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Breaking 2 : Eliud Kipchoge réussit 2h00’25’’ sur le circuit de Monza

2h00’25’’. C’est la marque qu’Eliud Kipchoge a réussi sur le circuit de Monza pour ce marathon très spécial organisé par Nike pour balayer les 2 heures. Le champion olympique échoue pour 25 secondes seulement, mais s’approche beaucoup plus de cette barrière mythique que tous les experts le pensaient…

KIPCHOGE ARRIVEE

25 secondes seulement de plus que cette barrière mythique des 2 heures, autour de laquelle Nike avait orchestré depuis quelques mois une opération très impressionnante, autour du trio Kipchoge-Tadesse-Desisa.

La barrière n’est pas gommée. Dommage diront les uns. Ouf diront les autres. Car cette opération éminemment médiatique n’a pas suscité que des réactions positives. Mais tous en conviendront, Eliud Kipchoge s’est révélé monstrueux sur ce circuit de Monza, la foulée se déroulant avec une efficacité redoutable jusqu’à la ligne d’arrivée, le visage impassible ne réflétant des signes de douleur qu’à partir du 36ème kilomètre, le corps parfaitement placé jusque dans les ultimes kilomètres.

Le Champion Olympique a parfaitement honoré les expectatives. Tous les experts interrogés à la veille du marathon B2 s’avouaient unanimes sur le fait qu’Eliud Kipchoge était le seul coureur du trio capable de réussir dans ce challenge, alors que l’Erythréen Tadese et l’Ethiopien Lilesa Disesa n’étaient nullement attendus à un tel niveau, comme leurs performances allaient le confirmer, avec 2h06’51’’ pour Tadese et 2h14’ pour Disesa. Cet accord sur le nom du leader n’était évidemment pas difficile à obtenir, tant Eliud Kipchoge maîtrise son sujet, avec à son actif le titre olympique 2016, et un record personnel à seulement 9 secondes du record du monde.

Les pronostics hostiles aux 2 heures

Autre point d’accord entre les observateurs : la barrière des 2 heures ne serait pas gommée…A la veille du marathon, le magazine « Runner’s World », étroitement associé au projet par Nike, avait dû consentir à l’admettre, après avoir questionné 24 grands noms du marathon, incluant entraîneurs, athlètes, directeurs de course, fans (tous Américains évidemment !) Et leur verdict était sans appel : seulement 3 personnes sur ces 24 prédisaient un chrono sous les 2 heures. Mais bien sûr, l’optimisme était de rigueur pour savoir si l’autre repère utilisé, celui de l’actuel record du monde (2h02’57’’) serait gommé par Eliud Kipchoge, avec un pronostic favorable de 68%.

Une analyse également véhiculée par les différents sondages effectués via twitter ou encore par les paris des bookmakers, confirmant l’idée que les 2 heures demeureraient inaccessibles. Pour le plus grand bonheur de l’équipe du site américain « Let’s Run », qui, à quelques heures du marathon, n’hésitait pas à dévoiler sa forte hostilité à ce projet, lui reprochant de permettre d’établir une performance avantagée par les moyens exogènes mis en œuvre par Nike, avec ce credo : « Ce n’est pas du sport. Le sport est supposé concerner celui qui a le plus de talent, qui a le plus travaillé, il ne doit pas s’agir de savoir qui a accès à quoi, ou si ce qui est équivalent à un code du « tricheur » dans un jeu vidéo fonctionne. » Et après s’être excusé auprès d’Eliud Kipchoge pour ces propos durs, de conclure par « Just don’t dot it »….

Bon pour le futur du marathon ? Pas si sûr !

Les 25 secondes de débours de Kipchoge ont certainement provoqué un Ouf de soulagement chez d’autres observateurs. Car l’une des questions qui a beaucoup agité la planète Marathon avant cette tentative tournait autour de savoir si ce projet était bon pour le sport en général. Et là, les interprétations étaient contrastées. Sur les 24 personnes consultées par « Runner’s World », 13 répondaient par Oui, 4 par Non, et 7 par « Cela dépend ».

David Epstein, une référence scientifique, auteur de livres, fait partie des hésitants, expliquant : «Je pense que c’est bon pour l’intérêt à court terme… A long terme, c’est potentiellement négatif. Car ces essais avec des conditions feront que les courses normales apparaîtront lentes et avec moins d’intérêt ». Une opinion identique à celle de Jean-Claude Vollmer, l’entraîneur d’Hassan Chahdi, le meilleur marathonien français actuel avec 2h10’, qui souligne : « C’est dommage car à partir de maintenant, on va toujours tout comparer à cette référence qui ne devrait pas exister. En tout cas, ça prouve qu’on n’arrivera jamais à un vrai moins de 2 heures ».

Un « vrai », comprenez un chrono établi dans des conditions normalisées, et non pas dans le cadre établi par Nike avec en particulier la présence constante de six « Pacers » placés en escouade devant Eliud Kipchoge, chargés de lui donner le rythme, et de le protéger du vent, et également la possibilité pour le coureur de se ravitailler à chaque tour, avec l’aide d’une personne lui tendant un tube chaque 2.4 km, alors qu’en course, le rythme est celui de 5 km, et que chacun doit trouver son bidon sur la table.

L’avantage apporté par la chaussure VaporFly s’avère finalement le seul qui pourra être reproduit dans les futurs marathons d’Eliud Kipchoge ou d’autres coureurs, et déjà, les prédictions tombent pour un prochain chrono de 2h01’ lors du marathon de Berlin fin septembre.

Et le dopage ???

Mais bien sûr, dans la très grande quantité d’écrits réalisés sur cet évènement atypique, il n’a pu être exclu les points liés au dopage. C’est bien sûr le site « Let’s Run » qui le mieux soulevé les questionnements, grâce à l’entraîneur américain Steve Magness, très légitime en raison de sa qualité de lanceur d’alerte, pour avoir révélé certaines pratiques d’Alberto Salazar.

Steve Magness de souligner combien il convient que Nike soit vigilant à donner des informations plus précises sur cet aspect essentiel : « Quand les journalistes les interrogent sur ça, Nike répond que les gars évoluent dans les règles IAAF et du WADA, et qu’ils sont testés. Mais ce n’est pas suffisant. On ne peut pas se contenter de dire qu’ils sont testés, et donc qu’on n’a pas à s’en inquiéter. »

Et Steve Magness d’insister : « Imaginons que la première personne à descendre sous les 2 heures soit finalement dopée, ce serait un drame pour notre sport… »

  • Texte : Odile Baudrier
  • Photo : D.R. Nike