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Athlérama 2014, Patrice Bertignon avec une gomme et un crayon

Patrice Bertignon suit à la trace toutes les performances de Renaud Lavillenie depuis que celui-ci est cadet

Patrice Bertignon suit à la trace toutes les performances de Renaud Lavillenie depuis que celui-ci est cadet

 

Athlérama vient de sortir. 720 pages résumant l’année 2014 avec ses records, biographies, bilans, statistiques, rétro…Derrière ce travail de bénédictin, se cachent des passionnés vivant dans l’ombre de l’athlé. Patrice Bertignon est l’un de ceux là.

 

Page 720, la dernière avant la 3 de couverture d’Athlérama. Une liste comporte treize noms et au bas de celle-ci, un petit mot de remerciements. Une ligne pour chaque nom, un contact et la fonction de chacun…Luc Beucher et Alain Bouillé pour les rétros, Yves Seigneuric pour la route, Gilbert Rosillo pour les lancers….Des noms connus seulement du sérail. Ce sont les statisticiens d’Athlérama, bénédictins des chiffres, des mètres et des secondes qui chaque année au printemps donnent vie à cet ouvrage plantureux retraçant la saison d’athlétisme achevée.

Un 05 62…dans le Gers, une petite attente, Patrice Bertignon décroche. C’est l’un des treize apôtres d’Athlérama, l’un des doyens qui en 1990 s’est assis à cette grande table monastère : « Je venais de gagner un concours sur les championnats d’Europe. On avait besoin de bras. Jean Gilbert m’a alors demandé d’intégrer l’équipe ».

 « Collectionner, ce peut être un vice, cela peut être dévorant »

1990, la FFA est alors logée dans un immeuble vieillot du Faubourg Poissonnière dans le 10ème.  Une petite dizaine de salariés, des pièces sombres, des piles et des piles de documents jaunis par le temps qui encombrent le moindre recoin. Jean Gilbert est alors le responsable d’Athlétisme Français. C’est l’ancêtre d’Athlérama qui petit à petit s’informatise, Patrice Bertignon précise : «Il réalisait un travail de romain » épaulé par une petite armée de solitaires, de passionnés, de forcenés à recueillir, compiler, collecter puis vérifier et enfin ordonner ces milliers de performances arrivant de province. Patrice Bertignon intègre cette équipe de « classeurs nationaux ».

Selon l’historien d’art Maurice Rheims, « Le goût de la collection est une espèce de jeu passionnel ». Patrice Bertignon ne dit pas autre chose : « Collectionner, ce peut être un vice, cela peut être dévorant ». Pour appuyer son propos, il cite Montaigne « Même si un collectionneur a les plus belles eaux-fortes, s’il en manque une et même si celle-ci n’a guère de valeur, il fera tout pour l’acquérir ».

Bernard Amsalem, le président le FFA, tient personnellement au maintien de l'édition d'Athlérama

Bernard Amsalem, le président de la FFA, tient personnellement au maintien de l’édition d’Athlérama

A 7 ans, Patrice Bertignon est déjà collectionneur de timbres, son père est d’ailleurs lui-même un philatéliste de profession. A 14 ans, il s’intéresse aux minima olympiques à l’occasion des Jeux de Rome. Il ouvre ses premiers cahiers dans lesquels il consigne résultats et performances. A 21 ans, il devient lui-même marchand de timbres et court le monde. Entre deux avions, deux expositions et ventes aux enchères, il poursuit ce travail de compilation, les meilleurs Français tous temps, les 50 meilleurs Européens, les 200 meilleurs mondiaux. Il se spécialise même dans les statistiques relatives à la perche et tient depuis ce temps la liste de tous les perchistes à plus de 5,60 m…. Lorsqu’une performance devient elle-même objet de collection.

Collectionner, c’est raconter une histoire.  Athlérama et ses compilateurs, racontent l’histoire brute de l’athlétisme français. Patrice Bertignon est l’un de ces portes-plumes. Il précise : » Je reste le dernier statisticien qui fait encore cela à la gomme et au crayon. On se fout de moi mais il faut raison gardée ». Il ajoute : « Entre avant et aujourd’hui, la seule différence pour réaliser Athlérama, c’est la bécane ».

Lorsque ce marchand de timbres installe son échoppe à Nice, il se rapproche de l’épicentre de l’athlétisme mondial, Monaco, siège de la Fédération Internationale. Il se lie d’amitiés avec Roberto Quercetani et Peter Matthews et intègre le staff chargé d’organiser la répartition des athlètes dans les séries lors des Mondiaux. De même, il joue un rôle de « taupe » pour débusquer les performances jugées anachroniques : « On suit la progression d’un athlète, on ne crie pas au loup de suite mais on explique qu’il y a un danger. Vous savez, les générations spontanées, ça n’existe pas. A titre d’exemple, j’ai toujours été un anti Marion Jones. Pareil, il faut surveiller les athlètes qui sur le coup des 28 – 30 ans, changent de statut. De même pour les groupes d’athlètes. Juste en regardant les performances ».

Athlérama fait ainsi figure de soucoupe volante tractée par des chevaux de bois

Celui qui n’a raté aucun championnat de France depuis 1973 devient ainsi la mémoire de l’athlétisme. Milieu des années 90, les animateurs Christian Charbonnel et Marc Maury font appel à ses services pour animer les meetings. En cabine, il est en contre point pour souffler dans l’oreillette, un record, une MPF, une MPE, une MPM. Aujourd’hui encore, il peut aligner sans vaciller les records personnels de tous les perchistes français.

Dans cet  Athlérama 2014, l’empreinte de Patrice Bertignon porte cette année sur une étude consacrée à Renaud Lavillenie ainsi que sur les bilans mondiaux 2014. Même si la machine a craché des centaines de listes et de tableaux, il s’est frotté les yeux plus d’un soir pour relire l’intégralité des documents à publier pour tendre vers les 98% de fiabilité. Mais au-delà de cette compilation de chiffres qui permet d’affirmer que « collectionner, c’est contrôler le temps », ce sont les trajectoires, les lignes de vie que Patrice Bertignon veut comprendre : « Les statistiques, ce ne sont pas que des chiffres, c’est aussi de l’humain ». Il se rapproche ainsi de Maurice Houvion. Il suit de près la carrière de Pierre Quinon «il était en dehors des normes ». Il cite encore Jean Galfione, Renaud Lavillenie… « la perche c’est un monde à part ».

A l’heure du tout internet et des moteurs de recherche, à l’heure où Logica absorbe et recrache chaque dimanche des milliers de performances, Athlérama fait ainsi figure de soucoupe volante tractée par des chevaux de bois. Avec à son bord des hommes luttant contre l’usure du temps. Patrice Bertignon vous interrompt pour rectifier le tir : « Bien sûr que nous vivons pour le futur ». Collectionneur d’art à ses heures spécialiste de l’école surréaliste de Nice, il ajoute : « L’athlétisme, c’est comme l’art. Il n’y a pas que la lumière ».

> Texte Gilles Bertrand