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Anti-dopage : une étude sur l’EPO et le passeport biologique en cours à Lyon

Le professeur Gaetano Cairo de l’Université de Milan a choisi Lyon pour une étude sur l’érythroferrone, un nouveau marqueur de l’EPO et s’est appuyé sur Pierre Sallet et Paul Robach pour recruter un groupe de 24 sportifs récréatifs soumis à des injections d’EPO. Avec en filigrane, l’espoir que ce marqueur révèle l’utilisation d’EPO, même en micro-doses, et soit intégré dans le passeport biologique, pour mieux traquer les tricheurs.

 

ETUDE EPO

24 volontaires français. Des chercheurs italiens et français. Un laboratoire d’analyse au Danemark, un autre à Milan. Un financement américain. L’étude est pour le moins cosmopolite. Mais l’histoire retiendra que c’est bien au centre d’investigation clinique des Hospices Civils de Lyon qu’elle a débuté en septembre, pour s’achever quelques jours avant Noël, après avoir soumis 24 sportifs à une batterie de tests durant 4 semaines.

Avec quel objectif ? L’analyse de l’érythroferrone, pour découvrir si cette hormone pourrait être efficace pour révéler l’utilisation d’EPO par les sportifs. Car c’est bien la lutte contre le dopage qui est au cœur de cette expérimentation menée à Lyon sous la houlette de Pierre Sallet, d’Athletes for Transparency, et de Paul Robach, chercheur en physiologie à l’Ecole nationale de ski et d’alpinisme (ENSA), et à l’initiative de Gaetano Cairo, professeur et chercheur à l’Université de Milan.

Le passeport biologique est souvent utilisé désormais pour sanctionner les sportifs, sur la base de dosages effectués à travers les mois ou années pouvant montrer qu’ils ont utilisé des produits dopants. En athlétisme, ce sont près d’une centaine de suspensions qui ont été décidées sur la base de variations anormales de profils du passeport.

L’espoir d’un nouveau marqueur pour détecter les micro doses d’EPO

Et c’est cet outil que Gaetano Cairo souhaiterait améliorer, en proposant un nouveau marqueur, l’érythroferrone, pour détecter le recours à l’EPO. Avec l’espoir que ce marqueur varie en fonction de la quantité d’EPO absorbée. Car le point nouveau dans l’utilisation de l’EPO résulte de l’usage très répandu des micro-doses, plus difficiles à détecter.

Gaetano Cairo

Gaetano Cairo

Comme l’explique Pierre Sallet : « L’idée du passeport est très bonne, avec le suivi intra individuel dans la durée, et la comparaison d’un individu à lui-même. C’est la solution ultime. Mais le passeport n’a pas été modifié depuis 2009. L’EPO était alors utilisée avec des doses élevées. Aujourd’hui, la tendance est de prendre des doses moindres, pour rester « dans les clous » au niveau du passeport. Si l’érythroferrone est un marqueur potentiel « dose-répondant », qu’il évolue selon la dose absorbée, c’est-à-dire rien avec le placebo, petite variation avec les micro-doses, variation plus importante avec les doses plus élevées, voilà un nouveau marqueur qui peut servir dans la lutte anti-dopage. »

Gaetano Cairo a défini l’axe de travail, il a trouvé le financement de ce projet, 150.000 dollars (75.000 pour l’étude de terrain, 75.000 pour les analyses) émanant de PCC, « Partnership for Clean Competition », une organisation américaine basée à Colorado Springs, connectée à l’agence anti-dopage américaine, qui soutient diverses études à travers le monde, dans l’optique d’améliorer la lutte anti-dopage.

L’idée d’un travail sur l’érythroferrone a séduit PCC, le concept est novateur, car comme me l’explique le professeur Cairo, il y a moins de trois ans que cette nouvelle hormone a été découverte, les premiers dosages sur les humains n’ont été effectués que cette année, peu d’études ont encore eu lieu, il n’existe pas encore de standardisation sur les taux, ou de valeurs moyennes sur la population. Toutefois il y aurait actuellement à travers le monde plusieurs équipes de chercheurs travaillant sur le concept d’un lien entre l’érythroferrone et l’usage de l’EPO. Et Paul Robach lâche en boutade : «Nous avons peu d’infos sur les résultats des autres équipes car rien n’est encore publié. On ne sait pas où ils en sont. En fait, c’est un peu une compétition. »

Des injections de placebo, d’EPO à dose « classique » ou en micro-doses pour les 24 sportifs

Une compétition scientifique, exigeant l’utilisation d’humains, sujets volontaires. Ils sont 24 à avoir défilé depuis le mois de septembre dans cette petite salle du centre d’investigation clinique de Lyon. Gaetano Cairo, davantage expert dans le domaine des tests sur animaux et modèles cellulaires, a choisi Pierre Sallet pour être le maître d’œuvre de cette partie de l’étude, primordiale pour la réussite. Le spécialiste lyonnais compte plusieurs études à son actif, et surtout celle menée il y a deux ans, pour démontrer la difficulté des contrôles à détecter les prises de produits dopants à petites doses.

SALLET 1 R

Une nouvelle fois, le recrutement des volontaires n’a pas été si aisé, comme l’avoue Pierre Sallet : « C’est toujours compliqué. Si on fait un post Facebook, pour recruter pour un protocole EPO, on va être inondé de sujets. Mais on veut éviter les gens qui vont « frimer » sur les réseaux sociaux, ou ne pas respecter les règles fixées, comme de participer à des compétitions pendant le protocole. En même temps, il faut éviter d’avoir des «perdus de vu ». » Comprenez des personnes qui s’inscrivent par curiosité, pour voir l’effet de l’EPO, mais qui s’arrêtent en raison des contraintes, 12 visites à l’hôpital d’une durée de 1 heure, et de nombreux prélèvements sanguins et urinaires. Les collaborateurs du CIC, travaillants aux Hospices Civils de Lyon ou à l’INSERM sont venus renforcer le groupe de volontaires sportifs.

Une fois ce pool formé, le groupe a été  « randomisé » (= réparti par tirage au sort) en trois groupes : des personnes sont sous placebo, d’autres reçoivent une dose « classique » à 50 u/kg, ou des micro-doses, à 20 u/kg. L’étude est en double aveugle : les sujets ne savent pas ce qu’ils reçoivent, les chercheurs non plus. Ce n’est qu’après  la fin de l’étude que les 24 sportifs sauront quel traitement ils ont reçu…

Malgré tout, un des participants à l’étude confie être convaincu d’avoir reçu des injections d’EPO. En effet, quand il a pratiqué la course à pied, il a ressenti une plus grande facilité à l’effort…et une insatiable envie de courir ! Après l’arrêt des injections, ces « bonnes » sensations ont rapidement disparu. Ce sujet a probablement reçu de l’EPO, mais il faudra attendre la levée de l’aveugle pour le confirmer. Car le simple fait d’injecter un placebo peut également avoir des effets bénéfiques sur la performance !

Les repères donnés par la quantité d’hémoglobine dans le sang.

Les tests d’effort souvent utilisés pour mesurer l’impact des cures d’EPO ne peuvent servir de marqueur biologique. Dans cette étude, les chercheurs utiliseront comme marqueurs le taux d’érythroferrone et la masse totale d’hémoglobine. Il existe en effet un lien fort entre la masse totale d’hémoglobine et la performance en endurance : plus l’hémoglobine et les globules rouges sont abondants, meilleurs sont les chronos.

Paul Robach

Paul Robach

Pour évaluer la masse totale d’hémoglobine avec précision, Paul Robach utilise le monoxyde de carbone, que le sujet respire en très faible quantité lors d’un test spécifique. Chaque sujet a suivi la même procédure à chaque visite à l’hôpital : une première prise de sang, le marquage de son hémoglobine par le monoxyde de carbone, une deuxième prise de sang. Ces nombreuses prises de sang ont parfois rebuté les sportifs, comme me l’explique un sujet, qui avoue une certaine lassitude face aux contraintes imposées par l’étude, mais qui n’a pas hésité à s’y engager, pour contribuer à améliorer le passeport biologique.

Les échantillons se sont accumulés dans les congélateurs du centre, et dès le début 2018, ils se dirigeront vers le Danemark et l’Italie pour des analyses fines.  Cette deuxième partie de travail ne manque pas de complexité non plus, et Gaetano Cairo en est conscient : « L’analyse n’est pas facile. Nous voulons utiliser les meilleurs outils analytiques pour interpréter. C’est un gros projet, avec beaucoup de personnes impliquées. »

Les chercheurs espèrent détecter les dopés

Dans l’attente de ces analyses, aucun résultat n’est encore connu. Après la fin de l’étude, les sportifs concernés seront informés de la nature des injections reçues. Cela leur permettra probablement de confirmer que l’EPO impacte leurs performances. Une évidence, et comme le rappelle Pierre Sallet, ce n’est pas l’objet de l’étude, on le savait déjà…

Maintenant, c’est sur l’érythroferrone que se fondent les espoirs de l’équipe scientifique et médicale, avec l’espoir que ce marqueur puisse devenir un nouvel atout dans la lutte anti-dopage. Comme le souligne avec réalisme Pierre Sallet : « Un sportif de haut niveau qui a essayé l’EPO revient difficilement en arrière. Car avec l’EPO, tu ne te préoccupes plus de l’entraînement, tu peux accumuler les séances, tu vas vite, tu ne fatigues pas. Sans oublier qu’il n’absorbe pas seulement l’EPO, mais souvent d’autres substances en plus… »

Dans cette optique, l’équipe se projette dans le futur, et anticipe une deuxième étude, dans laquelle seraient ajoutés des éléments complémentaires, la prise de fer, les séjours en altitude, susceptibles de faire varier ce marqueur. Mais déjà, l’ambition de ces chercheurs serait de prouver que le marqueur érythroferrone permet de détecter toutes les doses d’EPO, sans erreur. Les dopés, eux, espèrent évidemment tout le contraire…

  • Texte : Odile Baudrier

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