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Dopage : la L Carnitine, le produit miracle du groupe Salazar ?

rupp et farah R2

La L-Carnitine apparaît être utilisée de manière large par les athlètes du groupe d’Alberto Salazar, en particulier par Galen Rupp, 3ème aux JO de Rio sur Marathon. Si ce produit ne figure pas sur la liste des interdictions, son utilisation, dans un objectif de performance, par des perfusions en intraveineuses selon des dosages interdits pourrait représenter une violation des règles antidopage. La L-Carnitine est-elle vraiment un produit miracle ? Pierre Sallet, spécialiste anti-dopage, livre  une analyse pondérée.

 

La L-Carnitine, le secret du groupe d’Alberto Salazar ??

Le rapport rédigé par l’USADA sur les pratiques des athlètes du Groupe Nike Oregon Project sous la houlette d’Alberto Salazar (et transmis par les hackers des Fancy Bears au site américain Flot rack) consacre une large partie à l’utilisation de la L- Carnitine.

Les informations recueillies à partir de la consultation des mails et autres documents mis à disposition du groupe d’enquête de l’USADA révèlent un bel enthousiasme de la part d’Alberto Salazar face à ce produit initialement nommé « Be Supreme » puis plus tard « Nutramet », et que le coach américain qualifie comme « ce qui sera probablement le plus grand supplément sportif légal ».

Pourquoi une telle exaltation ? 
A la suite d’une étude menée par une équipe de l’Université de Nottingham en Angleterre, qui démontrerait que le produit offre une action double selon l’intensité de l’exercice.

Dathan Ritzenheim

Dathan Ritzenheim

A intensité modérée, 50% de VO2 Max, selon cette étude il économiserait le glycogène du muscle en augmentant l’oxydation des triglycerides, permettant ainsi de retarder la déplétion du glycogène musculaire pendant un effort prolongé: les athlètes utilisant le « Be Supreme » (marque Carnipure) présentent une utilisation de glycogène inférieur de 55% à celle des athlètes utilisant seulement des glucides.

A intensité forte, 80% VO2 Max, il diminue l’accumulation des lactates dans le muscle, ralentissant le développement de la fatigue associée à un tel effort : dans l’essai clinique, le taux de lactate du muscle était inférieur de 44% chez les athlètes utilisant « Be supreme », par comparaison aux autres.

A intensité plus élevée, 80% VO2 Max, il diminuerait l’accumulation des lactates dans le muscle, ralentissant le développement de la fatigue associée à un tel effort: la concentration de lactates au niveau du muscle était inférieure de 44% chez les athlètes utilisant « Be supreme » (marque Carnipure), par comparaison avec le groupe témoin.

Ces aspects métaboliques se traduisaient par une augmentation de 11% des performances après 24 semaines de cure.

Le produit apparaitrait ainsi comme très efficace pour les efforts d’endurance, en permettant aux coureurs de conserver leur stock de glycogène, en compensant par une utilisation des graisses pendant de longues périodes à effort d’intensité modérée, et préservant ainsi la disponibilité en glucides pour les phases finales de la course.

Egalement, il s’avérait bénéfique dans le cas d’efforts intenses sur des moments très courts, comme lors de sprints finaux, car le produit limiterait l’accumulation des lactates dans les muscles, diminuant ainsi l’acidose et donc la fatigue.

Pourquoi une polémique autour de l’utilisation de la L Carnitine qui n’est pas un produit interdit par les règles de l’anti-dopage ?
Parce que le groupe NOP aurait eu recours à des perfusions  pour l’ingérer, afin de bénéficier plus rapidement de son impact qui, selon cette étude menée par le Docteur Greenhaff à l’université Nottingham,  demande au minimum 6 mois en cas de prise par voie orale. Alberto Salazar est convaincu de l’efficacité du produit « Be Supreme », mais le produit tarde à lui parvenir alors que la date des Trials 2012 de marathon, fixée à mi janvier 2012, (auxquels va participer Dathan Ritzenheim), approche à grands pas. Il sollicite alors de Steve Magness, son assistant coach de l’époque, et également athlète de bon niveau, de travailler en collaboration avec le Docteur Brown, médecin de Houston, référent pour tous les athlètes du NOP, pour définir une méthode d’injection par des perfusions, plus rapide que l’absorption par voie orale.

Steve Magness

Steve Magness

C’est autour de cette méthode par perfusions que se cristallisent les critiques de l’USADA. Les règles de l’Agence Mondiale Anti-dopage sont très strictes. En 2011, les injections par intraveineuses sont interdites sauf en cas d’admissions médicales. Ce principe est modifié pour l’année 2012 : pour être autorisées, les injections par intraveineuses doivent respecter le dosage de 50ml par période de 6 heures. Ce changement est annoncé en septembre 2011. Les premiers essais d’injection pour les athlètes du NOP ont lieu en fin d’année 2011, après qu’Alberto Salazar ait pris contact avec l’USADA pour demander la permission d’effectuer un test clinique, qui lui sera refusée le 6 décembre 2011, le Directeur des Sciences de l’USADA, Dr Matthew Fedoruk, se bornant à rappeler la règle des 50 ml par heure, exceptée en cas d’urgence médicale.

Dans les éléments diffusés dans le rapport de l’USADA, il apparaît qu’Alberto Salazar a fortement influencé le Docteur Brown, très réticent au départ, pour qu’il accepte de tester in vivo la méthode d’injections en intraveineuse d’abord sur Steve Magness, puis sur Dathan Ritzenheim, et Alvina Begay, et plus tard sur Galen Rupp.

Les dosages autorisés ont-ils été dépassés ?
C’est ce qu’affirme le rapport de l’USADA, procédant à un calcul sur la base des taux de carnitine mesurés après ces injections. Et selon ces enquêteurs, l’augmentation de 3.348% de carnitine dans le plasma sanguin constatée chez Steve Magness démontrerait que le Docteur Brown aurait procédé à une injection dépassant largement le taux de 50 ml autorisé par période de 6 heures.

Galen Rupp

Galen Rupp

Selon leurs calculs, s’appuyant sur un dosage de 9.67 grammes de L Carnitine en 1 heure, la perfusion faite à Steve Magness pour tester cette méthode aurait été d’environ 1000 ml (1 litre). Avec un impact fort sur ses performances (mesurées par des tests sur tapis roulant avant et après l’injection), comportant une augmentation significative de VO2 Max et un changement significatif dans l’utilisation des graisses dans toutes les intensités. Les résultats enthousiasment tellement Alberto Salazar qu’il contacte de suite Lance Amstrong, pour lui indiquer que selon lui les injections de L Carnitine devraient lui permettre de diminuer de 16 minutes son temps sur un Iron Man. Et le coach précise même à l’ancien cycliste qu’il est le seul, avec Galen Rupp, auquel il avoue les véritables progressions constatées…

Par la suite, tous les athlètes du Groupe NOP défileront chez le Docteur Brown, avec Dathan Ritzhenheim, Alvina Beglay, Dawn Grunnagle, Lindsay Allen, Galen Rupp. Quant à Mo Farah, c’est un médecin britannique, le docteur Robin Chakraverty, qui lui injectera la L Carnitine à la veille du marathon de Londres 2014.

L’enquête menée l’USADA il y a maintenant près d’une année n’avait jusqu’à très récemment débouché sur aucun résultat concret concernant les différentes personnes citées dans ce rapport pour leurs dérives. Mais le 9 juin, le New York Times révélait que le Docteur Brown avait reçu de la part de l’Agence Anti Dopage US une notification officielle pour violation des règles anti-dopage…

La L-Carnitine, ses effets connus

Pierre Sallet ne dissimule pas une certaine perplexité face à une focalisation liée à l’utilisation de la L Carnitine par le groupe Salazar dans un registre selon lui «de l’arbre qui cache la forêt», mais aussi en parallèle sur la potentialité juridique de la méthode rétroactive utilisée par l’USADA pour estimer que les règles de l’anti dopage ont été bafouées, avec au moins une injection dépassant la norme de 50 ml par période de 6 heures.

Quel est le rôle de la L Carnitine ?
La L-Carnitine est un acide aminé endogène, c’est-à-dire que ce composé est naturellement produit au niveau de l’organisme. Dans sa forme synthétique, il se présente essentiellement sous deux formes: la D-Carnitine et la L-Carnitine. C’est cette dernière forme qui présente une action physiologique clairement identifiée, et qui est souvent utilisée dans les compléments alimentaires.

En effet le rôle principal de la L-Carnitine consiste au transport des acides gras à longue chaîne du cytosol vers les mitochondries qui sont les «centrales énergétiques» des cellules.

Quel est l’intérêt de la L-Carnitine pour un sportif ?
Beaucoup d’études en relation avec l’amélioration de la performance en endurance liée à la prise de L-Carnitine ont été effectuées sur ce composé depuis les années 1980, que ce soit sur l’animal et sur l’homme, et mettent en avant deux intérêts potentiels:

  • La perte de masse grasse
  • L’augmentation de la durée d’exercice à une intensité sous-maximale donnée

Le mécanisme avancé est le suivant: un apport additionnel de L-cartinitine avant l’effort permettrait de favoriser l’utilisation des acides gras pour produire de l’ATP et donc de prolonger la durée de l’exercice tout en favorisant la perte de masse grasse. Certaines études concluent même à une amélioration significative de VO2max de l’ordre de 6%.

Toutefois une lecture critique de ces différentes études souligne des biais expérimentaux ou limites à mettre en parallèle avec d’autres travaux qui, eux, ne démontrent aucune amélioration des performances en relation avec un apport additionnel de L-Carnitine.

De plus un problème à ne pas éluder est celui du conflit d’intérêt, dans le cas où une recherche est directement financée par un laboratoire de compléments alimentaires.

Alors dire que le rôle de la L carnitine dans l’organisme, consiste au passage des acides gras du cytosol vers les mitochondries est une chose, mais qu’un apport additionnel pourrait améliorer la performance en endurance; là le mystère reste entier. Le mécanisme support à une telle démonstration n’est pas encore identifié.

Un produit non interdit
Cette substance ne figure pas sur les listes des interdictions parce qu’il n’existe pas suffisamment de données scientifiques pour affirmer qu’une prise de L-Carnitine aurait un effet bénéfique sur la performance, de même que le risque sur santé n’est pas également avéré. En théorie, si cette substance était si efficace, elle figurerait sur la liste des interdictions; en théorie, car environ une vingtaine d’autres substances selon moi devraient y figurer et elles n’y sont pas non plus…

Malgré tout, la conduite d’Alberto Salazar et de son groupe concernant l’utilisation de la L-Carnitine apparaît à minimum nocive. En fait, si cette substance n’est certes pas interdite, le fait d’associer une amélioration potentielle de la performance à une prise de substance est une conduite délétère au moins contraire à l’éthique. S’injecter avant la compétition, ça ne ressemble plus trop à du sport…

L’injection en intraveineuse
Et oui, le mode d’administration a toute son importance; c’est même le cœur du problème au regard des seuls éléments connus autour de la L-Carnitine de cette affaire Salazar. Le mode d’administration en intraveineuse permet une présence plus rapide dans le système sanguin alors que la voie orale en dehors de l’inertie logique peut également présenter des limites notamment dans le passage de «la barrière digestive.

A ma connaissance, il n’existe pas de protocole randomisé en double aveugle avec injection de L-carnitine versus placebo démontrant une amélioration de performance à partir d’un critère principal objectif et c’est là qu’Alberto Salazar aurait pu commettre une erreur.

La règle des injections hors admission hospitalière est de respecter un dosage au maximum de 50 ml/ toutes les 6 heures. Le rapport de l’USADA affirme que cette règle n’a pas été respectée, et s’appuie sur une méthode inverse, démontrant que le taux de concentration de L-carnitine détectée dans les échantillons n’a pas pu être obtenu avec une simple injection de 50 ml/toutes les 6 heures.

Attention aux faux positifs ?
Mais attention, d’un point de vue juridique une telle méthode est un terrain miné dans le cadre d’une procédure. Dans la lutte antidopage, il existe une règle d’or, celle du moins de 1/10 000 faux-positif, et il est donc important de prendre en compte les spécificités individuelles. Car sait-on comment Rupp ou Farah éliminent la L-Carnitine? Si la prise n’a pas été seulement orale? Comment est-elle métabolisée chez chacun ? Si cet état ne pouvait être temporaire lié à une période spécifique ? Si des conditions environnementales ou d’entraînement ne peuvent pas influencer les dosages…etc

Une défense toute trouvée pourra être d’argumenter sur une consommation importante de produits laitiers, de viandes ou des prises orales. Ce type de démonstration ne me semble pas juridiquement intenable pour arriver à prouver que l’injection a comporté plus de 50 ml/ toutes les 6 heures, à défaut d’autres éléments de preuve, comme une vidéo, un dossier médical ou des aveux…

Pour moi, l’élément central dans le dossier Salazar tourne autour de a minima une hypermédication avec des prises de médicaments en relation avec une insuffisance thyroïdienne, voire de violation des règles antidopage en relation avec des prises de testostérone comme cela a pu être évoqué dans le dossier.

Concernant la L-carnitine, j’ai personnellement de grosses réserves sur l’amélioration des performances sportives qu’elle peut induire faute de preuves scientifiques qui feraient consensus. Selon moi, elle demeure un complément alimentaire, qu’on peut obtenir par l’alimentation, ou que l’on peut suppléer. Ce n’est pas un produit miracle, mais il est certain que toute cette communication autour de la L-Carnitine et du groupe Salazar a résonné auprès du grand public, et permettra probablement d’augmenter les ventes du produit…

 

Sujet rédigé par Odile Baudrier