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Yohan Durand, le vin est plus noble que le marathon

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Yohan Durand face à l’océan juste après sa séance longue

 Handicapé par bien des blessures, Yohan Durand s’est orienté sur le marathon en 2015, réussissant 2h 14’00’’. Depuis janvier, il est désormais entraîné par Bernard Faure qui lui prédit un bel avenir sur cette distance compte tenu de son potentiel athlétique. En attendant, il disputera en avril le marathon de Hambourg avec l’espoir d’approcher les 2h 12’ – 2h 11’. Rencontre.

 

Yohan Durand s’est avancé. Devant lui, pour ce concours européen des jeunes dégustateurs, alignés comme des moines, un caviste, un œnologue, un prof. L’un d’eux a demandé : « Que pouvez-vous me dire sur ce vin ? »

Yohan a pris le verre entre ses doigts, a fait tourner le liquide jaune d’or, épais, moelleux, d’une belle robe aux reflets de paille, et d’un bouquet qui ne faisait aucun doute. Sa réponse fut presque instantanée « C’est un Monbazillac ».

Nous étions Chez Pierre, une brasserie chic du front de mer, à deux pas du casino d’Arcachon. Belle table dressée de blanc, belle carte, ambiance retraités iodés et frisottés. Nous n’avions pas pris de vin pour accompagner un magret de canard mais curieusement, nous parlions vin. De ce vignoble qui s’étale sur les coteaux de la rive gauche de la Dordogne, le Monbazillac. Yohan Durand y est né.

Plusieurs fois, il s’est excusé « j’aurai dû apporter une bouteille » pour déguster le vin de famille, le château Les Maulles, une propriété de 20 hectares que les parents de Yohan exploitent toujours à Monbazillac même. Une exploitation familiale « où l’on ne compte pas les heures. J’ai été bercé par cela. Cela m’a forgé, le côté travail, le côté rigueur ». Avec ce grand temps fort que sont les vendanges « tu récoltes enfin ce que tu as semé, le fruit d’une année de travail ».

Nous ne parlions plus marathon, séances et minima. Devant nous, dans un large chenal, des bateaux d’ostréiculteurs allaient et venaient. La salle se vidait. Nous étions seuls. Nous nous étions égarés, comme embarqués sur le tracteur familial, à dévaler ces rangs de vignes déjà centenaires, Yohan au volant,  à raconter les années BTS, section viticulture et à se souvenir de ce concours d’apprentis œnologues organisés dans le cadre du Salon de l’Agriculture « Nous avions deux cours de dégustation par semaine. J’étais fort sur les Bordeaux. Peut être par chauvinisme ». A faire monter des saveurs au palais à évoquer les repas de famille où l’on débouche des vieilles bouteilles que l’oncle apporte comme un trésor « cette année à Noël, c’était un 64 ». Yohan de bouger les mains, les doigts à raconter cela, les retours en famille, très régulièrement, le bonjour à la grand-mère, les papotages du village, à goûter ce vin liquoreux qui se savoure avec certains fromages, avec le foie gras bien sûr, Yohan d’assurer : « Oui, le vin est plus noble que le marathon. Même si certaines vertus sont identiques, le temps, la patience, la rigueur, le travail, être tributaire des éléments extérieurs aussi ». Le vin comme passion, il n’a pas à porter le  bout du nez sur le rebord du verre pour l’affirmer : « là-bas, j’y ai ma vie. J’étais prédestiné. Ca se passe de génération en génération ». Jusqu’à reprendre l’exploitation familiale ? Yohan hésite : « Je ne sais pas encore. Le métier a tellement évolué. Maintenant, c’est beaucoup plus administratif. Alors que quand tu fais ce métier, c’est pour être dans les vignes ».

« Le marathon, c’est une vie de solitaire »

Pour l’heure, Yohan Durand est donc marathonien. Le matin, nous nous étions retrouvés à la plage du Petit Nice, à deux pas de la Dune du Pyla, ce gros pachyderme de sable qui émerge de l’océan et qui se vautre dans les premiers layons de la forêt landaise. « Le marathon, c’est une vie de solitaire ». Dans ce lieu isolé, cette phrase jetée ainsi par-dessus bord d’une conversation prenait tout son sens. Nous étions à un jet de galet d’un océan moutonnant. Le calme, le grand calme, juste brouillé par le va et vient des vagues, le murmure de la mer, sans refrain, de ces courants chantants. Un pêcheur au loin, quelques badauds. Des paillotes fermées, « chez Aldo », dans l’attente d’un été retrouvé, que ce coin de forêt et de plage soit assiégé. « Le marathon est un effort où tu es tellement seul, il faut donc éprouver cela à l’entraînement. Sur marathon, les sensations vont et viennent. Tu dois être fort mentalement. Tu dois être prêt pour cet effort. Depuis Paris, je me sens marathonien». C’était parti pour deux heures de séance longue.

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Dans cette forêt landaise sur la piste cyclable conduisant à Biscarrosse, Yohan Durand en compagnie d’Emmanuel Bidon

 

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A 19 ans, Pierre Messaoud l’entraîneur qui accueillait à Bergerac ce fils de vigneron, le lui avait dit : «Il me voyait comme marathonien. Je l’écoutais, mais ce n’était pas vraiment ancré ». On les connaît peu ces entraîneurs de province. Le plus souvent, ce n’est qu’un nom sur la fiche « athle » du coureur. L’hiver, ils traînent, bottes au pied, sur les champs de cross. Parfois, ils touchent le gros lot, c’est rare. On peut qualifier cela de providence. Des hommes de passion, il ne fait aucun doute que Pierre Messaoud est de ceux-là. D’un bon niveau régional, 31’37’’ sur 10 km, 1h 09’ sur semi et 2h 32’ sur marathon, un homme discret, éducateur en milieu handicapé, avec Yohan, il a imposé son temps « On a fait tranquille, pour devenir un bon senior. Il a toujours respecté ma progression. La preuve, ma première blessure, je ne l’ai eue qu’à 28 ans ».

Les deux heures de séances longues déroulées sur cette magnifique piste cyclable longeant l’océan ont finalement passé vite. 45 minutes de tempo marathon, des kilos en 3’09’’, certains en 3’01’’, une touche finale à 2’49’’. Yohan Durand découvre de nouvelles sensations. Celles du marathonien qui a peut-être encore tout à apprendre, pour éviter les erreurs, les écueils. A 31 ans, les années comptent parfois double. C’est pour cela qu’il a mis fin à sa collaboration avec Pierre Messaoud : « Il a longtemps cherché à me protéger et il voulait le meilleur pour moi-même. Mais je voulais découvrir autre chose et travailler différemment. Je ne voulais pas avoir de regrets. Oui, je peux le dire, ce fut difficile de lui annoncer ».

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En janvier, c’est donc vers Bernard Faure que Yohan Durand s’est tourné. Bernard Faure qui n’avait pas entraîné de marathoniens depuis Christine Mallo et Bruno Léger, refusant bien plus d’une décade d’ouvrir sa porte, son cœur et ses pensées. Lorsque Yohan Durand en périgourdin voisin a toqué au grand domaine du Buisson et que les deux hommes se sont retrouvés assis au coin du feu devant cette vaste cheminée de pierre, Bernard Faure a dit oui, n’exigeant aucune garantie de lui, si ce n’est une poignée de main franche. Ils ont beaucoup parlé « il m’a sorti ses graphiques, ses tableaux, j’aurais aimé rester encore plus pour l’écouter ». Aujourd’hui, après deux mois de collaboration et une blessure survenue peu après la Prom Classic, il est encore trop tôt pour tirer des conclusions. Bernard Faure, le romantique lui a demandé du temps, tout en philosophant mais en posant ses conditions. Un parlé vrai que Yohan a dû entendre : « son potentiel est sans doute autour des 2h 09’ mais deux ou trois ans lui seront nécessaires. C’est une année olympique, il est normal qu’il tente les minima, mais son potentiel, je le situe aujourd’hui plus à 2h 12’ qu’à 2h 11’ ».

Yohan Durand s’est donc armé de patience, il sait que le temps est nécessaire pour  s’aventurer en de telles contrées. Qu’il lui sera encore nécessaire d’écoper, d’éponger. Comme après Berlin et cet abandon prématuré. Et puis se dire comme le vigneron seul dans son chaix à espérer le meilleur pour son breuvage : « Je veux être moi-même, je ne dois rien à personne, sauf à moi-même ». C’est le fils de « paysan » qui ajoute : « Je suis mon propre chef d’entreprise, je décide de tout, je choisis tout. Je suis très indépendant et autonome. Je me régale de tout, j’ai l’impression d’être en camping tous les jours. Aujourd’hui, je suis libre de mes pensées ». C’est dans son petit chalet  mignonnet qu’il vient d’acquérir, situé non loin du champ de cross de Gujan Mestras qu’il s’affirme ainsi. Sans cadre, ni miroir, simple et sobre.

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Yohan Durand en compagnie de Yannick Dupouy et de Benjamin Malaty (à dr.)

L’après-midi, nous l’avons passé à slalomer dans  un trafic dense, éprouvant, sur une A63 au bord de l’asphyxie. Pour rejoindre les copains, il dit « mes potes », Emmanuel Bidon, ils ont débuté ensemble en cadet sur un cross Sud Ouest, Yannick Dupouy et Ben, le grand Benjamin Malaty « ces gars, ils me ressemblent, ils comprennent ma vie, ils me donnent l’envie de continuer ». Sans oublier de citer ceux restés au « pays », Cédric Desper et Hugo Lescure, les Bergeracois. Ils étaient à Hyères lorsque Yohan sort le grand jeu, 8ème aux Europe, une révélation, une revanche sur Berlin.

Ensemble, ils ont tourné, une heure tranquille sur la piste du stade de Talence. La nuit était chavirante, Thierry Vigneron d’un côté, flottant dans un survêtement vintage, sur une butée gazonnée, à faire grimper à la corde des jeunes perchistes, l’espoir Maroussia Pare sur un axe central à se préparer pour des éducatifs, Alain Lastecoueres l’entraîneur de placer les plots. Patricia Djate de s’enthousiasmer sur la jeune Charlotte Mouchet, récupérée par les cheveux, un monstre de volonté. L’athlé haute performance, dans le silence de ces soirs d’hiver, dans l’aisance ou la contrainte du geste parfait, dans l’endurance d’une carrière à construire, à bâtir.

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Yohan Durand entre les mains de son kiné, Jeff Lastennet ancien coureur de 800

Puis nous avons repris la route, le nez sur Waze à déjouer les nœuds d’un trafic toujours aussi dense pour grimper à Eysines, la banlieue Nord de Bordeaux, des rues calmes. Nous nous sommes garés sur le parking d’une boulangerie de quartier. En face, derrière une immense palissade, nous devinions une maison coquette. C’est le chien Lana qui nous reçoit. C’est là que réside Jeff Lastennet, un autre « pote », devenu kiné après l’arrêt de sa carrière sur 8. Comme Ben, comme Yan, comme tous, il porte la barbe. Intérieur dépouillé, la pierre à nu, belle table d’un bois massif, un piano Rameau, quelques vinyl dans un bac, sur le devant de la pile, un disque de Childishgambino. Séance massage, pile et face. Parler de tout et de rien, de cette nouvelle appli Squadrunner reliée à Strava. Jeff est adict comme à Instagram. Yohan écoute le kiné dire « je ne suis pas allé au bout de quelque chose ». Et d’évoquer ces blessures comme un fleuve en cru pour en interdire sa traversée comme en cette année 2011, 1’45’56 à Tromblaine suivi d’une seconde place à Stockholm et Londres qui ne devient qu’un mirage lorsque le corps dit non. Avec Floriane son amie, ils ont choisi Bordeaux pour s’installer, quelques copains autour d’eux, et un cabinet de kiné à construire. Les muscles de Yohan bien huilés se creusent sous les pouces du kiné. Ensemble, ils ont passé quelques années Interclubs au CA Montreuil. Le kiné demande en lui palpant les pieds, à chercher les points de frictions  « comment ça va ? ». Yohan répond : « Une journée à 37 km, c’est une journée normale ».

> Texte et photos Gilles Bertrand

Quelques dates dans la carrière de Yohan Durand

. Le 6 janvier 2004, il signe son contrat pour devenir militaire (jusqu’en 2020) afin de poursuivre une carrière de haut-niveau

. Après s’être classé 4ème sur 5000, pour tenter de se racheter, le 14 juillet 2007, Yohan Durand demande à être inscrit en urgence sur 1500 pour les Europe espoirs (avec l’avant dernier temps !). En finale, il remporte la médaille d’argent en allant « au plus profond de lui- même »

. Le 28 janvier 2012, Yohan Durand réalise sur 3000 en salle 7’44’’46 et se qualifie pour le Mondial d’Istanbul. Il dit : « Le 3000, c’était ma distance »

. Le 9 juin 2012, Yohan Durand réalise 13’17’’90 à Villeneuve d’Ascq mais loupe la qualification pour les J.O. fixée à 13’15’’

. Le 12 avril 2015, Yohan Durand devient marathonien en réussissant 2h 14’00’’ à Paris, le pied sur le frein

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