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Comment est né le Meeting de Paris

Le 5000 m de ce meeting est conduit par l'anglais Stewart
Le 5000 m de ce meeting est conduit par l’anglais Stewart

L’athlétisme professionnel naît milieu des années 75. A l’image de la boxe, alors que les managers n’existent pas, on craint l’arrivée des « matchmakers » pour organiser les premiers meetings « pro » qui, petit à petit, vont faire disparaître les matchs entre nations. Le mémorial Léon Signoret organisé en 1974 par le visionnaire Raymond Lorre fut l’un de ceux là. Flash back sur la naissance du Meeting de Paris.

 

Miroir de l’Athlétisme, numéro 114, daté juillet 197, son rédacteur en chef, Raymond Pointu n’attend pas la cloche pour fustiger dans son éditorial l’arrivée des « matchmakers » dans l’univers de l’athlétisme. Il écrit ces mots : « Ce sont les matchmakers qui imposeront leur loi et ils ne s’intéresseront qu’à l’élite. Inévitablement, il en résultera un appauvrissement de la pratique de l’athlétisme dans les pays occidentaux. »

Les matchmakers, ce sont ces intermédiaires, entre l’entraîneur et l’organisateur qui dans le milieu de la boxe, amateur et professionnel, montent les affiches des galas et des réunions avec la réputation qui va avec ce milieu. Il y a les mafieux et les peu scrupuleux, il y a les intégristes et les puristes. Raymond Pointu, c’est le poil à gratter de l’athlé. Il ne cache pas ses idées de gauche et sa sympathie pour les nouvelles républiques socialistes de l’Est. Il termine son billet d’humeur par cette prédiction : « Les « matchmakers », on sait où cela a conduit : la boxe amateur est moribonde hors des pays socialistes, qui à Munich, ont remporté pas moins de neuf titres sur les onze mis en jeu ».

Milieu des années 70, l’athlétisme rentre dans une nouvelle ère. Le carcan de l’amateurisme se fissure, les matchs « grands papas » opposant nation contre nation, ne font plus recette. Les Relais Jacques Cœur en sont l’un des derniers vestiges. Le sponsoring est balbutiant, il grignote à visage caché. Aux Etats Unis, c’est même la naissance d’une forme de ligue pro. Raymond Pointu lui le défenseur d’un athlétisme d’Etat, s’inquiète dans son éditorial »à côté des fédérations qui conserveraient le contrôle des matches internationaux, risque donc de naître un pouvoir parallèle ».

Le « Mémorial Léon Signoret », c’est l’une des toutes premières ébauches d’un meeting professionnel

En 1974, le Van Damme à Bruxelles, le Nikaïa à Nice, l’Athletissima à Lausanne, le Prefontaine Classic à Eugene n’ont pas encore été créés. Ils le seront à partir de 1976 alors qu’en France, le « Mémorial Léon Signoret » voit le jour. C’est l’une des toutes premières ébauches d’un meeting professionnel.

Il s’agit d’une double organisation. Claude Maydieu alors journaliste du petit écran aux côtés des Pautrat, Fulla, Loctin lance l’idée d’un « 24 heures de l’athlétisme » associé au meeting Léon Signoret organisé quant à lui par le Stade Français, le club parisien orchestré par le visionnaire Raymond Lorre. Celui-ci vient du monde de l’entreprise privée, son souhait est d’orienter l’athlétisme vers de nouveaux horizons mais à une seule condition, que les clubs,  demeurent les maîtres d’œuvre de cette évolution.

Le budget est ficelé à hauteur de 300 000 francs, 1000 $US seraient offerts à un champion olympique dès 1976. Olivier Margot, alors chroniqueur pour le Miroir de l’Athlétisme ne manque pas cette comparaison « le Stade Français avait engagé 300 000 francs alors qu’un club connu de la région parisienne doit vivre un an avec un peu plus de 10 000 francs pour ses 300 athlètes ».

Dwight Stone en chauffeur de stade. L’Américain est le chouchou de cette réunion. Il adore l’Europe et la France.

Le meeting est monté comme un show avec toutes les stars de l’athlétisme mondial, les néo-Z Walker et Dixon opposés à Jacky Boxberger, le hurdler Bolding pour affronter Jean-Claude Nallet en préparation pour les Europe, le lanceur de poids Woods dans un duel contre Feuerbach, une belle affiche sur 5000 avec  Puttemans, Gamoudi, Stewart, Tibaduiza, sans oublier Guy Drut sur 110 mètres haies et Dwight Stone en chauffeur de stade. L’Américain est le chouchou de cette réunion. Il adore l’Europe et la France. Il a même été recruté pour participer au championnat de France d’athlé ouvert pour la première fois à des athlètes étrangers !!! Au stade Jean Bouin, Raymond Lorre veut du spectacle, le sauteur en hauteur américain, recordman du monde avec 2,30 m, s’est lancé un défi, sauter 10 centimètres plus haut que le record de France détenu alors par Paul Poaniewa avec 2,22 m. Les matchmakers ont donc bien travaillé dans l’ombre pour proposer une telle affiche.

Le Miroir de l’Athlétisme a la dent dure pour mordre et railler sur une telle organisation qui échappe alors aux canaux de l’athlétisme classique. Le journaliste s’interroge ainsi : « En quittant le stade, nous ne pouvions pas ne pas nous demander : à quand l’O.P.A de Bruno Coquatrix (alors directeur du music hall l’Olympia) sur l’athlétisme français ? ».

Aujourd’hui c’est un 100 mètres « facebook » qui agite « grotesquement » le Stade de France

Car les organisateurs ont levé le rideau rouge sur un stade enchanté d’encourager un duel Bernard – Jazy puis celui opposant Zatopek – Reiff, les anciens sont à l’honneur. Pour enchaîner avec le relais des Parlementaires, le 80 mètres des Reines de Beauté (à quand un relais Miss France au Stade de France !!!) et conclure le tout par une course de jockeys  en botte, cravache et casaque ». Olivier Margot donne son point de vue : «ce soir là, il ne manquait que les majorettes, c’est grotesque ». Aujourd’hui c’est un 100 mètres « facebook » qui agite « grotesquement » le Stade de France.

Ainsi est né l’athlé des meetings de la Diamond League, avec l’arrivée non pas des matchmakers mais des managers, Jos Hermens fut l’un des premiers à se lancer, un athlé spectacle qui s’est imposé au détriment des rencontres entre nations. Lorsque l’on voit le succès du meeting de Bruxelles fêtant cette année son quarantième anniversaire avec un tel enthousiasme et une telle ferveur, qui s’en plaindrait ?  Ironie du sort, Raymond Lorre qui fut l’un des artisans de cette révolution décidait en 1998 de lever l’ancre et de plier bagages, écoeuré par l’argent coulant à flot dans un sport orchestré par Primo Nebiolo alors président de l’IAAF.  « On est entrain de gaver des oies » déclarait-il au journal l’Humanité.  Le promoteur du Mémorial Léon Signoret, point de départ du Meeting de Paris avait ouvert la boîte de pandore, le coffret à diamants ne s’est jamais refermé.

> Texte Gilles Bertrand

> Photo Miroir de l’Athlétisme