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Le dopage pendant le confinement, à quoi ça sert ?

Dans le contexte de la crise sanitaire mondiale, plusieurs pays ont annoncé un quasi-arrêt de leurs contrôles anti-dopage et l’Athletics Integrity Unit a pris acte en admettant une interruption à court de son programme. Alors faut-il craindre une utilisation accrue de produits dopants pendant le confinement ?

Un confinement zéro contrôle et 100% dopage. C’est le tableau sinistre que quelques observateurs n’ont pas manqué de dessiner à mesure que les agences anti-dopage ont annoncé l’allègement des contrôles anti-dopage, qu’on devine correspondre en réalité à un arrêt. Avec très clairement énoncée, l’idée que les sportifs n’avaient plus qu’à « profiter » de cette accalmie pour « charger la mule » !

Alors faut-il s’insurger de ces décisions successives des agences britanniques, françaises, américaines, russes… ? Pierre Sallet, l’un des grands pourfendeurs français de l’anti-dopage, à la tête du programme Quartz, qui vise à plus de transparence sur les données biologiques des athlètes, s’insurge de ces réactions hostiles. Pour une raison toute simple : « Dans la situation de crise actuelle, le sport devient un élément secondaire. Evidemment que la bonne décision dans les pays soumis au confinement est l’arrêt complet des politiques anti-dopage. Il sera toujours possible d’expliquer qu’une politique anti-dopage a été stoppée, mais il ne sera JAMAIS possible de justifier le cas d’un préleveur qui aurait transmis le coronavirus à un athlète, avec une éventuelle complication grave, voire des séquelles. Ce serait injustifiable. »

Ce n’est pas la priorité des priorités

Le point de vue n’est pas différent pour Michel Rieu, qui a assumé durant plus de 10 ans la fonction de conseiller scientifique au sein de l’AFLD : « Ce n’est pas la priorité des priorités. Pour les médecins engagés dans le domaine de la lutte anti-dopage, ils ont plus à faire actuellement dans le domaine médical et de la pandémie. Je ne sais même pas ce qu’ils peuvent faire en cette période de confinement. Les athlètes sont confinés aussi. »

Des analyses très réalistes, à considérer qu’en règle générale, les préleveurs chargés de se rendre au domicile des sportifs sont issus du monde médical, et que les besoins actuels de compétences dans les hôpitaux et cliniques ne leur permettent plus de se libérer pour ces missions.

Mais tout de même, que pensent ces experts de l’idée que les sportifs puissent profiter de cette accalmie des contrôles ? Michel Rieu souligne : « On peut soupçonner qu’ils profitent. Mais au niveau entraînement, ils ne peuvent pas faire grand-chose avec le confinement. Peut-on imaginer qu’ils vont profiter de cette période pour se doper en imaginant que ça va compenser leur diminution d’entraînement. Mais ils vont en profiter pour faire quoi ? Rien. Il n’y a pas de compétition. Ils vont peut-être se mettre aux anabolisants pour prendre du muscle. De l’EPO ? Pour en faire quoi ? Ca ne me paraît pas très raisonnable. Certes les cyclistes peuvent rouler sur home trainer mais ils ne sont pas encore sur la route ! »

Le dopage s’organise par rapport à la compétition

Pierre Sallet, conclut, lui aussi, à l’inutilité d’un usage de produits dopants dans cette période très particulière, où les compétitions sont annulées, et l’entraînement strictement limité. Il explicite : « Le dopage est toujours organisé par rapport à un objectif de compétition. Le but n’est pas d’être dopé toute l’année. Quel que soit le programme mis en place, il se structure à 95% sur les 4 semaines qui précèdent la compétition. »

Pour Pierre Sallet, comme pour Michel Rieu, le seul petit bémol se situe donc autour des facteurs de croissance, qui permettent d’augmenter la masse musculaire, de diminuer la masse graisseuse, dans une période hors-compétition. Comme l’analyse Pierre Sallet : « Notamment l’hormone de croissance, elle permet de prendre du muscle, qui, à l’arrêt du traitement, va tendre vers l’état normal. Mais cependant est-ce que je ne vais pas conserver un peu plus de muscles et surtout, durant la période où le muscle s’était étoffé, est-ce que j’ai été capable de faire des séances qui m’ont permis d’atteindre certains niveaux de performances ? »

Autre point à balayer, celui des manipulations sanguines : « Il n’y a pas d’intérêt à faire une poche de sang pour l’utiliser dans X jours pour une future compétition. Et ce n’est pas possible de garder une poche de sang six mois, il y a une dégradation. »

A ce non-sens de se doper sans compétition, s’ajoute une autre donnée, plus « technique », que pointe du doigt Pierre Sallet : « Le dopage comporte une notion d’approvisionnement, de circuits, de mises en contacts. C’est difficile en période de confinement de rencontrer les personnes. Ce serait beaucoup de complications pour pas de compétitions. Le confinement et l’arrêt des compétitions marquent l’arrêt du dopage. » Un phénomène constaté aussi dans un autre domaine, celui des stupéfiants, avec une diminution du trafic observée dans toutes les grandes villes de France.

A la reprise, la tentation sera grande

Mais à la reprise, quel scénario peut-on imaginer quand le confinement prendra fin, que les entraînements pourront reprendre, que les plannings de compétitions seront affinés ???

Là, les choses apparaissent très complexes. Michel Rieu, en charge maintenant de la formation de médecins de l’Afrique Francophone au sein de l’Université Senghor du Caire, estime que le déconfinement très progressif qui sera adopté pèsera de manière forte sur les sportifs : « Pour les compétitions internationales, le décalage sera important selon les pays. En France aussi, la reprise ne se fera pas aux mêmes dates selon les régions. Ce sera la responsabilité des fédérations internationales de tenir compte du décalage entre les différentes parties du monde pour la sortie de l’épidémie. Et pour les compétitions nationales aussi. A la reprise, la situation marquera une grande inégalité de fond entre les sportifs. La tentation du dopage existera. »

La médicalisation pour compenser le manque d’entraînement

Pierre Sallet adhère parfaitement à l’idée d’un attrait fort du dopage à la reprise, comme de la médicalisation à outrance : « Pour moi, le risque est avant tout lié à la médicalisation, qui concernent toutes les substances qui devraient apparaître sur les listes de produits interdits et n’y figurent pas, et bien sûr le détournement des AUT. Or si le Tour de France a lieu avec des cyclistes confinés, qui n’ont plus que six semaines pour se préparer, il y a un vrai risque, pas forcément en dopage, par une cure d’EPO. Mais c’est de se tourner vers tout ce qui est autorisé, adopter une sur-médicalisation, un détournement d’AUT classique, des corticoïdes… pour compenser le manque d’entraînement. »

Et bien sûr, pour les sportifs les plus douteux, à cette hyper médicalisation très rapide pour compenser le manque d’entraînements, il s’ajoutera un programme de dopage. Avec un petit bémol tout de même, celui de l’organisation à mettre en place, souligne Pierre Sallet : « Pour celui qui a l’habitude d’acheter sur internet, ce ne sera pas très compliqué. Pour celui qui est très structuré, le dopage se passe hors de France, dans des pays plus favorables, Kenya, Maroc, Colombie, Amérique du Sud car absence de labo accrédité, et donc réalisation des contrôles rendue très complexe. La question sera alors comment on arrive à réactiver les filières ou à réadapter notre stratégie ? Cela implique de reprogrammer ses stages. Cette réorganisation peut prendre du temps. »

Pour Pierre Sallet, « le cocktail détonnant sera celui d’une compétition très rapprochée et d’un confinement long ». Cela pourrait correspondre au Tour de France, si pas décalé, au foot, au tennis…

Les surprises dans les performances

Peut-on s’attendre à la sortie du confinement à voir des physiques modifiés par l’absence de dopage ? Peut-être mais il est certain qu’il y aura beaucoup de surprises dans les résultats. Pierre Sallet analyse : « Dans une configuration normale, la différence dans le très haut niveau est de 3%. C’est infime. En période classique, un sportif douteux qui maîtrise l’entraînement, ajoute une couche supplémentaire de médicalisation et dopage, qui crée une différence de performance. Là, l’entraînement n’aura pas été optimisé pendant six semaines. Il y aura de grandes disparités dans les entraînements effectués. Il s’y ajoute la couche de médicalisation, puis le dopage. On peut voir apparaître des différences énormes dans tous les sens. Dans une compétition, s’affronteront un athlète entraîné et dopé et un athlète ex-dopé et pas entraîné. Cela crée une sacrée marge. Il faudra 3 à 6 mois pour revenir à une situation classique où la variable entraînement est maîtrisée par tout le monde. Et après, il y aura l’option dopage ou sans médicament. La lisibilité des performances ne sera plus possible. » Sans oublier d’ajouter aussi pour le marathon, l’impact de la Vapor Fly !

Comment expliquer une baisse de chrono ?

Or justement, avec toutes les grandes épreuves mondiales reportées au deuxième semestre 2020, à quoi peut-on s’attendre ?? Peut-être à des forfaits. Car l’impossibilité de se préparer de manière artificielle pourrait provoquer quelques désordres chronométriques !

Selon les calculs de Pierre Sallet, un dopage étoffé permet à un marathonien en 2h08 d’obtenir un chrono de 2h02’-2h01’. Soit de faire irruption dans le très haut niveau mondial, au lieu de stagner dans la « sous-couche ».

Or pour revenir à son niveau, un athlète habitué du dopage doit retrouver à la fois un vrai entraînement et un programme de dopage. Une donnée essentielle, selon Pierre Sallet : « Moi, pour avoir parlé avec des dopés, pour avoir suivi des protocoles de dopage, je peux dire que quand un athlète est dopé sur des formes lourdes, c’est la priorité. Cela vient avant l’entraînement. Car en fait, il sait s’entraîner. Mais avant de s’entraîner, comment remet-il son programme en place ? C’est l’ultra priorité. Il ne peut pas réapparaître à la lumière en perdant 10 secondes sur 3000 m ou 5 minutes sur marathon. »

Le risque serait évidemment grand de susciter des questionnements intempestifs sur cette contre-performance. Un forfait, lui, peut toujours s’expliquer…

  • Texte : Odile Baudrier
  • Photo : D.R.