Les suspensions pour des passeports biologiques anormaux sont rares, mais elles illustrent bien l’injustice subie par les autres athlètes. Car les dérives sont constatées des années plus tard, et les résultats sont annulés avec beaucoup de retard. Illustration avec la Roumaine du Kenya, Delvine Meringor, recrutée par le sulfureux Carol Santa. Ou encore avec Benard Kibet. Ce cas a suscité la colère de Jimmy Gressier, qui a évalué à 60000 euros la perte financière subie en raison du dopage de son rival sur 10.000 mètres. Une attitude rare mais très légitime.
C’est une suspension provisoire qui a eu du mal à passer auprès de Jimmy Gressier. Le Français a réagi avec vigueur lorsqu’est tombée cette information concernant Benard Kibet, l’un des meilleurs mondiaux sur 10000 mètres, avec une place de 5ème au Mondial 2023 et aux Jeux Olympiques de Paris 2024.
Or justement, ce jour-là, le 2 août 2024, Jimmy Gressier a terminé 13ème de la finale. Le jeune Français a fait un calcul rapide, et d’estimer qu’une 12ème place lui aurait permis d’empocher 60.000 euros, entre les primes World Athletics et les aides de la FFA.
Bernard Koech perdra-t-il ses résultats de 2023 et 2024 ??
Une réaction forte à la mesure de l’injustice subie par les athlètes lorsqu’évoluent face à eux des rivaux peu scrupuleux. Et d’autant plus que les procédures pour passeports biologiques provoquent l’annulation des résultats avec plusieurs années de retard. Plusieurs cas l’ont déjà illustré dans le passé : le Marocain Othmane El Goumri, suspendu en juillet 2016, avec perte des résultats depuis août 2013, le Qatari Hamza Driouch, suspendu fin 2014 avec un passeport douteux depuis juillet 2012, ou plus récemment, la Kenyane Agnès Barsosio, suspendue en septembre 2023, avec des résultats annulés depuis mai 2022, le Japonais Koki Ikeda, suspendu en février 2025, sur la base d’échantillons anormaux prélevés dès juin 2023.
La suspension provisoire prononcée en ce mois de juin par l’Athletics Integrity Unit contre Benard Koech aura-t-elle pour conséquence la perte de ses résultats des deux dernières années ? Il est évidemment impossible de le prévoir encore, les éléments à charge n’étant pas connus.
Delvine Meringor perd ses résultats depuis 2022
Etonnamment un autre cas de suspension pour passeport biologique douteux vient d’être prononcé, cette fois par l’ADAK, l’agence anti-dopage du Kenya. Il concerne pourtant une Roumaine, puisque Delvine Meringor avait choisi en août 2021 de quitter sa nationalité kenyane pour représenter la Roumanie. Sous les couleurs roumaines, elle avait terminé 7ème en 2h24’56’’ lors des Jeux Olympiques de Paris. Et elle avait également décroché la 4ème place lors du Championnat d’Europe de cross en décembre 2024.
Tous ces résultats sont maintenant rayés des tablettes, de même que sa 3ème place au marathon de Barcelone au printemps 2023, où elle avait littéralement explosé son record, en tombant à 2h20’49.
Tout cela grâce à un dopage s’étalant sur plusieurs années. C’est en effet en octobre 2022, qu’un échantillon avait été prélevé, hors compétition, pour bâtir son passeport biologique, complété ensuite par quatre échantillons, recueillis entre le 22 juillet 2023 et le 19 août 2023. Et les experts allaient conclure à l’utilisation d’une substance ou d’une méthode interdite. Comprenez une manipulation sanguine ou l’utilisation de produits comme l’EPO.
La procédure allait aboutir début 2025, avec un accord formel de Delvine Meringor qui a reconnu l’infraction aux règles, et a accepté une suspension de trois années, avec annulation des résultats depuis ce fameux échantillon du 7 octobre 2022.
Carol Santa a recruté Delvine Meringo et Joan Chelimo pour la Roumanie
Un cas qui ramène l’actualité du dopage vers la Roumanie et son sergent recruteur au Kenya, Carol Santa. Le Roumain, ex-entraîneur vedette dans son pays avant la chute du Mur, est devenu omniprésent au Kenya depuis de nombreuses années, et a joué le serveur recruteur d’abord pour la Turquie pendant plusieurs années, y ramenant Ali Kaya, Aras Kaya, Ilham Tanui Ozbilan, Polat Kemboi Arikan, Tarik Langat Akdag, (tous ont reçu de nouveaux noms) et qu’il entraînait durant les longs mois qu’il passe chaque année à Iten.
Puis c’est pour le compte de son pays natal, la Roumanie, qu’il a agi, en proposant le switch de nationalité à Delvine Meringor et c’est le 12 mai 2021 qu’elle devient officiellement Roumaine. Le même jour que Joan Chelimo, épouse de Julien di Maria, manager français évoluant pour Ikaika Sports Management.
Immédiatement après sa naturalisation, Joan Chelimo se distingue avec un record sur marathon amené à 2h18’ à Séoul au printemps 2022, soit 3 minutes gagnées. En juin 2024, à Rome, elle devient vice-championne d’Europe de semi-marathon, quelques mois après avoir remporté le semi-marathon de Paris. Mais aux JO de Paris, elle abandonnera suite à une blessure.
Carol Santa est l’entraîneur de Joan Chelimo
Des résultats obtenus sous la houlette de Carol Santa, qui est son entraîneur au Kenya, et l’accompagne également sur le Championnat d’Europe de Rome. Un coach plutôt encombrant à considérer qu’avec cette suspension de Delvine Meringor, voici un nouveau cas de dopage relié à Carol Santa, après les deux cas d’athlètes turcs : Elvan Abeylegesse, ex-éthiopienne, suspendue deux ans entre 2015 et 2017, et Aras Kaya, ex-kenyan, suspendu trois ans entre 2022 et 2025.
Dès 2016, les liens de Carol Santa avec Bernard Sainz, le sulfureux docteur Mabuse, étaient apparus dans un article du Monde de Clément Guillou. D’autres éléments, qui m’ont été transmis en toute confidentialité, démontrent même le rôle actif joué par Bernard Sainz pour épauler Carol Santa à la défense de Elvan Abeylegesse.
Carol Santa apparaît aux côtés de Sara Benfares
Un autre élément relatif aux Santa avait suscité un certain émoi dans la communauté de l’athlétisme. Carol Santa, et son fils, Daniel, manager officiellement reconnu par World Athletics, étaient apparus dans l’affaire de dopage de Sara Benfarès. A la suite de la publication d’une photo où ils posent à côté de Sara Benfarès durant le Championnat d’Europe de Munich en 2022. Un cliché d’autant plus embarrassant que les deux hommes arborent le sweat officiel du CA Montreuil, club présidé par Samir Benfarès, avant sa démission suite à la suspension de ses deux filles. Celui-ci avait alors soutenu avoir rencontré les Santa durant le confinement de 2020 dû au COVID, et qu’il n’avait nullement connaissance de la réputation douteuse de Carol Santa.
Un argument assez semblable à celui utilisé par Julien Di Maria pour justifier le recrutement de son épouse Joan par Carol Santa, puisqu’il s’était ainsi expliqué auprès de moi : « Avant que Joan prenne sa décision pour le changement de nationalité, j’ai fait mon enquête. J’ai posé des questions à des personnes de l’anti-dopage. On m’a dit qu’il n’y avait pas de problèmes ».
Une allégation évidemment impossible à vérifier, et encore démentie ces derniers jours avec cette nouvelle affaire, qui touche maintenant une compatriote de Joan Chelimo.
- Analyse : Odile Baudrier
- Photo : D.R.