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La lutte anti-dopage en difficulté par le COVID 19

Le COVID 19 fait vaciller le monde, dans toutes ses dimensions, des plus dramatiques aux plus futiles, et ses dégâts humains au sens très large du terme seront énormes, santé physique, équilibre psychologique, conséquences financières. Dans un tel contexte, quel sens conserve la lutte anti-dopage ? Comment peut-elle vraiment s’effectuer dans une situation de confinement des athlètes et des préleveurs ?

Une grande page blanche s’est ouverte devant nous tous, et les certitudes vacillent chaque jour. Dans ce déferlement de mauvaises nouvelles, de chiffres effrayants, d’inquiétudes pour soi et ses proches, de modes de vie revus et corrigés, le sport continue à faire les gros titres, avec ses évènements majeurs reportés ou annulés, et ses interrogations sur l’organisation ou non des Jeux Olympiques de Tokyo.

Alors que le confinement concerne chaque jour plus de pays, les questionnements autour de la lutte anti-dopage apparaissent. Pourquoi la poursuivre alors que les priorités sanitaires apparaissent tellement plus essentielles ? Comment poursuivre le programme de contrôles des sportifs dans un contexte où les compétitions n’ont plus lieu et n’auront plus lieu avant au moins deux mois ? Quelle logique aussi de continuer à imposer ces prélèvements à des sportifs déjà en grande difficulté pour suivre un programme d’entraînement normal alors que les structures ont fermé et que les règles de « rester chez soi » compliquent les sorties en plein air pour les athlètes ?

La Chine suspend ses contrôles début février

Là encore, comme pour les autres aspects de cette lutte contre le coronavirus, la Chine avait montré la voie. Dès le 3 février, l’agence anti-dopage chinoise annonçait suspendre les contrôles, compte tenu de la situation sanitaire du pays. On y pointe alors 17.000 malades et 360 morts. Cet arrêt sera effectif durant près de trois semaines, jusqu’au 21 février, date à laquelle l’agence Reuters révèle que les contrôles reprennent, avec une priorité pour les athlètes d’élite et des sports les plus à risque. A ce moment-là, le nombre de morts a atteint les 2000, et il progressera encore pour monter à plus de 3000 actuellement.

Mais comme l’explique le site « Xinhua », au préalable de la reprise, CHINADA l’agence anti-dopage chinoise a mis en place des protocoles stricts pour ses préleveurs, avec l’obligation de passer un test du virus et des contrôles médicaux avant d’être autorisé à effectuer à nouveau des prélèvements auprès des sportifs.

Les critiques pleuvent sur la Chine

Au début février, l’annonce que les contrôles chinois seraient suspendus avaient suscité une floppée de réactions hostiles du monde sportif. Certains n’hésitaient pas à pointer du doigt cet « alibi » tout trouvé qui permettait ainsi à des sportifs d’évoluer hors cadre et donc d’avoir la possibilité de se doper en toute impunité. Avec en ligne de mire, les Jeux Olympiques de Tokyo, que les athlètes chinois se voyaient déjà accusés d’aborder avec un sérieux avantage face à leurs concurrents des autres pays du monde, évoluant, eux, avec une vraie surveillance.

Un très mauvais procès, estimait alors Fabien Gargam, chercheur et universitaire, enseignant à l’Université Renmin près de Shanghai, qui justifiait : « Si les gens savaient de quoi ils parlent, ils ne critiqueraient pas cette décision. Les athlètes chinois n’ont pas choisi cette situation, alors quel est le problème ? »

Comment poursuivre les prélèvements en toute sécurité ??

En ce milieu du mois de mars, avec l’épidémie qui s’est étendue à travers le monde entier, la donne a changé et les moralisateurs anti-chinois découvrent une réalité beaucoup plus complexe qu’ils ne voulaient l’appréhender.

L’Agence Mondiale Anti-Dopage a opté pour un message quasi-énigmatique. Elle invite à la fois les agences nationales à suivre les conseils des autorités de santé locales pour assurer la protection des athlètes et des préleveurs, et également à protéger l’intégrité des programmes anti-dopage, surtout dans l’optique des JO 2020.

Une équation délicate à manier, et l’UKAD, l’agence britannique a préféré jouer cartes sur tables, en annonçant dès le 17 mars réduire son programme. Travis Tygart, le patron de l’USADA, son pendant pour les Etats-Unis, a soutenu, lui, vouloir poursuivre des contrôles normalement sur les athlètes se préparant pour Tokyo. « Mais ferme-là Travis », lui a répondu Richard Ings, le patron de l’anti-dopage australien : « Tous les risques de transmissions doivent être supprimés. Des vies sont vraiment en jeu. Fais-le. » Les règles de « distanciation sociale » collent peu avec le principe d’un contrôle au domicile du sportif.

En France, l’AFLD a été explicite sur la priorité qu’elle donnera à la santé publique. Et a admis sans fioriture qu’en toute logique, pour la plupart de ses préleveurs, issus du monde médical, leurs priorités se situent maintenant dans l’urgence médicale, dans les hôpitaux ou à travers la réserve sanitaire que de nombreux retraités médecins ont rejointe. D’où par ricochet, un manque d’agents de contrôle disponibles.

Des agents pour contrôler qui ??

De toute façon, les besoins sont moindres du fait de l’absence de compétitions. Les contrôles ne peuvent plus concerner maintenant que les athlètes intégrés dans le groupe cible AFLD ou AIU. Car les sportifs demeurent toujours soumis à leurs obligations de localisation n’a pas manqué de rappeler l’AFLD. C’est louable. Mais en réalité, qui pourrait constater en ce moment leur non-respect ??

En parallèle, la plupart des sportifs se retrouvent en difficulté pour s’entraîner, suite à la fermeture de nombreuses structures d’accueil. L’INSEP a ainsi fermé ses portes le vendredi 13 mars, comme l’ont fait les stades, piscines, salles de musculation… à travers toute la France. Les programmes deviennent difficiles à suivre, y compris pour les sportifs de « plein air », comme les demi-fondeurs, marathoniens… qui ne peuvent se contenter du footing de 1 à 2 km « autorisé » par les règles fixées en France.

Alors faut-il y ajouter une contrainte supplémentaire avec un contrôle ?? Oui, soutient Antoine Vayer, pourfendeur du dopage dans le cyclisme, qui clame « Le Covid 19 : aubaine pour dopés ! Le dopage c’est AVANT les compétitions ! Ce qui est pris n’est + à prendre. »

Les JO 2020, un objectif pressant qui va disparaître ??

Surtout bien sûr dans l’optique des grandes compétitions de l’été, Tour de France pour les cyclistes et JO pour toute la planète sports. L’équité sportive se doit d’être maintenue, l’anti-dopage en fait partie. Mais l’équité vacille aussi quand les sportifs ne peuvent plus s’entraîner normalement et ne peuvent plus disputer de compétitions pour se qualifier pour les Jeux.

La pression monte chaque jour pour inciter au report des Jeux. Une telle décision allègerait évidemment l’obligation des contrôles. Sans les JO en ligne de mire, la tentation serait moins grande de franchir la ligne rouge. Mais les tricheurs demeurant des tricheurs, ils se « recaleront » vite sur les objectifs suivants, meetings, championnat d’Europe, grands marathons mondiaux, pour reconstruire leur programme de dopage en accord avec ces nouvelles dates. Ce retour de la « triche » sera presque une bonne nouvelle, elle rimerait avec retour à la normalité de notre vie…

  • Texte : Odile Baudrier
  • Photo : D.R.
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