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Aurore Guérin, la force tranquille avec Loïc Letellier

Aurore Guérin aux Europe à Hyères en 2015

Aurore Guérin aux Europe à Hyères en 2015

Aurore Guérin a fait irruption au plus haut niveau il y a seulement deux ans, avec en particulier un titre de vice-championne de France de 2015. A 26 ans, la jeune femme se voit ainsi récompensée de sa patience, elle compte plus de 12 ans de pratique du cross et de l’athlétisme. Un résultat qu’elle a atteint sous la houlette de Loïc Letellier, son entraîneur, lui-même ancien athlète de très haut niveau.

 

Le rituel est bien installé. Chaque dimanche soir, un SMS tombe. Il contient le plan d’entraînement défini par Loïc Letellier pour la semaine. Un moment qu’Aurore Guérin redoute un petit peu. Le coach le sait bien et ne tarde pas à appeler sa protégée pour la rassurer, et elle avoue : « J’ai tendance à avoir peur. Il m’explique que s’il a mis ces chronos, c’est que je peux les faire. » A charge pour elle de les exécuter entièrement seule.

Le challenge est de taille. Car la collaboration de Loïc Letellier et Aurore Guérin ne s’effectue quasiment qu’à distance, l’une isolée à Avranches, et Loïc à Caen, à une centaine de kilomètres. Une pratique en solitaire à laquelle la jeune femme est complètement rôdée, qu’elle avoue même apprécier. Et c’est sans doute cette solitude qui lui a forgé ce tempérament rude aux antipodes de la douceur de son physique, capable de la transformer en battante dans les derniers mètres d’une compétition, comme lors du Cross Ouest France ce mois de janvier, où elle a battu d’un souffle Clémence Calvin. A sa très grande surprise : « Nous avons le même âge avec Clémence. Nous avons souvent couru dans les mêmes cross. Je finissais 1 minute derrière elle. Et là, je me retrouve avec elle. » Un étonnement d’autant plus fort qu’elle était complètement passée à travers son championnat d’Europe de décembre dernier : « Je m’étais peut-être mis trop de pression. Je voulais finir dans le top 20, je n’ai jamais été à ce niveau-là, et je me suis complètement déconcentrée. »

Deux médailles de bronze chez les jeunes

Après cette contre-performance, Aurore s’est ensuite remise au travail, comme elle sait si bien le faire depuis tant d’années. Car il lui en a fallu de la patience jusqu’à ce jour de mars 2015 où elle s’est propulsée à la 2ème place du Championnat de France de cross, derrière Sophie Duarte. Mais Aurore Guérin n’a jamais failli, soutenue par un attrait irrésistible pour l’athlétisme : « Je n’ai jamais été découragée. Même si je finissais dans le top 50 au France, j’aimais y aller. J’ai fait mon petit bonhomme de chemin. Pour moi, c’était avant tout un passe temps ».

Près d’une décade durant, les saisons se sont suivies, scandées par des titres régionaux et interrégionaux, et seulement deux faits marquants : une 3ème place au France juniors sur 1500 m en 2008 et une 3ème place au France de cross espoirs en 2012. Elle l’avoue, sa première médaille a été « une grande surprise ». La seconde arrive, elle, à point pour sceller la collaboration avec son nouvel entraîneur, Loïc Letellier.

Leur rencontre ne s’est pas faite par hasard. Ils appartiennent au même groupe d’amis, et se retrouvent pour un stage en commun en Vendée. Son coach de l’époque interpelle Loïc Letellier, pour lui suggérer de chapeauter la préparation d’Aurore : « Il s’estimait limité, et il voulait qu’elle profite de mon expérience pour progresser. »

Loïc, ancien international, devenu entraîneur un peu par hasard, n’hésite pas. Il m’avoue : « Oui, nos parcours sont un peu parallèles. Nous avons été très discrets chez les jeunes. Et nous avons le même caractère. On est introvertis, appliqués. On ne fait pas de bruit. Je me retrouve vraiment en elle. Je me revoyais à mes tous débuts. »

Loïc Letellier brille avec Joël Bruneau

Loïc, lui aussi, n’a pas brillé dans les petites catégories, et n’est sorti de l’ombre qu’à 26 ans, en capturant en 2002 un titre de champion de France sur 5000 mètres, à la surprise générale. Cette victoire demeure intacte dans son souvenir, pour l’émotion intense partagée avec son entraîneur, Joël Bruneau. Un coach promis à un avenir brillant, il est maintenant Maire de Caen, et dont Loïc Letellier aime à évoquer l’implication à 100% malgré une vie professionnelle déjà très dense à l’époque : « Il était Directeur des Services au Conseil Régional, Président de la Ligue d’athlétisme. Pour mes séances, il s’échappait du travail, on se retrouvait sur la piste, il repartait de suite. » Et de souligner : « C’était un passionné. Comme athlète, il n’avait pas eu la carrière voulue, il vivait à travers moi. »

Loïc lui ramènera des satisfactions en pagaille, trois titres de champion de France (5000-10000-semi), deux sélections pour les Europe de cross (2002-2008), quatre sélections pour les Mondiaux (2004-2006-2010-2013), plus des sélections en Equipe Militaire. Et encore, le bilan aurait-il pu être plus riche : « Avec le recul, oui, j’aurais pu faire mieux sur certains points. Mais je n’avais peut-être pas assez envie. Et je manquais d’expérience. »

Loic Letellier

Loic Letellier

Et c’est justement cette expérience qu’il a voulu transmettre à Aurore. A leurs débuts ensemble, il compte alors 4-5 ans de pratique d’entraîneur. Il a d’abord accepté de conseiller son copain Damien Derobert, militaire avec lui chez les Chasseurs Alpins, qu’il accompagne vers un titre de vice-champion du monde de duathlon. Cela suit avec Fabrice Jaouen, qu’il prend en charge à plus de 30 ans, et qu’il amène sur le podium du France de semi, et en Equipe de France pour les Europe et Monde de cross. Puis Patricia Lossouarn, qu’il refuse d’abord d’entraîner avant de découvrir qu’elle suit en secret les plans de son compagnon de l’époque Fabrice Jaouen : « J’étais mis devant le fait accompli. J’ai accepté ! »… Le groupe grossit pour atteindre 7 athlètes, un peu à son corps défendant, car Loïc poursuit en parallèle sa propre carrière. Il disputera ainsi cet hiver son premier France en catégorie Masters pour lequel il ne manque pas d’ambitions même s’il l’avoue, le cross a été un peu la bête noire de sa carrière, bloqué sur une 4ème place, en cross court en 2006.

Aurore Guérin, un travail à temps plein qui la passionne

D’entrée, pour commencer sa collaboration avec Aurore, le coach modifie certaines habitudes : « Elle ne faisait pas de gammes. Pour les fractionnés, elle mettait un timer tous les 100 mètres. Elle enchaînait tout avec des chaussures lourdes. Elle n’était jamais mise en situation de compétition. » Aurore accueille positivement ces premiers changements : « Elle écoute beaucoup. Elle est preneuse de conseils. » Le jeune entraîneur se doit aussi de prendre en compte les contraintes de la profession d’Aurore, aide soignante à plein temps dans une maison de retraite à Avranches. Il s’en accommode très bien, articulant les séances autour de son planning, qui compte 3 ou 4 journées de travail de 10 heures selon les semaines. Il sait que son travail compte beaucoup pour Aurore qui explique : « J’adore mon métier. Je ne vois pas le temps passer ! Je ne m’imagine pas sans travailler. » Tout au plus rêve-t-elle d’un temps de travail allégé. Loïc Letellier, lui, aimerait bien la voir disposer de plus de disponibilités pour partir en stage, ce qu’elle ne fait jamais. Lui-même a déroulé toute sa carrière au sein des Chasseurs Alpins, bénéficiant d’un statut très privilégié, et il souligne : « Je n’aurais pas eu mes résultats sans cet emploi du temps. »

Mais journées de 10 heures ou pas, la tenace Aurore ne baisse jamais la garde. Footings, séances, le plus souvent elle est seule, elle prend elle-même ses chronos, ne retrouvant son coach qu’une fois par mois. Même si Loïc Letellier admet : « Je suis conscient que cela aura des limites quand elle arrivera à un plateau de performances », la méthode est bien huilée grâce à l’engagement total d’Aurore. Ses collègues de travail de la Maison de Retraite en sont les premiers témoins, et l’interpellent souvent sur ses pauses qu’elle passe à courir au lieu de se reposer, mais Aurore leur répond de sa voie douce et déterminée : « C’est pour la bonne cause ! »…

  • Texte : Odile Baudrier
  • Photos : Gilles Bertrand