mise en avant dans la phase dite de pharmacovigilance qui fait suite à la mise sur le marché d’un médicament. Et il est donc important de se demander en premier lieu, si ce médicament n’avait pas finalement le bénéfice démontré dans des études antérieures.

Pour l’EPO le consensus scientifique règne au niveau international. L’EPO est une molécule très ancienne, mise sur le marché américain en 1989. Nous avons vraiment du recul sur cette molécule, et les données médicales convergent vers une augmentation de la production des globules rouges et donc de la concentration en Hémoglobine (la protéine qui transporte l’oxygène dans le sang) pour des sujets sous EPO; une seule exception celle des sujets avec une érytroblastopénie, pour qui l’administration d’EPO exogène ne produit que très peu ou pas d’effets.

Sur un plan personnel, je connais bien l’EPO, sous deux angles : sur le plan de la recherche, j’ai dirigé des protocoles avec injections d’EPO et j’ai également été sujet d’un protocole avec injections d’EPO. Donc, en prenant en compte la somme des connaissances scientifiques sur la substance, plus ma propre expérience en tant que directeur de recherche ou de «cobaye », je me dis qu’il y a un loup dans l’histoire, et me demande « Qu’est ce qui a bien pu être fait dans cette étude ??? »

L’analyse de l’étude hollandaise

C’est une étude très importante, en termes de nombre de sujets recrutés, de plan de protocole, de durée de la phase d’injection (8 semaine)…etc. Ce type de protocole est complexe à mettre en œuvre avec des expérimentations en laboratoire et sur le terrain; il nécessite donc forcément de gros moyens financiers.

D’un point de vue scientifique, Il s’agit d’une étude randomisée et en double aveugle mais elle n’est pas «cross over» c’est-à-dire que chaque sujet ne reçoit pas les deux traitements: le placebo et l’EPO mais un seul. Les sujets sont répartis aléatoirement dans les 2 groupes, certains reçoivent de l’EPO et d’autres non. Cela paraît plutôt bien construit mais il faut ensuite vraiment lire l’étude pour voir ce qui est pour moi, un biais important, et qui peut amener cette conclusion que l’EPO n’a pas d’influence sur la performance.

Et cette conclusion s’inscrit vraiment en contrepied avec les publications antérieures, qui quasi-exclusivement, vont dans le sens d’une amélioration des performances. Comme le soulignent les auteurs de l’étude hollandaise, il est exact qu’il existe peu d’études EPO versus placebo dans des groupes randomisés de cette taille, mais ce n’est pas ce qui justifie un tel résultat.

Cette conclusion reprise par les médias provient en grande partie de l’absence de différence dans les chronos réalisés lors de l’ascension du Ventoux par les deux groupes, l’un avec EPO, et l’autre sans EPO. En effet, le traitement statistique de l’étude est effectué avec des différences inter-groupes, les 2 groupes sont comparés l’un par rapport à l’autre mais jamais un individu à lui-même avec les deux traitements comme c’est le cas dans une étude en cross-over, « la rolls du protocole » dans le domaine de la recherche biomédicale.

L’ascension du Mont Ventoux survient 10 à 16 jours après la dernière injection d’EPO, avec une moyenne de 12 jours. Sur les 48 cyclistes incluent dans l’étude au départ, 44 ont participé à cette ascension. Ils ont réalisé au préalable en groupe un circuit de 110 km, puis il leur a été demandé de réaliser la meilleure ascension possible du Ventoux par Bedoin; les auteurs comparent ensuite la moyenne des 2 groupes, avec un temps moyen est de 1h40’ : 1h40’ 32’’ pour le groupe EPO, et 1h40’15’’ pour le groupe Placebo.

C’est là où apparaît le gros biais de cette étude : il n’y a pas de comparaison intra-individuelle… Et aucune donnée n’est fournie sur le niveau initial des groupes : car même si les sujets ont été inclus aléatoirement dans un groupe, si un groupe est plus fort que l’autre, cela fait toute la différence !

L’étude donne une moyenne de temps, pas les écarts types, et il n’est pas mentionné cette homogénéité du niveau de performance, qui peut être testée de manière scientifique. Est-ce qu’ils l’ont fait sans le dire ? Ou bien ils ne l’ont pas fait ??? Je dirais qu’ils ne l’ont pas fait.

Une seule strate est prise en compte dans la randomisation des groupes: une strate d’âge – 18 à 34 ans et 35-50 ans. Mais tu peux avoir 18 ans et être complètement amateur, ou avoir 45 berges, t’appeler Christophe Bassons ou Cédric Fleureton et toujours avancer à l’eau claire comme un avion !!!

Par exemple, il est possible à l’extrême de comparer deux groupes, un groupe de cyclistes pro et un groupe de cyclistes amateurs de plus de 50 ans qui feraient 2000 bornes par an. Si le 2ème groupe est placé sous EPO, il ne sera pas meilleur que le groupe cyclistes pro, et il sera possible de conclure que l’EPO ne crée pas de différences….

Les données auraient pu être différentes si les sujets avaient réalisé une 1ère ascension du Ventoux au début du protocole, puis après avoir reçu ou non de l’EPO pendant 8 semaines, une 2ème ascension en fin de protocole.

Une étude néfaste à la lutte anti-dopage

Personnellement je trouve dommage qu’une étude en soit encore à démontrer que l’EPO influence ou pas la performance… Cela signifie qu’on a 30 ans de retard…

Le plus intéressant dans une étude est de savoir comment ça peut bénéficier à la lutte anti-dopage. Il y avait des moyens financiers donc de quoi travailler sur de nouvelles méthodes de détection de l’EPO? Qu’est qui a été fait à ce niveau? L’étude ne fournit pas d’informations…

Dans la littérature scientifique autour de l’EPO, il apparaît des variations de performances entre 1 à 5% en fonction des doses, de la durée de protocole, du niveau d’entraînement, de la réponse intra-individuelle… car il faut le savoir, certains sujets réagissent bien à l’EPO, d’autres moins. L’effet diffère également en fonction des produits absorbés en parallèle. Dans cette étude, il s’agit de fer et vitamine C, mais d’autres vitamines et substances catalysent l’effet EPO. Et bien sûr une combinaison de substances améliore encore la performance…

En résumé, avec un dopage bien mené, l’amélioration des performances peut atteindre 10%, mais dans cette étude, la différence de niveaux entre les sujets peut être énorme. Même s’ils ont été répartis dans les deux groupes de manière aléatoire il est possible que de fortes individualités existent dans chaque groupe. La seule présence d’un Iban Mayo, avec un record d’ascension contreversé… du Ventoux à 55’51’’, aurait par exemple suffit à influencer directement le résultat d’un groupe qui présente un temps moyen d’ascension en 1h40’… Sans aller dans ce cas extrêmes il suffit de quelques cyclistes meilleurs dans un groupe et la conclusion devient caduque.

Les paramètres des conditions de course sont également à intégrer :

  • Le phénomène d’aspiration: Même dans une ascension, quand le cycliste est dans une roue, un gain lié à l’aspiration par le cycliste qui le précède existe. Il est de 30% à 60km/h et au minimum de 5% pour des vitesses lentes comme dans cette étude sur le Ventoux. Ces valeurs sont également fortement dépendantes du vent alors lorsque l’on sait que le jour de l’ascension le vent soufflait à 40km/h en bas et 85km/h en haut; c’était un jour à rester dans les roues!! Si un sujet non EPO prend la route d’un sujet EPO, les deux vont arriver ensemble, l’effet EPO de 5% du cycliste de tête sera masqué par l’effet lié à l’aspiration de celui qui se trouve dans sa roue… Seule la comparaison individuelle dans des conditions standard a un sens pour mettre en avant un résultat.
  • Le matériel : il n’a pas été le même pour tous…et on sait qu’il y a une sacrée différence entre un «vieux clou» de 12 kg ou plus et un vélo de 8 kg…
  • A noter également que l’Ascension du Mont Ventoux s’effectue entre 10 et 16 jours après la fin de la cure EPO (moyenne de 12 jours). Or il est reconnu que les effets de l’EPO sont amoindris en fin de cure, avec une perte importante d’effets.

Au final, Il faut vraiment rétablir la vérité avec cette étude. J’espère qu’il s’agit d’un biais méthodologique, que ce n’est pas fait sciemment. Car si moi, je veux construire un protocole pour montrer que l’EPO ne marche pas, je peux le faire, il suffit de recruter les bons sujets, et utiliser de « bons mauvais» critères aléatoires et je serais dans les règles pour publier…

Dans cette étude, il y a des biais importants dans les détails de la méthodologie qui font qu’on arrive à de telles confusions…

Les idées reçues ont la vie dure

Les réactions des médias sont surprenantes, elles donnent le sentiment qu’on a envie de croire que l’EPO ne sert à rien… Dans le domaine du dopage, il y a des choses ancrées. «Le dopage est inéluctable pour être champion », «Tous les champions sont dopés », «Le dopage fait la même chose à tout le monde, donc ça ne change rien»…

Moi, je m’insurge sur ces positions. Non, tous les athlètes élites ne sont pas dopés ! Et oui le dopage n’agit pas pareil sur tout le monde. Dans une population d’athlètes homogènes, qui se tiennent à 1% de différence dans les performances, cela crée une différence énorme, qui peut atteindre 10%. Cela peut permettre à un bon amateur, qui n’est pas pro, d’atteindre le niveau pro. Cela fait un «gap» énorme au sein d’une même population même si bien sûr un sportif de 50 ans, même dopé, ne va pas gagner le marathon de Londres, Roland Garros ou un match de foot!

De telles études, entretiennent les idées reçues : le dopage ne change rien, EPO ou pas les résultats seraient les mêmes, c’est une très grave erreur. C’est aussi un mauvais signal envoyé aux sportifs : tous les gars qui ont été sous EPO, et qui continuent, car il y en a encore pleins, ils doivent bien se marrer, et se dire « L’anti-dopage, ils en sont encore là ? Ils réfléchissent si l’EPO est efficace?» lol (*)

L’EPO, un sacré dopant

Le consensus scientifique est de dire que bien évidemment l’EPO améliore les performances dans les sports d’endurance, pas forcément au tir à l’arc par exemple, en favorisant le transport de l’oxygène. Mais bien sûr, si demain vous faites des mesures dans le cadre d’efforts sous-maximaux effectuées sur un coureur à pied élite évoluant à 12 km/heure, il sera plus difficile de mettre en avant des différences que sur des efforts maximaux.

Ma dernière étude sur l’EPO remonte à 2014, elle avait été relayée dans le sujet de France Télévisions publiée en avril 2015. Cette étude n’a pas été faite pour montrer que l’EPO est efficace ou pas; mais pour tester les limites des méthodes de détection et de voir comment les faire évoluer. L’amélioration des performances n’était qu’un critère secondaire.

Dans notre étude 2014, il n’y avait volontairement pas de groupe placebo. L’ensemble des sujets prenait de l’EPO, mais aussi de l’hormone de croissance, des corticoïdes et subissait une autotransfusion; le tout en micro-doses. Le principe pour ces tests de performance était de réaliser des tests sur efforts maximaux avant, un suivi biologique, et ces mêmes tests maximaux après.

Tous les sujets savaient qu’ils étaient sous EPO, ce qui peut créer une amélioration éventuelle du résultat en raison de l’effet placebo. Mais par contre le traitement statistique était toujours réalisé de manière intra-individuelle «Quand on annonce 3 à 6% d’amélioration, c’est un individu comparé à lui, et c’est bien sûr la seule donnée fiable».

Nous avons une nouvelle étude EPO qui débute fin 2017 et nous allons nous aussi «recruter», avec là encore pour objectif principal une nouvelle méthode de détection. Le volet performance n’est volontairement pas inclus dans l’étude, même si pour les sujets il est toujours intéressant de pouvoir évaluer objectivement les effets aux travers de tests qui peuvent être faits en marge du protocole à titre personnel.

Pour moi, au final, une telle étude est néfaste, puisque les gens n’ont pas une connaissance assez fine des recherches biomédicales pour identifier des biais éventuels, et il demeurera ainsi cette idée que l’EPO ne crée pas de différence. Plus grave encore cela renforce une autre idée qui est que l’EPO ne serait pas une substance dangereuse; car dans l’esprit de tous, un médicament sans effet ne présente pas de danger. C’est dramatique pour les jeunes !

  • Odile Baudrier avec Pierre Sallet
  • Photo : D.R.

 

 

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